Jeunesse (Le Printemps) : Critique

Réalisateur : Wang Bing
Genre : Documentaire
Durée : 213 minutes
Pays : Chine
FESTIVAL DE CANNES 2023

Synopsis : Zhili. À 150 km de Shanghai. Dans cette cité entièrement dédiée à la confection textile, les jeunes affluent de toutes les régions rurales traversées par le fleuve Yangtze. Ils ont 20 ans, dorment ensemble dans les dortoirs des ateliers, mangent dans les coursives. Ils flirtent, plaisantent et se chamaillent derrière leurs machines à coudre. Ils travaillent sans relâche pour pouvoir un jour s’acheter une maison, élever un enfant ou monter leur propre atelier. Entre eux, les amitiés et les liaisons amoureuses se nouent et se dénouent au gré des saisons, des faillites et des pressions familiales.

Quelle surprise que de découvrir Wang Bing sélectionné en compétition au Festival De Cannes. Une surprise de taille qui affirme la place de plus en plus importante que son cinéma a su prendre ces dernières années. Soyons honnêtes, à la simple lecture du nom du cinéaste au cœur de la compétition, la question de la forme du film a traversé mon esprit.
S’agira-t-il d’un film fleuve avoisinant les 10 heures ? S’agira-t’il d’un Wang Bing sous forme de recueil de témoignages, comme pour Fengming ou Les Âmes Mortes, ou bien un film d’exploration, de piste, à la recherche du réel, de l’invisible, des invisibles, comme l’étaient A L’Ouest Des Rails ou Argent-Amer ?

Une interrogation gardée intime jusqu’à la découverte du film, au Grand Théâtre Lumière, pour sa première mondiale, en compagnie du réalisateur.
Après avoir longuement et de manière minutieuse étudié la question des camps anti-droitiers, Wang Bing revient autour d’une thématique déjà abordée dans son cinéma par le passé : l’industrie textile.
Presque dix ans après Argent Amer, le réalisateur chinois nous guide de nouveau dans le Yunnan au cœur des salles de confections de vêtements destinés à la Chine mais également au commerce international.
Sans travailler sous forme de bouteilles à la mer, suivant un individu précis pour finalement se laisser porter par l’environnement rencontré au fur et à mesure des semaines de tournage, suivant des pistes, parfois vaines, à la rencontre des laissés-pour-compte de la Chine, Jeunesse (Le Printemps) s’engage sur une voie sous forme kaléidoscopique. Le réalisateur rencontre alors différents ateliers de confections, croisant les quotidiens, les destins, les rêves et les désillusions.
Un portrait particulièrement complexe se révèle avec une vingtaine de visages, de vies, qui dessinent toute une industrie, ses problématiques convergentes, et des situations familiales, personnelles, hétéroclites. Là où cet esclavage moderne, ne semblait destiner qu’aux classes les plus démunies, le voyage que nous réalisons témoigne d’une réalité bien plus abyssale, allant tirer bien plus loin que l’extrême pauvreté pour nourrir ses ateliers textiles, venant vampiriser le moindre songe d’un jeune à la recherche de financements.
Wang Bing installe des âmes derrière une réalité dont nous sommes conscients, et que, lâchement, nous déshumanisons, pour oublier, loin des yeux, loin du coeur, que nous recevons, ici, en pleine poitrine, déflagration perturbante ne virant jamais à la moralisation.

Dans des ateliers de confection où la jeunesse semble être venue chercher son indépendance, gagner assez d’argent afin de pouvoir accomplir ses rêves, des journées-monstres se dévoilent. Des journées-monstres rythmées par la cadence infernale des machines à coudre, et d’un paiement non pas à l’heure mais à la pièce réalisée, un paiement dérisoire, permettant tout juste de s’offrir de rares moments pour respirer, se divertir, et revenir, pointer, afin de se refaire caresser l’espoir d’une économie rédemptrice.
Les ateliers deviennent prisons, les collègues, des co-détenus.
Les semaines s’écoulent et la terrible réalité vient à se montrer. La jeunesse est enchaînée, le printemps dépouillé, une génération sacrifiée.
Et pourtant, dans cette misère ambiante où l’humidité fait s’effriter la peinture, où les déchets jonchent la toiture, où plusieurs lits sont entassés dans quelques mètres carrés, où l’intimité n’est qu’un trouble souvenir, Wang Bing vient à capturer des instants de grâce, ne cherchant jamais à sombrer dans un fatalisme, dans une fange émotionnelle, et appuyant sur un espoir difficile mais réel, définissant la jeunesse par sa capacité à toujours chercher la lumière, à se nourrir des astres bien plus que des ténèbres.

Wang Bing parvient ainsi à combiner âpreté quotidienne, traitant de l’évolution des rémunérations salariales, fixant ce maillon dans une chaîne de grande distribution effroyable, et instants en suspens, amourettes secrètes, camaraderies, entraide, tendresse. Les heures défilent et nous frappent d’une humanité fabuleuse, remémorant Zola dans ses pratiques terribles de l’industrialisation massive, mais donnant toujours un échappatoire, celui d’un cycle naissant, celui d’un printemps qui bien que malmené, résiste et cherche à évoluer.
Tout aussi traumatisant qu’étonnamment chargé d’espoir, Jeunesse (Le Printemps) est une proposition assez complexe de Wang Bing, peu évidente pour toute personne découvrant le travail du cinéaste, qui bien que paraissant futile dans le quotidien qu’il nous dépeint, s’organise de façon minutieuse, pour développer les idées, pour offrir une réflexion forte sur une industrie et les invisibles qui y travaillent, vivent, s’usent.
La projection touche à sa fin, les ateliers regorgent d’ouvriers n’excédant jamais les trente ans, qu’adviendront-ils durant leur Été ?


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s