Retratos Fantasmas (Portraits Fantômes) : Critique / Les Spectres De Recife

Réalisateur : Kléber Mendonça Filho
Genre : Documentaire
Pays : Brésil
Durée : 93 minutes
FESTIVAL DE CANNES 2023

Objet du documentaire : Les grands cinémas du centre-ville de Recife du 20ème siècle sont pour la plupart disparus. Cette zone de la ville est maintenant un site archéologique qui révèle des aspects désormais perdus de la vie en société. Et cela ne représente qu’une partie de l’histoire.

Cinéaste brésilien aujourd’hui majeur, Kléber Mendonça Filho vient présenter ses nouvelles variations autour de Recife, et plus particulièrement sur le pouvoir du temps sur les espaces, à la Croisette.
En seulement trois réalisations de Les Bruits De Recife jusqu’à Bacurau en passant par Aquarius, le réalisateur a réussi à tisser un monde tout en oppositions entre État et citoyens, entre urbanisation et destruction, entre mémoire et modernisme. Sans jamais virer à la démonstration, l’univers de Kléber Mendonça Filho est un territoire héritier de John Carpenter, qui en emprunte l’architecture cinématographique, l’assaut, la résistance, pour comprendre l’espace et s’enfoncer dans le temps à la conservation de la mémoire, d’un patrimoine, d’une culture et des spectres passés.
Ses personnages se battent pour leurs histoires, leurs espaces de vie et la lucidité face à l’oubli.

Avec Portraits Fantômes, le cinéaste s’écarte de la fiction et nous emporte dans le champ documentaire. Nous retrouvons Recife, bien évidemment, mais dans un parallélisme historique et fantomatique surprenant.
Le cinéaste à travers trois actes, des souvenirs personnels jusqu’à la mémoire du sacré, des ruines, articule une réflexion sur les mouvances invisibles de l’immobile, de la transformation, et l’anéantissement de ce qui semblait éternel. L’art est un combat, une résistance fondamentale.
A travers des images d’archives, des chutes de tournage, des instants volés dans la ville, le réalisateur nourrit son canvas en nous racontant à la fois l’histoire d’une ville, de sa population mais aussi plus intimement son rapport au cinéma, sa famille, les salles qu’il a fréquenté, en passant par les images qui le hante et l’ayant fait devenir réalisateur.
La proposition permet également de comprendre et approfondir ses oeuvres passées, comprendre l’origine de ses idées, des aboiements constants dans Les Bruits De Recife au pouvoir mémoriel, culturel et sensoriel de la terre de Bacurau en passant par les nids de termites d’Aquarius.

Ainsi, en cartographiant la ville, dans laquelle il a grandi, dans laquelle il vit, en nous plongeant dans le temps et mettant en reliefs toute une histoire des architectures et des lieux, Kléber Mendonca Filho touche à la fois une transition culturelle mais aussi l’impact des politiques nationales et municipales, de la censure, poussant à oublier le rêve, à étrangler la pensée, à étouffer l’esprit critique.
Les images trouvent une puissance aveuglante au lendemain du régime Bolsonaro.
Dans ces rues qui autrefois étaient si vivantes, accueillant un cinéma mondial, donnant une fenêtre sur le monde, nous n’avons aujourd’hui plus qu’un calque passionné, un voile entretenu comme secret substantiel, pour comprendre le fonctionnement des résonances du contrôle des pensées jusqu’à l’effondrement.

Avec Portraits Fantômes, Kléber Mendonca Filho conçoit une synthèse tout à la fois de plusieurs décennies culturelles d’un pays, de ses modulations, mais aussi un constat de son cinéma, un geste intime, mélancolique, nostalgique, comique et sincère, dans lequel nous percevons les reflets qui ont alimenté l’un des cinémas les plus passionnants de ces dernières années, parfois dans la répétition mais avec un amour total et désintéressé, une lumière par laquelle nous percevons la renaissance de tout un pays.
Le Brésil ressuscite et ses fantômes sont loin d’être dans la tombe, l’invisible se dévoile jusqu’à l’indicible, pénétrant le tangible, devenant réalité.

Laisser un commentaire

Ici, Kino Wombat

Un espace de recherche, d’exploration, d’expérimentation, du cinéma sous toutes ses formes.
Une recherche d’oeuvres oubliées, de rétines perdues et de visions nouvelles se joue.
Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

Let’s connect