
| Réalisateur : Wei Shujun |
| Acteurs : Yilong Zhu, Zeng Meihuizi |
| Pays : Chine |
| Durée : 102 minutes |
| Année de sortie : 2023 |
| FESTIVAL DE CANNES 2023 / UN CERTAIN REGARD |
Synopsis : En Chine, dans les années 1990, trois meurtres sont commis dans la petite ville de Banpo. Ma Zhe, le chef de la police criminelle, doit élucider l’affaire. Alors que l’affaire piétine, l’inspecteur Ma est confronté à la noirceur de l’âme humaine.
Wei Shujun est ce nom encore assez confidentiel, si ce n’est mystérieux, du cinéma asiatique, et qui pourtant, risque de s’imposer dans les années à venir comme véritable pôle d’expression du cinéma chinois.
Le cinéaste détient sa propre grammaire filmique, installant ses récits dans des cadres que nous pensons contenir, saisir, pour finalement les voir s’évaporer sous nos rétines hallucinées, concevant un espace singulier à explorer, faisant de l’invisible la pièce maîtresse de son cinéma.
En seulement 5 ans, le réalisateur chinois a enchaîné les tournages, consacré à Cannes en 2018, il a depuis réalisé pas moins de quatre long-métrages, encore difficiles à découvrir sur notre territoire.
Only The River Flows est un thriller brumeux.
Chine rurale, village balayé par la pluie, toitures éventrées, le cinéma local vient de mettre la clé sous la porte, devant la toile le nouveau commissariat prend ses quartiers.
Dans ce climat où l’autorité prend le dessus sur les rêves, où l’institution investit la culture, en périphérie de la ville, une vieille dame est égorgée sur la berge.
Une enquête est ouverte, une investigation qui invite à la rencontre du village, de ses habitants et de la morosité ambiante.

Le film de Wei Shujun prend les apparats d’un thriller chinois ordinaire, et se retrouve rapidement dans l’impasse, celle de la logique.
La direction narrative progresse alors, de manière délicate, vers une appréciation extrasensorielle étonnante, rappelant par moments Memories Of Murder de Bong Joon-Ho, dans l’errance du récit, mais également l’esthétique de Bi Gan et ses villes humides, Kaili Blues en tête, où les murs suintent les larmes de citoyens errants, où l’espoir n’est plus que chimère, où la poésie crépusculaire s’immisce dans la moindre parcelle de vie subsistante.
Le regard de Wei Shujun dépasse donc rapidement, et avec aisance, le cinéma policier, afin de se consacrer à une véritable crise sociétale, une impasse tout autant idéologique que spirituelle.
Avec grâce, le cinéaste peint minutieusement ses personnages, ses lieux et leurs interactions.
Il questionne avec finesse et clairvoyance tout un régime où le divertissement a été investi par les institutions étatiques, par le contrôle et l’autorité.
Il fixe les issues de la localité, ses barrières, qu’elles soient visibles ou invisibles et menotte toute une population ayant appris à suivre la route sans jamais tenter de s’en extirper.
Ne reste alors plus qu’à chercher dans les interstices, les esprits libres, les esprits inadaptés à ce cadre monstre.
Le fou devient poète, l’handicap se meut liberté.

Dans cette enquête qui ne trouve plus de logique, tant la répression étatique est devenu le plus grand criminel, l’angoisse principale de la population, où l’apparition d’un meurtrier n’est plus que difformité maladive, progressive, et finalité évidente de tout autoristarisme, Wei Shujun orchestre le récit tel un corps souffrant, autodestructeur, suicidaire, pour toucher une dernière fois au monde des songes, pour s’offrir une dernière liberté, un geste ultime pour exister.
Avec Only The River Flows, Wei Shujun ouvre un espace poétique enivrant, à la fois anxiogène et libre, où il place le spectateur dans une position de chercheur de l’abstraction pour restructurer cet étrange puzzle, laissant des pièces occultées, voie pour nourrir les esprits malades, issue pour réinventer le monde.


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