La Femme Sur La Lune : Critique et Test Blu-Ray / Fritz Lang Et Le Nouveau Monde

Réalisateur : Fritz Lang
Acteurs : Willy Fritsch, Gerda Maurus, Klaus Pohl, Fritz Rasp, Gustl Stark-Gstettenbaur, Gustav Von Wangenheim, Tilla Durieux, Margarete Kupfer
Genre : Science-Fiction
Durée : 170 minutes
Pays : Allemagne
Année : 1929 (salles) / 2023 (Blu-Ray)

Synopsis : Selon une obscure théorie scientifique, il y aurait de l’or sur la lune. Wolf Helius décide de mettre sur pieds une expédition pour en avoir le coeur net. Il embarque dans cette aventure spatiale un ingénieur et sa femme Friede, dont il est secrètement amoureux, mais aussi un vieux scientifique, un jeune garçon et un affairiste louche. Ce qu’ils finissent par découvrir exacerbera amour, jalousie, cupidité ou bien encore lâcheté.

Si il y avait bien un réalisateur qui avait pâle mine en France, du moins dans la représentation et l’accessibilité de sa filmographie, il s’agissait bien de Fritz Lang. Cinéaste classique incontournable et pourtant si difficile à découvrir, à l’exception de M Le Maudit, La Rue Rouge et Le Docteur Mabuse.
Alors, que fut notre joie lorsque Potemkine annonça en décembre dernier son coffret monstre autour de Metropolis, pas la plus rare de ses œuvres, mais la plus réputée, la plus grandiloquente, l’apothéose de sa période allemande. Une joie telle qu’il était difficile d’imaginer la suite du programme avec l’arrivée de deux nouveaux titres restaurés de la filmographie muette de Fritz Lang : Les Espions et La Femme Sur La Lune.
Il n’en fallut pas moins pour que Kino Wombat contacte l’éditeur français afin de se ruer sur ces deux éditions.

Dans ces lignes, Kino Wombat étudiera l’édition Blu-ray de La Femme Sur La Lune.

L’article s’organisera en deux temps :

I) La Critique de La Femme Sur La Lune

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

I) La Critique de La Femme Sur La Lune

De Georges Méliès à Alfonso Cuaron en passant par Stanley Kubrick, Christopher Nolan, Irving Pichel, Brian De Palma, Danny Boyle, Andrei Tarkovski ou encore Damien Chazelle, une grande partie des cinéastes aficionados de la mise en scène se sont offerts en spectacle à travers la conquête spatiale, et bien que La Femme Sur La Lune soit un titre timide, peu mentionné, sur ce territoire, il reste néanmoins la proposition qu’a pu faire Fritz Lang sur le sujet, un point de vue, qui, bien qu’occulté par l’histoire du septième art se révèle fascinant.
Et pourtant, il s’agit ici du premier film à questionner le voyage vers la lune avec une véritable rigueur scientifique, certains codes seront repris des décennies plus tard lors du lancement des fusées, tout comme le design de l’appareil et ses caractéristiques techniques.
Certains plans et maquettes seront même confisqués, et le film interdit, par l’Allemagne Nazie, tant certains croquis et modèles étaient semblables aux idées développées par les ingénieurs de l’époque.

Le professeur Manfeldt a rédigé une théorie autour de la présence de montagnes d’or sur la lune. Une hypothèse alléchante qui lui aura valu nombre de moqueries de ses confrères et trente années de solitude loin des savants, loin des amphithéâtres. Trois pénibles décennies qui auront permis aux astres de s’aligner faisant se croiser le chemin du vieil homme à ceux d’Helius, explorateur ayant pour rêve d’explorer les terres éloignées d’Hecate, et Winnedegger ainsi que sa femme Friede, ingénieurs intéressés par le projet. L’équipée se voit alors très vite contrainte de réévaluer ce voyage purement scientifique dès lors que des vautours, industrie maladive, grandes fortunes, se mettent à planer au-dessus de leurs têtes, souhaitant dérober le projet pour engranger encore et toujours plus de pouvoir, encore et toujours plus de profit.

Fritz Lang comme à son habitude prend le temps de concevoir son récit, prend le temps de présenter les mécaniques pour ensuite nous embarquer dans une magistrale fresque où les motifs présentés deviennent hypnoses, où les minutes et les heures filent. En un peu moins de trois heures, le cinéaste allemand segmente son œuvre en trois parties : le projet, la préparation au voyage et l’exploration lunaire.
Tout comme il le proposait quelques années plus tôt avec Metropolis, Lang modèle tout un monde, tout un système, toute une économie pour offrir une véritable profondeur à son récit, dépassant allègrement le simple parcours d’aventure offert pour dessiner une vive critique à la fois de l’industrialisation et du capitalisme, de la course au progrès tout comme de la ruée vers les ressources naturelles, vers l’enrichissement.
Dans cette découverte d’une lune traversée de couloirs d’or, se distingue le spectre effrayant de la ruée vers l’or et des Etats-Unis, de la sauvagerie avec laquelle des territoires entiers se sont transformés en cauchemars, bourbiers infâmes, faisant la fortune de quelques uns, soumettant la plupart des autres.
Dans sa réflexion présente, Fritz Lang questionne les marchés et la valeur intrinsèque de l’or.
Faut-il explorer la lune ? L’or ne sera-t-il pas dévalué ? Des fortunes entières ne vont elles pas sombrer ?
Face au progrès, face à l’avarice, la proposition installe une nouvelle terre de promesses et interroge sur le maintien des jeux de pouvoir si un nouvel El Dorado venait à faire son apparition. La manière d’articuler la pensée est redoutable, Lang pose des questions fâcheuses et voit bien plus loin que son époque, joue d’avant-garde comme il l’avait fait avec ses autres films qu’il s’agisse de Die Nibelungen, utilisant l’histoire pour raconter tel Nostradamus de sombres lendemains, ou Metropolis, et le dépassement de l’humain par un urbanisme maladif, par une technologie vorace et autodestructrice.

Lang dans sa symphonie en trois actes rappelle à quel point son désir de divertir, de toucher un public à la fois large mais aussi exigeant, est important. Tout en modelant son analyse du monde moderne, du chaos inhérent à l’homme, il n’oublie jamais de raccrocher son film à une histoire plus traditionnelle, aux sentiments, à travers le motif du triangle amoureux il dessine une définition complexe et polymorphe de l’amour, à l’aventure, en explorant une terre encore vierge, en nous offrant de nouvelles configurations géologiques et ses dangers, expérimentant les éléments, les matières et les textures.
Lang touche également à un axe tout particulier dans la perception de la conquête spatiale à travers la lecture générationnelle, allant du vieux théoricien, à l’enfant rêveur en passant par les industriels et le couple d’ingénieurs, Lang dessine un curieux équilibre à trois pôles entre visionnaires, rêveurs et réalistes, qui touche à une certaine forme de vérité face à la recherche du vide, de l’inconnu, une nécessaire collaboration. Le passé, le présent et le futur s’offrent ainsi une danse pour défier le temps et rencontrer l’espace.

Dans ce monde d’hommes qui ne vit que de l’inaccessible, qui se fourvoie dans une perpétuelle frustration, Fritz Lang construit le personnage de Friede, pilier centrale de l’oeuvre, véritable sagesse de ce groupe hystérique, vivant l’instant et comprenant bien plus l’être humain, suivant les hommes non pas pour la conquête de l’espace, afin de sustenter un creux insatiable, mais pour nourrir son âme, s’élever et toucher la grâce.
En cela, le cinéaste incorpore tout un arrière-plan biblique à travers le personnage de Friede, Eve moderne, mais également Vierge Marie, devenant mère de substitution, et lumière dans l’obscurité. L’humain s’échappe vers la lune, le cosmos, l’au-delà, à la recherche de réponses, pour se trouver fatalement confronter à la création, à la Genèse face à ses nouvelles terres immaculées.
Tout en discrétion, de manière parallèle au récit mis en premier plan, le cinéaste construit un personnage féminin fort, un arc lumineux, qui dans l’ombre réussit à sauver toute cette galerie de personnages d’un naufrage certain. Si jusqu’à présent toutes les expéditions vers la lune ont fini dans le péril, avant l’expédition d’Helius, c’est très certainement car le génie de la femme n’a jamais été consulté. Fritz Lang met de la sorte le doigt sur tout un pan de l’humanité ignoré, délaissé et pourtant porteur d’un avenir certain, de solutions nouvelles afin de trouver cet équilibre impossible tant le genre masculin est devenu omniprésent jusqu’à faire chavirer et sombrer la balance de la vie dans les ténèbres.

Contrairement à ce que l’on trouve habituellement en matière de films autour de la conquête spatiale et ses mises en scènes chargées et grandiloquentes, jusqu’à l’indigestion, Fritz Lang pourtant connu pour ses œuvres colossales, aux milles détails et reliefs, joue ici la carte du minimalisme, sans jamais sacrifier la rigueur scientifique.

La Femme Dans La Lune, bien que discret dans la filmographie fleuve de Fritz Lang, est un passionnant essai sur la conquête spatiale et les motifs qui nous guident à découvrir, explorer, conquérir. Le cinéaste allemand, quelques années après le grandiloquent Metropolis, fait ici le pari du film d’aventure spatial minimaliste et vient questionner l’humain pour définir le cosmos, les territoires inconnus comme reflets de l’âme, et se confronter à la question même de la création.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Image :

Restauré en 2K ce nouveau master que nous découvrons est, certes, imparfait mais miraculeux.
De nombreuses rayures, marques du temps, oscillations lumineuses et quelques mouvements de cadres parsèment le rendu proposé qui brille cependant de par un niveau de détails tout bonnement fascinant.
Les visages capturent nos rétines et les espaces gagnent en profondeur. Le voyage est hypnotique et même si la présence continue de « défauts » dû au matériel disponible pour la restauration se fait sentir, nous nous en affranchissons très aisément pour profiter avec émerveillement de ce petit chef d’œuvre.

Note : 8 sur 10.

Son :

La piste  DTSHD-MA 2.0 musicales du film, quant à elle, est au dessus de tous reproches, extrêmement claire, profonde, spatialisant à merveille les différentes lignes instrumentales. L’arrangement nous guide au cœur du film et participe grandement à la pénétration au cœur de l’œuvre.

Note : 9 sur 10.

Suppléments :

Deux suppléments et un livret sont proposés avec l’édition Blu-Ray de La Femme Sur La Lune :

  • « En apesanteur » : analyse par Julien Wautier et Céline Staskiewicz (10′)

Un supplément incontournable venant décrypter le film de manière synthétique, ouvrant de belles pistes de lecture, et apportant des anecdotes intéressantes, le tout porté par une voix profonde et enivrante avec pour fond un montage d’extraits du film. Le coup de cœur de l’édition.

  • Entretien avec Bernard Eisenschitz, historien et spécialiste de Fritz Lang (39′)

L’historien offre une étude très détaillée du film de Fritz Lang tout en menant une analyse parallèle continue avec l’Histoire. Bernard Eisenschitz nous guide dans les coulisses de la création de l’oeuvre revenant sur le financement du film, la carrière de Lang et l’arrivée du cinéma parlant.
Le contenu est extrêmement chargé et demande une véritable attention pour pleinement se nourrir de tout ce contenu qui offre la possibilité d’explorer tout un pan de cinéma, toute une époque et une industrie. Superbe.

Concernant le livret, il est impossible de notre côté de nous exprimer sur son contenu, n’ayant reçu pour les besoins du test technique uniquement le disque blu-ray, mais il est difficile de douter de la plume d’Olivier Père.

Avis général :

Quelle joie d’enfin pouvoir découvrir ce chaînon si difficile d’accès de la période allemande de Fritz Lang. Un film de conquête spatiale visuellement épuré qui nous parle bien plus des hommes et leurs vides que du cosmos et ses horizons infinis, une confrontation à nos propres âmes s’opère dans une fresque fascinante.
Une expédition surprenante qui prend vie à travers une édition très complète de Potemkine, qui, comme bien souvent, propose un master son et image de grande qualité, et au-delà de cet aspect parvient encore à s’entourer d’experts de cinéma pour aborder, nous raconter et analyser ses œuvres.

Note : 8.5 sur 10.

Pour découvrir le film au format Blu-Ray :

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