| Réalisateur : Nuri Bilge Ceylan |
| Acteurs : Deniz Celiloğlu, Merve Dizdar, Musab Ekici |
| Genre : Drame |
| Durée : 197 minutes |
| Pays : Turquie |
| Date de sortie : 12 juillet 2023 |
Synopsis : Après avoir enseigné pendant quatre ans dans l’école locale d’un village reculé d’Anatolie, Samet et son collègue Kenan sont confrontés à des accusations de harcèlement sexuel de la part de deux élèves.
Quatre ans après être reparti bredouille, pour la première fois de sa carrière, à Cannes, avec l’extraordinaire Le Poirier Sauvage, Nuri Bilge Ceylan, réalisateur bien connu pour l’autopsie de ses personnages et récits fleuves au cœur d’une nature révélatrice des maux invisibles est de retour pour briguer sa seconde Palme D’Or.
Avec Les Herbes Sèches, le cinéaste turc ne déroge pas à la règle et franchit de nouveau le cap symbolique des trois heures.
Dans un village reculé, prisonnier des neiges, le second semestre se met en branle. Les élèves du collège s’activent dans la cour.
Samet, professeur d’arts, franchit le portail, accueilli par une bataille de boules de neige. Il revient de quelques jours chez sa mère, bien plus éreinté que lorsqu’il avait quitté l’établissement. Il retrouve ses collègues, unis face à l’adversité, la rudesse de l’environnement, des élèves, des enseignements, une communauté de désillusionnée se dessine.
Les affinités avec certains élèves sont plus appuyées, particulièrement avec Sevim, adolescente insouciante.
Tout bascule le jour où Samet et un collègue, colocataire mais aussi ami, sont convoqués par leur hiérarchie. Tout d’abord miroitant une promotion, qui aurait permis de mettre les voiles loin de ce trou, les deux hommes sont accusés de comportements déplacés par deux élèves de l’école. Aucun nom ne filtre, les deux hommes sont isolés, non soutenus par leurs collègues, ignorés par leur hiérarchie.
Dans cet isolement, les deux compères vont faire la rencontre d’une jeune femme, portrait d’un pays tout en opposition, seule voie pour respirer, visage énigmatique et pourtant révélateur de l’âme de l’un comme de l’autre. La confrontation du bien et du mal en chacun se dessine, des dilemmes se paramètrent. Tiraillés entre entraide et égoïsme, un étrange climat s’installe, pour la survie et la dépassement d’un naufrage à venir. Les hommes s’effacent, la jeune femme se révèle, fissure après fissure, témoignant d’une situation où le moindres individus sont écartelés par leur présent tout comme par leur passé, face à un avenir instable.

Nuri Bilge Ceylan continue à sculpter son œuvre fresque, celle d’un pays et de ses âmes errantes, de sa philosophie perdue au cœur de paysages infinis tout aussi fascinants qu’étouffants. La dualité, les affrontements d’âmes, d’histoires et de pensées, sont légions chez le réalisateur turc qui joue de plans d’une longueur redoutable, troublant d’hypnoses, laissant les mots trouver leurs voies dans le cadre pour révéler les champs invisibles, pour lever le voile sur les maux véritables et interroger en profondeur un quotidien qui étrangle les émotions, des blessures cachées qui rencontreront enfin le jour.
Avec cette nouvelle proposition, toujours aucun essoufflement à l’horizon, et peut-être même plus de vitalité tant cette nouvelle expédition philosophique prend la forme d’une synthèse de tout le cinéma que le réalisateur façonne depuis Kasaba, et y ajoute des touches humoristiques inattendues, succulentes.
Les oppositions entre ville et campagne, individu et communauté, accusateurs et accusés, célibat et union, cisaillent l’image et dépassent de loin la simple projection. Le film vient progressivement saisir le regard du spectateur au cœur d’un édifice vertigineux mettant en contraste et en reliefs tout un pays, tout un monde.
En ne prenant jamais parti pour ses personnages, Nuri Bilge Ceylan parvient à nourrir un théâtre complexe où tout un chacun découvrira aveuglément la voie qu’il souhaite suivre, où chaque spectateur trouvera une résonance avec sa propre existence. L’expérience est transcendante, les saisons défilent, nos sentiments fluctuent, au gré des plans, des dynamiques en jeu, créant en nous un délicat mais déstabilisant tremblement. Les séquences ouvrent des brèches dans nos esprits qui ne se referment pas, qui attisent la liberté, qui marquent à jamais.
Les Herbes Sèches est un écartèlement philosophique, sentimental, humain, qui, dans ses brisures invite notre environnement, par miroitements, à offrir les solutions invisibles, par reflets, à nous glisser des secrets du monde que nous entendons parfois trop tard, élevant un récit entre temps et relations d’une finesse et d’un tranchant que seul Nuri Bilge Ceylan maîtrise.
La palme d’or Kino Wombat est là.


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