Objet du documentaire : Tourné au Japon, le film fait résonner des voix de femmes avec la vie et les textes des autrices Fumiko Hayashi et Yuriko Miyamoto qui reflètent les luttes d’aujourd’hui autour du genre, de la politique et de l’amour.
| Réalisatrice : Wendelien Van Oldenborgh |
| Genre : Documentaire |
| Pays : Japon, Pays-Bas |
| Durée : 40 minutes |
| Année : 2022 |
| FID MARSEILLE 2023 |
Avec Of Girls, Wendelien van Oldenborgh vient de nouveau nourrir le champ d’un cinéma à la fois documentaire et expérimental, sillonnant des directions hybrides, exhumant le passé, en l’occurrence deux femmes aux réflexions, pensées, majeures, et pourtant invisibilisées, ayant vécu durant la première moitié du 20e siècle, pour dessiner le combat contemporain du féminisme.
Elle plonge aux racines d’une lutte, d’une structuration, et met en parallèle les textes, notes, poèmes, actes, pensées de Fumiko Hayashi, autrice, et Yuriko Miyamoto, activiste politique.
Dans cet exercice de fouille, littéraire et historique, la cinéaste convie à des lectures ouvertes et tables rondes autour des sujets abordés par les écrits, les ruines, racines de pensées aujourd’hui fondamentaux.
En seulement quarante minutes la cinéaste couvre une grande étendue de thématiques, de domaines, de la question du genre à la place de la femme, de l’amour, de la guerre et des arts, tout en menant un travail de restitution d’existences.
Si l’on pense constamment à De Beauvoir, Arendt ou Wolf, il est certain qu’après avoir été envoûté par Of Girls, les travaux tant d’Hayashi que les luttes de Miyamoto vont nous parcourir durant de longs mois, créer une interstice en nous, une nouvelle lumière, pour éclairer nos pensées, face à un Japon habituellement réservé sur l’expression des mouvements féministes à la moitié du 20e siècle.
Il n’y a d’ailleurs qu’à penser aux réflexions de Mizoguchi lorsque Kinuyo Tanaka a voulu passer de devant à derrière la caméra, et son difficile parcours vers la reconnaissance.
Pour mettre en images ce projet particulièrement intrigant, pour faire jaillir la mémoire, paver de nouvelles voies réflexives et réinterpréter le monde, la réalisatrice use d’un split screen en fondu, qui permet de lier les perceptions, idéaux et engagements intellectuels de Miyamoto et Hayashi. D’un côté la maison de Hayashi, où sont nés ses textes, permettant de percevoir un espace pensé et organisé par l’autrice, reflet de son être intérieur, et de l’autre, une bibliothèque publique, lieu de partage de la mémoire, espace pour annihiler l’oubli. Dans cette rencontre des cadres, fluide, Of Girls orchestre des vases communicants où les réflexions, miroitements intellectuelles de l’une, rebondissent sur l’histoire de l’autre. Les cadres se lissent parfois, s’unissant, avec de légères fluctuations dans l’image pour appuyer des opinions connexes mais tout en variations, qui dans l’infime, l’indicible font grandir nos propres avis sur les questions soulevées.

En portant ces lectures à des échanges entre intervenants actuels la réalisatrice rebondit sur les expressions, les interstices de pensée, les bribes qui ont porté leurs fruits, auscultant les racines des idéologies modernes. Elle prolonge les mots et mène des lecteurs comparées entre les langues, potentielle source d’erronement des philosophies, le passage du japonais à l’anglais perdant alors ses finesses, sa précision, détournant l’âme des autrices pour finalement dénaturer le texte de sa puissance. Cette analyse de la barrière langagière est plus que pertinente et ouvre alors à la réappropriation de bibliothèques entières, à la lecture comparée des textes avec leurs traductions pour retrouver la sémantique et mener les poètes et penseurs à travers le temps, à nous glisser les secrets de l’invisible pour construire un avenir nouveau.
L’Histoire n’est pas affaire d’une poignée de grands noms, masculins, elle est la construction de millions, milliards d’âmes, bouillon de réflexions, à mettre en lumière pour éviter l’impasse, bâtir l’éternité.
Of Girls est un document formidable qui permet la rencontre de deux intellects occultés, deux femmes, qui, si dans l’Histoire avait été reconnues, auraient certainement influé sur le monde dans lequel nous vivons, ouvert de nouveaux cheminements de vie et de philosophies.
Grâce à Wendelien van Oldenborgh, nous avons désormais la possibilité de voir les racines de pensées qui émergent encore tout juste, solidifiant un socle nécessaire pour nous réinventer, nous trouver dans nos âmes, tout comme dans nos corps, loin des attentes uniformes d’un monde en crise, fou, faisant de l’individu un simple chaînon à classifier.
Reprenons nos libertés, qui que nous soyons, vivons là où nos corps et nos pensées nous porteront, ouvrons les bibliothèques pour renouer avec nos destins.


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