The House (Skinamarink) : Critique / Distortions, Spectres Et Hallucinations, Un Reflet Dans L’Obscurité

Synopsis : Deux enfants se réveillent au milieu de la nuit pour découvrir que leurs parents ont disparu et que la maison s’est transformée en un labyrinthe cauchemardesque.

Réalisateur : Kyle Edward Ball
Acteurs :  Lucas Paul, Dali Rose Tetreault
Genre : Expérimental, Horreur
Pays : Canada
Date de sortie : Juillet 2023
Durée : 100 minutes

Kaylee et Kevin sont deux jeunes enfants vivants dans une maison typique de banlieue américaine. Kevin, 4 ans, est somnambule. Une nuit, il se réveille, désorienté, va chercher sa sœur, leurs parents ont disparu. Ils ne connaissent pas l’heure et commencent à attendre leurs parents comme si le soleil était sur le point de se lever. Ils s’installent devant la télévision, mettent un dessin animé et jouent. La nuit semble éternelle. Autour d’eux, des murmures, des voix, les murs se meuvent, des fenêtres apparaissent et disparaissent, les toilettes sont changés par un simple seau, les portes se verrouillent. Face à l’hypnose de l’écran, les enfants ne s’inquiètent pas tout de suite, laissent inconsciemment le piège se dessiner autour d’eux. Est-ce un cauchemar ? S’agit d’une réalité alternative ? Sommes nous au cœur d’une terreur nocturne ?

Sous ses apparats de film d’horreur, quelque part entre Projet Blair Witch et Paranormal Activity, le premier long-métrage de Kyle Edward Ball s’éloigne de toute cette dimension sensationnaliste du cinéma d’épouvante, de tout schéma narratif convenu, préférant s’inspirer lointainement de l’atmosphère des Creepy pastas, œuvres littéraires fictives de frayeurs sur internet particulièrement effrayantes, pour pleinement embrasser le cinéma expérimental et créer une œuvre au dispositif étonnant et hypnotique, dépassant les codes traditionnels pour plonger nos regards dans l’obscurité et nous laisser distinguer nos peurs les plus intimes.
De la sorte bien qu’utilisant une caméra numérique, devant tristement utiliser un filtre argentique faussement abîmé, le cinéaste joue des saturations, des fréquences spectrales et influe nos regards à travers les craquèlements de l’image, ses poussières, ses rayures et ses énergies vacillantes. De cette distortion face à la nuit, face à toutes ces particules en mouvement, Kyle Edward Ball se plait à venir décrocher le regard du récit et présenter le projet tel un miroir des fractures intimes du spectateur.
Un tour de force remarquable tant le film en n’étant qu’une succession de plans fixes réussit de par son atmosphère visuelle et sonore à réveiller ce que nous avions terré au fond de nos âmes. L’expérience du film relève alors de la sensibilité de tout un chacun, de nos capacités à entrer en contact avec les mondes extra-sensoriels, à croire, à voir, à distinguer les signes et les formes dans le magma invisible mais constant qui nous porte.

Sous forme de dédales cauchemardesques, où la maison ne semble plus avoir de structures, dépassant les concepts rationnels, les deux enfants, nous, qui portons le regard, qui sommes la caméra, nous nous laissons encercler par des ténèbres qui progressivement dévorent la lumière, qui encerclent tout en se jouant de nous.
Des susurrements, des appels venant de l’étage puis de la cave séparent les enfants, les mettent à l’épreuve, les sanctionnent. Les jouets disparaissent, les uns après les autres, le dessin animé joue de variations définissant le spectre au cœur des ombres. La présence est indicible mais le sang bien présent.

C’est alors que nous nous questionnons sur l’histoire contée et nous remettons en question de quel côté du réel se situe le récit. Et si, depuis la première fenêtre dérobée, si depuis le réveil, nous n’étions déjà plus dans notre monde ? Et si par un murmure suivi nous avions pénétré dans l’antre d’un monstre ? Et si tout simplement nos parents se trouvaient bel et bien à la maison, à notre recherche, tandis que lentement nous nous faisions dévorer par nos songes obscures ?

The House est un film d’hypnose, où le rythme, d’une rare lenteur pour le sujet traité, les entités spectrales malveillantes, vient à canaliser notre regard sur des éléments fluctuants au cour du récit, de petits éléments captant l’attention, là où dans les territoires ombragés la terreur nous appelait, silencieuse, par un fin jeu de piste, nous faisant passer d’un réel à l’autre, pour nous piéger, nous enfermer à jamais dans ces images, conçues par Kyle Edward Ball, avec un soin particulier pour façonner l’au-delà tout en immobilismes et distorsions, comme un rituel venant d’un autre temps, celui de nos peurs intimes. Terrifiant.

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