Synopsis : Valeria réalise enfin le rêve de son couple : devenir mère. La grossesse ne se déroule hélas pas du tout comme prévu. Elle perd du poids, sent et entend ses os craquer sans raison, sans parler des hallucinations qui la poursuivent en tout lieu.
| Réalisatrice : Michelle Garza Cervera |
| Acteurs : Natalia Solián, Alfonso Dosal, Mayra Batalla |
| Genre : Drame, Horreur |
| Durée : 98 minutes |
| Pays : Mexique, Pérou |
| Date de sortie : mai 2023 |
Val et Raul forment un couple qui semble épanoui, leur maison est pleine de lumière, Val sculpte les meubles, les décorations, les amants respirent la joie. Dans ce conte de fée, que rien ne paraît obscurcir, il ne manque qu’un enfant, cerise sur le gâteau pour asseoir le statut de famille, aux yeux de tous, et vivre l’épanouissement promis par la société. L’heureux événement pointe le bout de son nez. Val est enceinte, son corps change. Elle maigrit, a des visions, et se met régulièrement en danger. Son entourage commence à se révéler, les jugements, les regards railleurs, l’avis de tout un chacun l’assaillissent autour de son passage de femme à mère.
D’un profil à l’autre, toute une identité sociale est à reconstruire, une identité difficile à façonner tant elle repose sur l’appréciation d’autrui. Les phénomènes étranges se multiplient, Val n’est plus maîtresse en son corps. Des failles s’ouvrent, les ténèbres s’immiscent, ce que nous percevions comme la vie idéale devient un cauchemar sans fin. Les os craquent, la rétine hallucine, la chair se tord.
Pour son premier long-métrage, Michelle Garza Cervera emprunte les codes du body horror et la menace ancestrale de la folk horror. Elle travaille ces champs avec habileté en les faisant graviter en périphérie, elle n’appuie jamais leurs présences, comme une indicible brume, construisant une atmosphère glissant insidieusement vers le surnaturel. La cinéaste joue de ces terrains bien connus, tout en travaillant à la bordure, œuvrant avec une certaine finesse sur les champs du drame psychologique, si ce n’est psychanalytique.
En racontant cette désappropriation du corps, de l’individu et de sa personnalité, dû à la grossesse, Huesera explore une histoire vécue par un grand nombre de femmes. Garza Cervera analyse en cela les modulations des rapports humains face à cette transition, traversée à sens unique, aller simple, sacralisation poussant à l’exil.
Qu’il s’agisse du mari, n’osant plus toucher sa bien aimée, à la famille, se moquant de cette décision irresponsable faisant remonter des décennies de rancune, à l’avis des amis tout comme des regards du voisinage, décrétant la faculté ou non de l’individu à élever un enfant, la proposition conte une Malédiction qui traverse nos vies, une sentence induite par la société, un poids terrassant, poussant au rejet de soi, au rejet du monde, au rejet de l’être porté, faisant du monde environnant un incessant tribunal.

Garza Cervera a un véritable sens du rythme dans la narration, a un véritable savoir-faire lorsqu’il s’agit de construire des personnages, jouer de mystères, cultiver les ombres pour tenir en haleine l’attention du spectateur. C’est ainsi en structurant la situation initiale de manière solide, avec des protagonistes auxquels nous croyons, que le film travaille l’identité, prenant un malin plaisir à éparpiller des indices sur le passé pour mieux faire se dérober tout un décorum établi.
De la sorte la cinéaste réussit un tour de force en créant des individus avec une véritable existence, des chemins de vie ne se limitant pas seulement à l’intrigue, son cadre, mais des voies complexes qui de manière invisible ont mené à créer les situations du présent. C’est dans cette approche, en décomposant le personnage de Val que Huesera nous embarque dans un voyage vertigineux, dans le cœur du subconscient, dépassant le rationnel, invitant l’horreur par les traumatismes du temps.
Des intérieurs resplendissants de couleurs, où parallélismes et structures du cadre installe la stabilité du couple, dans un appartement surplombant le quartier, jusqu’au chaos désorganisé, qu’elle appuie tant dans le champ de la vue, s’amusant à disloquer l’harmonie ambiante, faisant descendre Val dans les rues, arpentant des souterrains alternatifs, que dans le rapport sonique au monde, faisant pénétrer progressivement free jazz et punk pour souligner le chaos interne, Huesera est une véritable mine de détails, où les espaces externes traduisent le mal-être interne, où les souffrances jaillissent graduellement du corps pour inonder le monde. Un travail pertinent de l’indicible qui en grattant, derrière les papiers peints, et la société de l’image, réveille les terreurs ensommeillées, celle de l’esprit, celles des champs surnaturels qui parcourent les terres d’un pays ayant oublié ses croyances, dans une tempête d’uniformisation que l’on nomme mondialisation.
C’est d’ailleurs d’une fine lecture que de s’installer dans le corps d’une ancienne femme des bordures, qui a rejeté le système, eu des activités militantes, âme punk, qui, pour le salut social, la paix factice, se laisse insidieusement dévorer par les rouages induits par l’Etat et sa doctrine, s’oublie, se disloque, ouvrant des des sentiers au mal oublié, celui renvoyant aux croyances profondes, celles dont seuls les gènes enfouis se souviennent, surnaturel qui n’est autre que réel primaire que nous tendons à ensevelir mais qui ne peut disparaître, se nourrissant de notre chair pour un jour nous rappeler à notre condition.

Bien que Huesera ait réussi à charmer nos regards à travailler le champ dramatique civilisationnel, à constituer une esthétique singulière et à mener avec intelligence son récit, il est plus difficile d’accrocher à sa conclusion et à son bain total dans les champs horrifiques. Toute la puissance de la proposition résidait justement dans cette suggestion, dans le dessin des hallucinations et de la déconstruction du monde jusqu’à l’écroulement. Un travail qui finalement se trouve être rattrapé par son horizon d’horreur, pliant bagages, et manquant d’une réelle inspiration, là où elle brillait depuis son introduction, à constituer une originalité face au monstrueux, aux rites et exorcismes, copiant de-ci, de-là, souhaitant impressionner là où nous étions déjà pourtant déjà totalement acquis, et s’effondrer dans la métaphore grandiloquente.
Huesera est une proposition qui donne à repenser un cinéma d’horreur qui ces dernières années n’a cessé de se répéter, de jouer avec ses archétypes, d’expérimenter sa dimension meta, oubliant complètement les cheminements narratifs, oubliant le cinéma, pour les pâles rives du divertissement.
Le premier long-métrage de Michelle Garza Cervera est à la fois un régal esthétique et un fin travail d’équilibre entre déstructuration du réel et maintien en bordure des champs horrifiques, distillant par endroits la terreur pour révéler les individus, leurs identités, poussant à s’émanciper de rôles sociétaux asservissants. Un équilibre qui aurait pu mener aux sommets si la cinéaste n’avait pas décidé en cours de route de plonger dans l’horreur frontale, espace où finalement elle ne fait que reconstruire des schémas horrifiques connus et entendus, et faisant s’effondrer tout un travail psychanalytique, de pénétration du subconscient, d’une intrigante habileté , pour un sensationnalisme ennuyeux. Maintenant il ne reste plus qu’à surveiller la suite de la carrière de Michelle Garza Cervera, car avec un canvas tel que Huesera et sa sensibilité d’écriture, on ne peut qu’espérer des lendemains faits de ténèbres radieux.



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