Synopsis : Un jeune homme est enfermé dans un asile psychiatrique. Une seule pensée l’anime : s’échapper de cet univers carcéral et déshumanisé.
| Réalisateur : Georges Franju |
| Acteurs : Charles Aznavour, Jean-Pierre Mocky, Pierre Brasseur, Paul Merisse, Anick Aimée |
| Durée : 95 minutes |
| Pays : France |
| Genre : Drame |
| Date de sortie (salles) : 1959 / Date de sortie (Blu-Ray) : Juillet 2023 |
Parmi les cinéastes de référence en France, nous avons fleurir ces dernières années tout un tas d’éditions faisant renaître des pans entiers de cinémas délaissés que cela soit Robert Bresson, Abel Gance, Louis Feuillade, et prochainement Maurice Pialat, mais là où certains se retrouvent de nouveau sur le devant de la scène, d’autres peinent encore à retrouver la lumière, comme Brisseau, avec des sorties éparses, et le cas l’un des cas le plus énigmatique se trouve être celui de George Franju, toujours représenté par son monstrueux et fascinant Les Yeux Sans Visage, mais délaissant toute une filmographie riche d’idées et d’expérimentations.
Aujourd’hui, ESC vient s’accroupir à côté de la carcasse du peu cité La Tête Contre Les Murs, premier long-métrage de Franju, une sortie assez discrète bien que promettant une restauration 4K propulsant les images dans notre modernité et quelques suppléments intrigants.
L’article suivant s’articulera de la manière suivante :
I) La Critique de La Tête Contre Les Murs
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

I) La Critique de La Tête Contre Les Murs
François est criblé de dettes. Il emprunte à l’un, pour rembourser l’autre, se laisse dépasser et ne voit plus qu’une solution voler son père, avec qui il n’entretient presque plus aucune relation. Pris la main dans le sac, le jeune homme se défend, baffe son paternel.
L’homme agressé décroche le combiné, pointe une arme sur sa descendance, l’empêche de fuir et le fait interner de force pour troubles violents au sein de l’asile psychiatrique local, un internement appuyé par la lettre du médecin de famille.
Il découvre un monde nouveau, un monde où rationalité et névroses se chevauchent, s’imbriquent et où la folie devient contagieuse.
Dès son premier long-métrage, George Franju installe les grandes lignes de son cinéma, hanté par un fantôme lointain de surréalisme, il ouvre un univers sombre dans ses atmosphères, poisseux et anxiogène, où le travail des lumières, des décors et de l’organisation du cadre ne cessent de nous glisser des secrets.
La Tête Contre Les Murs est ainsi une proposition se déroulant tant la nuit que le jour mais ayant continuellement cette dimension nocturne, donnant l’impression constante d’une traque, de la présence de prédateurs dans les moindres recoins de l’intrigue, créant un sentiment de trouble constant, une oppression totale.
Le cinéaste capte l’attention par l’inconfort, nous met constamment sur nos gardes et crée des personnages monstres qu’il s’agisse du père, aux multiples visages, des médecins, qui ne voient plus les patients comme individus à accompagner mais comme cobayes potentiels, des patients, dévorés de par leurs instabilités, et enfin, le personnage de François qui ne cesse de sombrer dans un inquiétant espace mental.

La grande force de cette première proposition de Franju réside dans la lecture des espaces dans lesquels évoluent les personnages, projections des espaces cérébraux des protagonistes, projection de l’inconscient de François, et reliefs des secrets enfouis.
Ainsi la géométrie et disposition des lieux devient un véritable labyrinthe de l’esprit qui intrigue et obsède.
L’analyse des différentes pièces, la place des objets, meubles, la taille des espaces jusqu’aux jardins dont la fontaine et un jardinet central symbolise une serrure, dépassent les mystères mêmes de l’intrigue, pour trouver un échappatoire à cette prison médicale expérimentale.
Un territoire où la lame du cinéaste est affûtée dès lors qu’il analyse le milieu médical et ses savants. Il ausculte les médecins, leurs méthodes, et leurs variations générationnelles dans l’approche des malades.
Les visions s’opposent, les doctrines se percutent. De la supervision d’un médecin à l’autre, l’expérience de l’asile peut alors très vite se transformer en cauchemar, en usine à morts-vivants.
Une vision que le réalisateur arrive très bien à mettre en scène, une modulation des approches, des individualités et des esprits, fascinante qu’il atteint grâce à une direction d’acteurs minutieuse, faisant oublier les grands noms qui se trouvent sous nos mirettes.
Ainsi Jean-Pierre Mocky, également co-scénariste, qui incarne François est glaçant de par ses mystères internes et son sort le faisant glisser de jeune homme perdu à âme damnée, Charles Aznavour, jouant le mélancolique à tendance épileptique désabusé est d’une sincérité rare, Anouk Aimée, en amoureuse maudite qui interprète doutes et sentiments avec une étrange versatilité nous captive, et quant à Pierre Brasseur ainsi que Paul Meurisse, médecins distordant l’institut dans un combat d’idéaux créant un gouffre entre les patients nous glacent.
Une alchimie naît, nous sommes littéralement portés par l’hypnose du projet.
D’ailleurs lorsque l’on aborde le cas Mocky, à travers La Tête Contre Les Murs, et son omniprésence tant face à la caméra, à l’écriture et dans le choix du casting, croisant acteurs débutants et confirmés, on se demande le niveau d’implication du cinéaste qui n’a pas encore tourné son premier film mais où nous retrouvons des éléments importants de son cinéma à venir, le spectre de La Cité De L’Indicible Peur plane.
George Franju, accompagné du regard acerbe de Jean-Pierre Mocky, questionne les instituts psychiatriques et leurs méthodes, il en vient à remettre en question ces territoires de réhabilitations de l’esprit, qui au lieu de soigner, deviennent des fabriques à troubles mentaux, des ateliers de malades, des usines de fous.
La Tête Contre Les Murs est un premier film sublime qui catalyse déjà toutes les manières, ancre les codes, la façon de travailler tant les acteurs, leurs visages, leurs gestuelles que les lieux qu’ils traversent, que les lieux qu’ils hantent, de Franju et se révèle être une pièce de cinéma ayant plus de six décennies et renfermant pourtant une troublante modernité de propos, de regard, de mise en scène.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
Image :
Le master en présence est tiré d’une restauration 4K certainement à partir du négatif original et le travail ayant été réalisé aux studios Éclair est tout simplement fascinant.
Le travail du piqué orchestre un fourmillement de détails, une profondeur saisissante ainsi qu’un respect de la texture vivante de la pellicule particulièrement fin.
Le tout porté par des noirs proprement définis et un niveau de contraste particulièrement adapté nous portant de manière totale au cœur de la proposition.
Vraiment rien à redire, la proposition est sans équivoque.
Son :
Concernant le master 2.0 DTS-HD Master audio, le travail ne présente pas de souffle, de saturations, de bruits parasites, ce qui est particulièrement plaisant. Les différentes lignes que cela soit les voix, la bande originale ou les bruitages sont équilibrés et très bien détaillés. Surprenant pour un film de plus de six décennies.
Suppléments :
– Entretiens autour du film avec Eric Le Roy (25 min) :
Éric Le Roy revient sur les grandes lignes du film, appuie des pistes de lecture puis embarque sur ce film à deux têtes : Jean-Pierre Mocky et Georges Franju.
Il revient à travers les archives nationales et sa connaissance cinéphile sur ce qui transparaît à l’écran et cherche à relever ce qui provient du travail de l’un et de l’autre jusqu’à douter du véritable réalisateur tant l’emprise Mocky est présente, tout en nuançant le propos en analysant les codes de Franju en présence. Un voyage au cœur d’une trouble et fascinante collaboration.
– Interview de Jean-Pierre Mocky (9 min) :
Le regretté Mocky revient sur de nombreux aspects du film traversés par les autres bonus mais avec une frontalité, entre le doux souvenir, le tranchant de ses mots et son cynisme, qui fait tout le charme du personnage.
– Georges Franju par Bernard Payen, responsable de la programmation de la Cinémathèque Française (26 min) :
Un voyage particulièrement documenté et fourni sur la carrière de Franju, sa filmographie, qui se fait encore trop rare et qui à travers les paroles de Bernard Payen donne envie de s’y aventurer entièrement. Dans son exposé, il appuie son analyse sur le cas de La Tête Contre Les Murs.
– Le film par l’affiche : entretien avec Jacques Ayroles autour des affiches d’époque (20 min) :
Décryptage de l’affiche du film, mise en relation avec tout un savoir-faire d’époque et le caractère abstrait pour définir l’âme des films. Un supplément intrigant à ne pas rater.
– Bande-annonce (2 min)

Avis Général :
C’est un vrai petit miracle que de pouvoir découvrir le premier film de Georges Franju dans de telles conditions, un film qui porte déjà toute la puissance visuelle du cinéaste, doublé du tranchant d’un certain Jean-Pierre Mocky, jeune scénariste à l’époque, pour une étude corrosive des instituts psychiatriques, qui est très certainement une pierre fondamentale au film à venir de Milos Forman : Vol Au-Dessus D’Un Nid De Coucou.
ESC propose une belle édition avec un master 4K irréprochable, propulsant le film hors de son caveau, et des suppléments particulièrement complets poussant à explorer de nouveau le film et à suivre tout un tas de chemins inexplorés jusqu’ici, le tout porté par une piste son solide et sans traces de dégradations apparentes du temps.
Une édition incontournable.


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