Le Plongeur : Critique // Sombres Ruelles & Esprits Torturés

Synopsis : Montréal, hiver 2002. Stéphane, 19 ans et étudiant en graphisme, rêve de devenir illustrateur, mais depuis des mois il s’engouffre dans une spirale menaçante: il est accro aux jeux.

Réalisateur : Francis Leclerc
Acteurs : Henri Picard, Charles Aubey-Houde, Jade Charbonneau
Genre : Drame
Durée : 128 minutes
Pays : Canada
Date de sortie : 3 janvier 2024

Stéphane a tout juste 19 ans, il vient de quitter la maison familiale pour faire ses études à Montréal, en graphisme.
Le jeune homme dessine et illustre. Il vient de décrocher son premier gros contrat pour le dessin du logo et l’artwork du groupe de Death Metal local Deathgaze.
Derrière ses airs de jeune homme épanoui, il y a un fossé, celui des addictions. Une cavité où il a secrètement glissé, se glissant des nuits entières derrière les machines à sous.
Sans argent, il dort sur le canapé d’un ami, essaie de se guérir en vain, la moindre pièce atterrissant dans le ventre des démons mécaniques.
Pour financer toujours plus ses pulsions, il trouve un job de plongeur dans un restaurant côté, quelques heures au début, puis abandonne les études et s’enfonce dans plus de 80 heures de travail à la semaine, à la fois pour oublier ses envies tenaces mais aussi vider son esprit, enchaîner les vaisselles, au rythme de ses cassettes d’Iron Maiden à Slayer.
Le soir, pour éviter de traîner seul et sombrer, il suit ses collègues, de club en club, à la découverte d’un univers crapuleux, promesse d’argent, promesse de jeu.

Francis Leclerc situe son film à la naissance du nouveau siècle, en 2002, se tourne vers une jeunesse traversée par la contre-culture et sa reconnaissance. Qu’il s’agisse de Metal ou bien de Rap, un mouvement évolue, rejet d’un monde adulte sans rêves, sans visions.
Alors bien que certains courants musicaux puissent paraître flous et approximatives, comme entendre du Death Metal et comparer les sonorités à celles de Darkthrone qui évolue dans des schémas lointains, dans des horizons Black Metal plus exactement, le cinéaste construit avec le personnage de Stéphane une porte d’accès aux mondes de la nuit et surtout une lucarne en direction de l’enfer des addictions, pratiques divertissantes en premier lieu, qui deviennent très rapidement de véritables blessures demandant à être toujours plus être alimentées jusqu’à la perdition totale.
Derrière le visage de Henri Picard, acteur rappelant un certain Chalamet, le cinéaste façonne un enfermement progressif et spiralaire, il touche la difficulté d’admettre l’addiction façonnant les êtres en puits mensongers, prisonniers de leurs excès, parvenant à combler un manque pour en créer une multitude d’autres.

Dans ce spectre qui semble tout avaler Le Plongeur, qui est sensé nettoyer les restes des autres, est un film qui joue de connexion entre les différentes dépendances, qui cherche le moyen de s’abstraire du sentiment pulsionnel jusqu’à s’oublier comme individu.
La proposition vise avec clairvoyance ce jeu de balance où l’arrêt d’une pratique entraîne la naissance d’une autre.
Pour oublier le jeu, l’alcool, pour oublier l’alcool, la drogue, pour retrouver l’équilibre, la plonge, et lorsque l’argent tombe, le manège redémarre.
Les addictions se multiplient, deviennent à la fois des gouffres économiques, sociaux, humains et sanitaires.
Le besoin de financement est alors de plus en plus grand, les emprunts débutent, les dettes s’enchaînent, le chaos est omniprésent, seule une vie de criminel semble pouvoir subvenir aux besoins, laissant dans l’ombre l’unique et réelle voie : la parole.
L’ouverture aux autres, la conscientisation du piège et la demande de soutien de l’entourage, amis comme famille, à l’unique condition de tout révéler, et ne pas garder de cadavres dans le placard.

Le réalisateur touche juste dans les comportements humains, les chaînes de réactions et les mécanismes amenant insidieusement à l’impasse. De nombreuses issues sont glissées sur le chemin mais l’attraction vers l’autodestrution est trop forte, l’aveuglement total. La grande puissance de l’oeuvre est alors de faire ressentir la pression interne, la pulsion inesquivable qui pousse vers le précipice.
Sans mise en scène particulièrement aventureuse, si ce n’est le plan introductif passant au dessus des cuisines, Leclerc a un véritable sens du rythme, définit toutes les dynamiques du film et joue de modulations tout du long, faisant s’écouler les deux heures à une vitesse folle, nous embarquant dans ce récit d’isolement effrayant, pas toujours délicat dans l’écriture, le trait est même lourd, et les stéréotypes légions, mais conservant une frappante efficacité.
Certes, quelques grosses ficelles nous font tirer la grimace bien que le long-métrage soit une intéressante lecture des bas fonds, de leurs portes jusqu’à la moelle, réseau alternatif, limbes où richesse mène à la mort.

Le Plongeur est une proposition efficace, aux multiples rebondissements, qui pousse à l’apnée, dans une aube de millénaire bouillonnante de cultures souterraines transgressives, dans une Montréal-monstre qui happe les errants dans ses artères néfastes, entre thriller nocturne et film d’errance, où nous sommes happés face à des personnages, parfois caricaturaux, mais qui ont assez de profondeur pour nous saisir, qui sont incarnés avec dévotion, venant à toucher nos cœurs. Un sombre voyage.

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