Vampire Humaniste Cherche Suicidaire Consentant : Critique / Rupture Chez Les Vampires, Sentiers D’Une Réécriture Punk

Synopsis : Sasha est une jeune vampire avec un grave problème : elle est trop humaniste pour mordre ! Lorsque ses parents, exaspérés, décident de lui couper les vivres, sa survie est menacée. Heureusement pour elle, Sasha fait la rencontre de Paul, un adolescent solitaire aux comportements suicidaires qui consent à lui offrir sa vie.

Réalisatrice : Ariane Louis-Seize
Acteurs : Sara Montpetit, Félix-Antoine Bénard
Genre : Comédie, Horreur, Drame
Pays : Canada
Durée : 90 minutes
Date de sortie : 20 mars 2024

Sasha est une vampire adolescente. Du haut de ses 68 ans, qui équivalent à 15 ans en années humaines approximativement, ses crocs ne semblent toujours pas sortir et la jeune fille pioche depuis bientôt sept décennies dans les stocks de poches de sang de ses parents, poches de sang issues de chasses nocturnes, traquant les humains, les vidant de leur plasma pour mieux se repaître les jours suivants. Les tensions naissent dans la famille car la chasse est éreintante et Sasha qui aurait dû avoir une certaine appétence pour l’humain et l’horreur semble complètement réfractaire à ces pratiques à tel point que ses canines ne descendent pas.
Un soir, après une dispute avec ses parents, elle décide d’essayer de trouver une proie, pour cela elle se dirige vers une réunion de SOS suicide. Mieux vaut choisir une proie qui souhaite être délestée de toute vie.
Sur place, elle rencontre Paul, un adolescent, humilié et harcelé au lycée, prêt à perdre la vie si cela pouvait nourrir le projet personnel d’un autre. Sasha s’empresse de le suivre dans la nuit, la fébrilité de Paul et sa détresse lui font pousser les crocs. Avant de passer à l’action la vampire souhaite réaliser un des rêves du jeune homme : se venger de ses bourreaux. Une quête nocturne débute, un voyage au-delà des barrières qui contiennent tant les humains, par des codes de société mortifères, que les vampires, par leur condition historique de meurtriers.

Ariane Louis-Seize invite le regard cinéphile à déconstruire entièrement le personnage du vampire. La cinéaste travaille un siècle de cinéma, un siècle de codes autour des buveurs de sang, de romantisme froid, dangereux et sensuel qui fascine tant pour dresser des chemins que nous n’osions discerner dans l’obscurité, que nous ne pouvions voir que sous forme de métaphores et paraboles, l’humain derrière le monstre.
Ici, Sasha est certainement la plus humaniste des vampires, l’une des seules très vraisemblablement, et une vampire bien plus empathique que les humains eux-mêmes envers leur propre sort. La réalisatrice canadienne analyse ainsi la cellule familiale, celle des vampires, à travers l’air du temps, pas si loin du wokisme mais ne sombrant jamais dans des chemins d’esprits abracadabrantesques.
Il s’agit ici d’une remise en question de tout un fonctionnement de vie, de toute une chaîne d’alimentation à repenser. Le personnage de Sasha n’a rien contre se nourrir de sang, son métabolisme ne lui permet d’ailleurs pas d’autres alternatives. Cependant, elle cherche une manière plus éthique, durable et moins barbare pour pouvoir se nourrir. Car finalement l’horreur et l’agression n’est pas une capacité innée chez les descendants de Nosferatu mais bien plus un acquis à travers les âges, à repenser, à la fois pour sortir de l’obscurité mais aussi trouver une alternative aux éternelles nuits de solitude et de silence.

Un schéma qui rebondit avec les créatures du soleil, monstres incandescents, individualistes et cruels les uns envers les autres : les humains.
Car si la cinéaste dresse une véritable rupture avec le mode de vie vampirique, elle tisse également la toile d’une humanité crasse, dévorée par une civilisation du tout capitalisme, du dominant et des dominés, où l’individu n’est que rouage d’une grande machine, interchangeable, et où lorsque les critères attendus ne sont pas respectés il est très facile d’être rejeté et de ne voir comme alternative au monde tout entier : la mort.

Dans ces circonvolutions terriblement dramatiques, Ariane Louis-Seize ne s’adonne pas à la tragédie, à la romance impossible, aux larmes de crocodiles. NON. Dans ces circonvolutions terriblement dramatiques, Ariane Louis-Seize prend le virage de l’humour noir, de l’énergie punk et soulève la société toute entière, l’oppression sociétale pour les êtres humains, et les croyances aveugles pour les vampires.
En arrière-plan de ce décorum séculaire, en toile de fond, les spectres de Dracula, Nosferatu, Thirst, Only Lovers Left Alive, A Girl Walks Alone At Night ou encore Hunger se voilent. Les films du passé servent alors d’architectures, certains d’appuis, d’autres de modèles à dépasser.
Le film vrille, véritable électron libre, œuvre insouciante et désinvolte, les chaînes tant familiales que sociétales sont ôtées, et la liberté retrouvée, le temps d’une nuit jubilatoire où le monde entier semble de nouveau modulable, enclin aux changements que cela soit à coup de pelles, de crocs ou encore d’injures. L’ancien monde est révolu.
Venez découvrir le monde de demain, où les frontières d’hier n’étaient qu’illusion, où le présent permet de construire les passerelles de l’émancipation, les passerelles vers un monde nouveau, à la refonte des codes d’une société croulant sous ses égocentrismes et mythes.

Portant ce conte punk avec irrévérence Sara Montpetit est clairement un nouveau visage qui risque d’envahir le cinéma canadien, et peut-être même international, son flegme et sa détermination sont stupéfiants.
Quant à l’interprète de Paul, Félix-Antoine Bénard, dans le rôle du timide vengeur, est charmant d’imperfections et de doutes.

Vampire Humaniste Cherche Suicidaire Consentant est très certainement l’outsider et incontournable film de ce Festival du Film de Venise 2023 et surtout l’un des meilleurs films à venir pour l’année 2024.
En déconstruisant le monde que nous connaissons et ses références, pour mieux les retravailler et les accorder à notre temps, Ariane Louis-Seize réalise un chef d’œuvre à la fois cynique et sensible, obscure et drôle, violent et tendre. Un véritable rêve cinéphile.

Laisser un commentaire

Ici, Kino Wombat

Un espace de recherche, d’exploration, d’expérimentation, du cinéma sous toutes ses formes.
Une recherche d’oeuvres oubliées, de rétines perdues et de visions nouvelles se joue.
Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

Let’s connect