Objet du documentaire : Nan Goldin a révolutionné l’art de la photographie et réinventé la notion du genre et les définitions de la normalité. Immense artiste, Nan Goldin est aussi une activiste infatigable, qui, depuis des années, se bat contre la famille Sackler, responsable de la crise des opiacés aux États Unis et dans le monde.
| Réalisatrice : Laura Poitras |
| Genre : Documentaire |
| Durée : 118 minutes |
| Pays : Etats-Unis |
| Année : 15 mars 2023 (salles) / 22 août 2023 (Blu-Ray) |
| LION D’OR |
Après l’étourdissant documentaire Fuocoammare, réalisé par Gianfranco Rosi, sur le désastre de Lampedusa, ayant remporté l’Ours d’Or à Berlin, c’est une seconde consécration qui vient marquer le cinéma du réel, mettre sur le devant de la scène le cinéma documentaire avec le Lion d’Or de Venise 2022 : Toute La Beauté Et Le Sang Versé réalisé par Laura Poitras.
Kino Wombat n’a pas eu la chance ni l’occasion de découvrir le film en salles, mais se rattrape enfin avec l’édition Blu-Ray sortie en août 2023 du côté de Pyramide Vidéo.
L’article se déroulera en deux temps :
I) La critique de Toute La Beauté Et Le Sang Versé
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
I) La critique de Toute La Beauté Et Le Sang Versé
Nan Goldin est une artiste photographe bien connue du milieu de l’art, tout d’abord underground, New-Yorkais, puis célébré, international.
Une pionnière dans la manière de capturer le quotidien et faire foisonner l’histoire de tout un pays et ses mouvements traversants à travers sa propre intimité.
La famille Sackler, quant à elle, est une famille multi-milliardaire, l’une des plus puissantes au monde. Principalement nommée en tant que mécène de musées tout autour du globe, du Guggenheim au Louvre, cette dernière a fait fortune derrière un laboratoire pharmaceutique : Purdue Pharma. Un laboratoire à l’origine d’un certain médicament, l’Oxycontin, formule modifiée de l’oxycodone, produit à l’origine de la crise des opioïdes aux Etats-Unis.
Ainsi de Goldin à Sackler, seul le monde de l’art semble être une traverse possible de l’artiste au mécène, monstre laborantin.
Un constat que Laura Poitras va analyser.
En suivant la vie toute entière de la photographe, des passerelles vont être révélées entre l’individu et l’usine à addictions, toute une histoire des Etats-Unis entre pratiques artistiques et dérives médicales.

Des photos de famille à des prises de vue réelles, en passant par des archives tant écrites que photographiques, tout en balayant les décennies à travers les oeuvres de la photographe, le caractère protéiforme du documentaire donne à a fois une latéralité vertigineuse et une puissance de mise en scène remarquable.
En travaillant l’histoire des Etats-Unis à travers la lucarne des marginaux, des indésirés, le regard de Poitras est clairvoyant. Il pose de manière évidente la place des Sackler au pays de l’oncle Sam, et toutes les étape qui ont permis à la population d’accepter docilement et silencieusement tout le projet Oxycotin et ses dérives.
Convié à un troublant voyage au coeur du nouveau monde, nous plongeons des années 50 à nos jours à la rencontre d’un passif terrible entre cure psychiatrique pour homosexuels, appel à l’attente du décès des séropositifs, les scandales se multiplient et l’autorité médicale ne cessent de s’effriter, de s’effondrer. Les patients ne sont alors plus des individus à soigner, à aider, mais des personnes traînées de force, par l’institution tant judiciaire qu’hospitalière, mais aussi par leurs familles, contre leurs grès, dans un laboratoire à expérimentations.
Décennie après décennie, tout en contre-points, regards obliques et échappées pour mieux disserter, les coulisses états-uniens se dévoilent.
Les maux dissimulés derrière la vitrine internationale, derrière le moindre média, se révèlent.
La magie illusoire des années 50 se morcellent, se désagrège, flétrit, pourrit, par-delà les sourires, les caddies bien remplis et recettes toutes faites, où toute promesse se tient sur la sainte bible, une hideuse machine évolue dans l’ombre.
Les histoires intimes ricochent, trouvent des échos à travers le pays, pour soulever un terrifiant silence, celui des victimes, des corps dissimulés sous de monticules de billets verts.
Un équilibre émotionnel vertigineux se met en place dans l’architecture de la proposition, entre larmes, sourires émus, poésie du quotidien et colère, la cinéaste nous tient dans sa main et ouvre une lecture alternative de la nation reine, de celle qui distille ses idées, de celle qui projette ses poisons.

C’est toute cette déconstruction que Poitras offre en contemplation, en secrets tout juste occultés, mais dont la puissance dévastatrice était aveuglante.
L’entreprise de décombres de la réalisatrice tisse alors à travers les survivants une toile nouvelle, une image dissidente, ouvrant la voie à la parole, et à la justice.
Le Nouveau Monde n’est devenu que charognes et billets verts mais le monde de demain est encore à bâtir, loin d’un capitalisme et d’un système où le vivant n’est que consommant/consommé.
Toute La Beauté Et Le Sang Versé est un pamphlet aux mille couloirs qui en révélant les Sackler à travers la carrière de Nan Goldin, en auscultant le visage consumériste putride des Etats-Unis derrière le masque de sa gigantesque fête foraine éclairée par la foi et le profit, ouvre les portes d’une réflexion mondiale, prélève le venin ayant traversé toutes les institutions, et constate l’impact par-delà les corps, les esprits, les frontières, distordant l’interstice par-delà laquelle, en parallèle, dans les coulisses de la mondialisation, les plus fortunés maîtrisent nos existences, normalisant tout le processus jusqu’à l’acceptation généralisée, jusqu’à nous rendre dépendant de leur folies.
Laura Poitras, Nan Goldin et l’association PAIN, font preuve ici d’un courage hors normes en se confrontant à ceux qui dictent les règles du monde, à ceux qui se pensent divinités.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
Image :
Le master HD proposé pour cette sortie Blu-Ray de Toute La Beauté Et Le Sang Versé est exemplaire.
Que cela soit les archives restaurées, le travail de Nan Goldin ou encore les prises de vue réelles, tout a été subtilement travaillé, avec un véritable sens du détail tant dans les couleurs que dans le piqué, pour ne jamais dénaturer mais toujours approfondir l’image en présence, déployer ses dynamiques et travailler sa sémantique.
Extraordinaire.
Son :
Une piste VOSTF 5.1 est proposée.
Cette dernière, à l’image du master image est exempt de tout défaut, trouvant les bons arrangements musicaux pour porter le regard documentaire, appuyer la mise en scène, et déployer tant l’histoire des Etats-Unis que le parcours de vie alternatif de Nan Goldin.
Tous les canaux sont utilisés, le jeu entre les différentes enceintes n’est pas complexe mais pénétrant.

Suppléments :
L’édition Blu-ray de Toute La Beauté Et Le Sang Versé contient un unique bonus sur le disque et un livret de 24 pages au sein du boîtier.
- « Histoire d’un regard » par Charlotte Garson (11′) : Journaliste et collaboratrice régulière des Cahiers Du Cinéma, Charlotte Garson livre une analyse du regard de Laura Poitras dans Toute La Beauté Et Le Sang Versé. Un cheminement réflexif concis, complet et aux complexes lignes de lecture.
Un supplément essentiel pour quiconque souhaiterait prolonger l’expérience du documentaire et prendre conscience de toute la grandeur de la proposition dans les moindres recoins de la rétine de sa créatrice. - Un livret de 24 pages : Annoncé avec un écrit sur la genèse du projet, un entretien avec la cinéaste et Soundwalk Collective, ainsi qu’un portfolio, il est aujourd’hui difficile de témoigner du contenu du dit livret, Kino Wombat n’ayant que reçu le disque Blu-Ray à chroniquer.

Avis général :
Toute La Beauté Et Le Sang Versé est un véritable miracle de cinéma documentaire tant il couvre à travers une mise en scène croisant archives, prises de vues en temps réel et travaux de Nan Goldin, l’histoire de toute une nation à travers le spectre d’une vie, révélatrice de milliers de fantômes, d’âmes sacrifiées sur l’autel du profit.
L’édition Blu-Ray en présence est incontournable tant pour l’importance humaine et artistique de ce Lion D’Or 2022 que pour ses caractéristiques techniques, une image HD exemplaire, un paramétrage sonore pénétrant et des suppléments, certes réduits, mais d’une force indiscutable.
Pour découvrir Toute La Beauté Et Le Sang Versé :
– https://www.cinefeel.fr/listeliv.php?form_recherche_avancee=ok&realisateur=Laura%20Poitras&base=dvd


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