Loup Et Chien : Critique et Test DVD

Synopsis : Ana grandit sur l’île de São Miguel, dans l’archipel des Açores, encore marquée par les traditions portugaises et la religion catholique. L’adolescente passe beaucoup de temps à rêver d’un monde meilleur avec Luis, son ami queer. Sa rencontre avec la lumineuse Cloé va lui permettre d’assumer son identité…

Réalisatrice : Claudia Varejao
Acteurs :  Ana Cabral, Ruben Pimenta, Cristiana Branquinho
Genre : Drame
Pays : Portugal
Durée : 111 minutes
Date de sortie : 12 avril 2023 (salles) / 5 septembre 2023 (DVD)

Sans jamais avoir eu l’occasion de trouver une séance pour découvrir le cinéma documentaire de Claudia Varejao, qui pourtant semblait toujours à portée de regard, nous espérions un jour croiser son chemin.
Lorsque Loup & Chien, premier long-métrage de fiction de la cinéaste, se retrouva face à nos mirettes, nous ne pouvions plus reculer.
Raté en salles mais rattrapé lors de sa sortie DVD, cet étonnant morceau de cinéma a aujourd’hui été vu et revu, exploré et dégusté par Kino Wombat.

L’article autour de Loup & Chien prendra la forme suivante :
I) La critique de Loup & Chien
II) Les caractéristiques techniques de l’édition DVD

I) La critique de Loup & Chien

Ana est une jeune femme, quittant l’adolescence, approchant à grand pas de la majorité. Elle vit sur une île des Açores, région autonome du Portugal, en plein coeur de l’océan Atlantique entre l’Amérique et l’Europe. L’archipel des Açores est un des territoires européens le plus désargenté.
Durant cette dernière année de lycée, elle fait la rencontre de Cloé venue du Canada, logeant avec sa mère chez elle pour une courte durée, et passe ses journées avec son ami Luis, proche de la communauté queer locale.
Dans cet environnement clos, au beau milieu de l’océan, semblant resté intact depuis des décennies, si ce n’est des siècles, la population vit de l’agriculture et de la pêche, orchestre son existence selon les rythmes et valeurs catholiques.
Ana, elle, rêve d’émancipation, d’ailleurs, de pensées nouvelles, de rencontres et ne veut pas s’embourber comme son frère dans les petit trafics et la drogue pour subsister, rêver.
Il ne lui reste que quelques mois, semaines, pour décider quelle voile hisser pour poursuivre son chemin loin du lycée, définir sa propre identité, individualité, là où les rites et événements de l’île ne poussent qu’à l’effacement et à la vie en collectivité, éternel tombeau.

Claudia Varejao pour cette première réalisation en dehors du champ documentaire réussit à transmettre son regard du réel, son approche si particulière pour saisir le quotidien, la population ainsi que les enjeux d’un territoire et son histoire.
En cadrant au format académique pour canaliser le regard, la cinéaste émet une fiction à la frontière de l’ethnographie, à la bordure de l’anthropologie. Elle capte les différentes strates générationnelles, de la fierté des anciens à l’étirement des parents entre traditions et mirages lointains jusqu’à la jeune génération observant cette déliquescence faisant naître leur volonté d’exister par-delà l’île, de se trouver, de s’accomplir au cœur de l’immensité d’un monde qu’ils ne connaissent que par le biais de planisphères, témoignages, cartes postales et vidéos.
Les avions survolent l’île, la plupart ne s’y arrêtent plus depuis l’arrivée des lignes transatlantiques, les pierres se fatiguent, quelques bateaux de croisière nourrissent les ports, permettant aux touristes un voyage dans le temps loin du chaos de la mondialisation, promese d’harmonie.
Pourtant au cœur de ce fantasme touristique, la jeunesse hurle de découvrir l’immensité des continents et leurs libertés.

Varejao conduit son oeuvre d’une élégante manière, n’alourdit pas son propos à travers des discours, conversations et explications convenues et navrantes.
La cinéaste use à merveille des silences qui traversent Sao Miguel, le sourd écho de cet espace isolé à la nature luxuriante, véritable paradis perdu.
Le travail tant du son que de l’image porte la réflexion, offre de parallèles saisissants, organisant avec une intelligence rare l’usage de signifiant/signifié.
Elle structure le montage pour qu’une image puisse raisonner avec la structuration des idées, dépassant la simple représentation, abordant pleinement les liens invisibles, l’environnement banalisé, pour mettre en lumière l’impasse et ses possibles échappatoires.
De la sorte, la proposition conduit une réflexion sur la nature et les hommes, elle ouvre un regard sur la grande diversité du vivant allant de l’animal au végétal, et déploie la conscience autour de l’évolution et la volonté de l’homme de structurer sa condition pour ne plus évoluer dans son identité, s’enfermant dans des concepts purement conscients et subconscients, ne répondant plus à la nature mais à une société et ses croyances conçues de toute pièce refrénant les flammes créatives et émotionnelles de tout un chacun.
C’est alors dans ce regard de cinéma, de philosophie, que Loup & Chien nous transporte, alimente notre soif de pensée, de réflexions.
La réalisatrice questionne l’individu, son cadre de vie, sa famille et les possibilités d’épanouissement, de liberté, afin de se trouver et ne pas seulement se plier aux souhaits de la communauté, de la société.
La vie se doit d’être choisie et non subie.

Le choix des acteurs est très juste, réussissant à saisir toute la complexité, couverture et histoire du peuple portugais, porte l’objet du film avec une finesse émouvante, évitant les interprétations titanesques et préférant l’intime, le geste, le suggéré au racolage langagier et hystérique, souvent usité dans la transition de personnages vers l’âge adulte, les personnages en quête d’identité.
Il s’agira alors de retenir les noms de Ana Cabral et Ruben Pimenta qui mènent une interprétation saisissante et touchante.

Le film culmine dans sa maïeutique, dispose des regards singuliers, puis, dès lors que la porte de la communauté queer, alternative, secrète, au coeur de l’île, s’ouvre, dans ses grottes et renfoncements, le propos se désagrège.
Toute l’originalité de l’écriture, toute la magie se tasse.
La cinéaste tombe dans le travers communautaire et en montrant de façon convenue l’accomplissement identitaire dans le monde queer perd le fil de sa propre création. Une situation qui pourtant aurait dû donner lieu à une ouverture totale de l’être.
Claudia Varejao compile de nombreux raccourcis, filme comme tant d’autres ont saisi ses instants. Nous perdons la liberté, l’évasion de nos dédales sur la diversité des êtres, du vivant.
Elle donne à tout une dynamique de pensée un carcan assez limité entre néons, paillettes, danses et papillons.
L’échappatoire semble alors tendre vers une nouvelle geôle, illusion d’ailleurs, et nouveaux codes pour futur enclos.
C’est dans cette perte d’indépendance, de regard documentaire, en plongeant un peu plus dans la fiction, reculant sur le cinéma poétique, que la proposition perd de sa superbe.

Loup & Chien est une oeuvre charmante et profondément intrigante dans son regard typé documentaire pour porter la fiction, dans son montage tout en dualité, jouant sur le signifiant/signifié, entre nature et société humaine, afin de mieux révéler les combats intérieurs d’une jeunesse en quête de sa propre identité, loin des constructions multi-générationnelles aux allures d’impasse, naufrage d’une vie indésirée.
Reste que le film lorsqu’il aborde la question de l’identité, qu’il s’engouffre autour de la question queer, a du mal à garder sa singularité et restructure son regard vers des espaces qui aujourd’hui deviennent sur-usités.
Néanmoins il s’agit d’un regard, d’une sensibilité, de cinéma à ne pas rater, Caudia Varejao fait en cela partie des rétines à suivre.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Image :

L’édition DVD de Loup & Chien arrive à tirer profit de la granuleuse et hypnotique photographie de la proposition. La saturation originelle du film permet de dissimuler les limites du support. Seules les scènes de nuit ont du mal à tenir les noirs, et se stratifient.
Le niveau de détails est plutôt bon et le film est soutenu de par un travail appliqué des couleurs, très bien retranscrites, habillant à merveille les cadres et nous propulsant pleinement dans le film de Claudia Varejao.

Note : 7.5 sur 10.

Son :

Deux pistes sonores sont proposées :

  • 5.1 : La spatialisation sonore est remarquable renforçant le caractère expérimental de l’oeuvre dans son travail des signifiants/signifiés, soulignant l’état psychologique des personnages et nous transportant entièrement au coeur de l’oeuvre. Sans saturations, jouant finement avec les différent canaux et ayant harmonisé les différentes fréquences voix, ambiances sonores et arrangements musicaux. Une piste exemplaire.
  • Stéréo : Tout comme sa grande soeur 5.1, la piste stéréo est très efficace mais reste moins percutante et enivrante du fait de sa frontalité.

Suppléments :

  • Entretiens avec la réalisatrice et le producteur Jérôme Blesson : Entretiens croisés entre la réalisatrice et le producteur. Un parfait prolongement du film pour comprendre l’origine du film, la recherche de financements, le travail avec les acteurs et l’écriture. 13 minutes compactes et fascinantes.
  • Bio-Filmographie
  • Galerie photos
  • Bande-Annonce

Note : 7 sur 10.

Avis général :

Oeuvre singulière, fiction orchestrée sous une rétine documentariste, Loup & Chien est une proposition menée avec une enivrante intelligence par sa réalisatrice Claudia Varejao autour de la bascule vers le monde adulte et la recherche d’identité, de l’individu qui sommeille en soi. Bien qu’avec certains champs d’exploration plu ou moins inégaux, le regard tout à la foi réaliste et poétique de sa cinéaste ouvre nos pensées tout autant au constat qu’à la liberté. Surprenant et Hypnotique.
L’édition DVD proposée par Epicentre Films propose malgré les limites du format un bon master vidéo ainsi que d’extraordinaires pistes sonores guidant au cœur de l’oeuvre.
Enfin, l’édition est quelque peu légère en contenu additionnel mais offre néanmoins la parole à la réalisatrice ainsi qu’au producteur avec un très pertinent supplément.

Note : 7 sur 10.

Pour découvrir Loup & Chien en DVD :


Laisser un commentaire

Ici, Kino Wombat

Un espace de recherche, d’exploration, d’expérimentation, du cinéma sous toutes ses formes.
Une recherche d’oeuvres oubliées, de rétines perdues et de visions nouvelles se joue.
Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

Let’s connect