Guerre Et Paix : Critique Et Test Blu-Ray

Synopsis : L’histoire se déroule entre 1805 et 1820. Alors que Napoléon 1er mène sa Grande Armée toujours plus loin en Russie, la vie continue pour l’aristocratie à Moscou avec ses mondanités et ses petits scandales. À travers une épopée lyrique et étourdissante, « Guerre et Paix » retrace l’histoire de deux familles de l’aristocratie russe bouleversée par la guerre.

Réalisateur : Sergueï Bondartchouk
Acteurs : Sergueï Bondartchouk, Lyudmila Savelieva, Vyacheslav Tikhonov, Boris Zakhava, Anatoli Ktorov, Anastasiya Vertinskaya, Antonina Shuranova, Oleg Tabakov, Irina Gubanova
Pays : URSS
Durée : 423 minutes
Genre : Fresque historique, Drame
Date de sortie : 1966 (salles) / Novembre 2023 (Coffret Blu-Ray)

Cela fait déjà quelques années désormais que la sortie du Guerre Et Paix de Serguei Bondartchouk est dans les tuyaux du côté de Potemkine et nous étions impatients de découvrir la ressortie de cette oeuvre monumentale par leurs soins.
Quelle surprise de découvrir la sortie du coffret le même jour que la sortie du Napoléon de Ridley Scott, film si laborieux que nous n’avons pas pris la peine d’écrire un article.
Revenons donc en 1966, pour du cinéma prestigieux et concentrons-nous sur le film-fleuve du cinéaste soviétique, film le plus onéreux de sa période, et certainement encore de la nôtre, qui se dévoile aujourd’hui pour la première fois au format HD en France.

Notre article s’organisera de la manière suivante :
I) La critique de Guerre Et Paix
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

I) La critique de Guerre Et Paix

Il faut être clair, Guerre Et Paix réalisé par Serguei Bondartchouk est une oeuvre de toutes les démesures.
La proposition d’une durée de presque 7 heures, s’appropriant le poste de film soviétique le plus cher a pris quasiment une décennie de la carrière de son cinéaste.
Cette dernière déborde de toutes parts, échappe à la fiction, pour toucher plus adroitement au sentiment de vie, à ses multiples embranchements, complexités et humanités.
L’adaptation de l’oeuvre de Léon Tolstoï est ici adroitement menée.

Le film sort environ dix ans après l’adaptation boiteuse issue de la collaboration De Laurentiis/Paramount, sous la rétine de King Vidor et porté par Henry Fonda ainsi que Audrey Hepburn. Cette adaptation de 1956 coupait une grande partie des personnages et thématiques du texte original simplifiant toutes les dynamiques et le regard littéraire à un simple triangle romanesque de personnages : Andrei Bolkonski, Natacha Rostov et Pierre Bezoukhov.
Bondartchouk, quant à lui, fait le pari de soulever la multiplicité de problématiques que laisse entrevoir Léon Tolstoï, de ses bals à sa vie rurale, de ses romances à ses ruptures diplomatiques.
Partons à la rencontre d’une aristocratie russe sur le fil, ses problématiques étatiques et internationales.
Ressentons le dicton « Qui veut la paix prépare la guerre ».
Vivons à travers les projections individuels, laissons souffler l’intime, pour dévoiler les forces et faiblesses de toute une nation.

Le travail de Bondartchouk se divise en quatre temps tout comme l’écrit de Tolstoï en quatre livres.
Le cinéaste soviétique travaille tout en minutie.
Il définit les individus, leurs environnements et façonne leurs pensées intimes avec la même finesse et précision qu’un sculpteur, rien n’est laissé au hasard. Guerre Et Paix se révèle très rapidement être un miracle de mise en scène. Lorsque la caméra prend du recul, laisse l’individu, c’est pour mieux observer la société. Toute une toile complexe se dévoile, le vertige nous transperce.

Bondartchouk profite d’une première partie en deux actes pour délimiter toute l’ampleur du récit, ses méandres et circonvolutions.
On y découvre les personnages principaux, les protagonistes traversants, les différents lieux, du coeur de ville à la demeure en province tout en passant par les champs de bataille désolés.
Une assise conséquente qui nécessite tout de même une attention toute particulière, car au bout de deux heures, le cinéaste ne fait que révéler les pièces maîtresses sans pour autant actionner toute la machinerie. Il s’agit ici de la naissance d’un monde fourmillant de vitalité, d’interactions, servi par des mouvements de caméra et cadrages qui accompagnent voir dépassent la narration elle-même. Le voyage est total, Bondartchouk tout en variations transpose l’art littéraire en art cinématographique. Il façonne une grammaire visuelle et des manières de s’exprimer fascinantes.
Cette adaptation de Guerre Et Paix, une fois que nous en avons saisi les mécanismes, touche à l’hypnose, sculpte notre regard dans un carcan obsessionnel. Tout disparaît et notre ultime réalité semble être celle de la Russie du début XIX°s.

Là où chez Tolstoï il était difficile de discerner un véritable personnage principal, peut-être Pierre Bezoukhov, le cinéaste se tourne vers notre trio de tête, mais contrairement à Vidor, ici, il nourrit la construction de ces derniers à travers leurs interactions avec un nombre incalculable de protagonistes périphériques construisant une intimité labyrinthique, resituant l’individu tout autant au rang de poussière cosmique que d’astre central. Il y a une cosmologie troublante dans la narration, enivrante et perturbante.

Dans cette réalisation sous forme de toile, il y a ainsi ce regard hallucinant, ce recul presque tarkovskien où la nature et les éléments prennent le dessus sur la moindre histoire humaine. Le récit renvoie nos civilisations au cosmos et affiche la patrie comme un combat contre l’effrayant vide qui nous entoure, un cadre pour ne pas sombrer.
Le travail émotionnel, la structure sentimentale des individus intervient alors. Elle nourrit tout autant la Grande Histoire, influant sur les décisions politiques et stratégies de bataille, que sur les intimités individuelles, socle tragique fondamentale.
Un phénomène de ricochet vient à aspirer tous les éléments en présence, donnant autant d’importances aux larmes des uns qu’à la victoire sur un champ de bataille tout entier.
Dans cette mesure pluri-dimensionnelle, l’état psychologique et émotionnel vient alors à se refléter au-delà du monde humain, vient à toucher la moindre interstice du réel.
Bondartchouk parvient à vitaliser tous les éléments du cadre allant de l’humain au brin d’herbes. Il réussit même à accéder à l’intimité desobjets présents à travers la projection d’une mémoire et nostalgie collective.
Le sentiment de grandeur est tétanisant, déconcertant de par sa constance.
La pensée s’évade, le monde dans son immensité frappe.

Une immensité qui est décuplée par le caractère grandiloquent de la proposition du jeu d’acteurs aux décors en passant par le nombre de figurants en mouvement.
Il est impossible de décrocher le regard.
Bondartchouk a un sens du rythme, de la scénographie, de la chorégraphie, de l’émotion qui emporte tout sur son passage.
Les trouvailles visuelles sont obsédantes, rappelant certaines audaces de Kalatozov. Elles usent de fondus déchirants qui laissent transparaître le grand frisson entre horreur et apaisement, beauté et tristesse, puis fatalement guerre et paix.
Lorsque le cinéaste retombe sur des schémas plus traditionnels, il vient alors nous asséner le coup de grâce. Il se déleste des artifices et observe frontalement la performance déchirante et extatique de Lyudmila Savelyeva. Une brèche mélodramatique s’ouvre allant jusqu’à dépasser l’intensité de certains incontournables de Douglas Sirk.

Guerre Et Paix réalisé par Serguei Bondartchouk est une oeuvre extraordinaire. Il s’agit même ici de diviser le mot pour appuyer la sémantique : extra-ordinaire.
Bondartchouk bien qu’allant de toutes parts, cartographiant une majorité du livre de Tolstoï, parvient à offrir des moments de cinéma épiques, dépassant la simple transposition et offrant une proposition de cinéma totale.

Il aurait été possible de s’éterniser des heures durant. Il aurait été possible d’analyser, d’écrire, jusqu’à en perdre l’usage de la pensée et des doigts tant le travail de Bondartchouk est immense, et cela tombe bien, car l’édition Potemkine renferme justement un écrit tout aussi imposant et minutieux que la proposition cinématographique soviétique.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Potemkine agrandit la collection de ses gigantesques coffrets en bois. Après Rashomon, Haxan et Nosferatu, c’est au tour de Guerre Et Paix de faire son arrivée dans une édition luxueuse.
Bien que nous n’ayons pas eu le coffret en main, et ayant seulement eu les disques et le scan livret en notre possession, nous connaissons la qualité éditoriale Potemkine et pouvons assurer que l’édition physique est très certainement à la hauteur des attentes.
L’édition collector désignée avec maestria par Tony Stella renferme l’édition Blu-Ray de Guerre Et Paix ainsi qu’un livre de plus de 150 pages.

Image :

La restauration 2K proposée par la Mosfilm est certainement la meilleure option pour découvrir l’oeuvre de Bondartchouk. Oubliez vos copies DVD en bout de course.
Ici, nous sommes face à un véritable transfert HD, avec une belle stabilité et une image particulièrement bien nettoyée. De très rares griffures et pocs traversent l’image. Le niveau de détails est suffisamment travaillé pour s’émerveiller face aux images capturées par le cinéaste.

Cependant, ce master de Guerre et Paix est encore largement perfectible.
L’image est nette et travaille particulièrement sur les axes attirant la rétine, mais certaines bordures, périphéries du cadre manquent de netteté, certaines couleurs d’un plan à l’autre s’altèrent, ne s’homogénéise pas.
S’agissant d’un transfert proposé par Mosfilm, nous devons très certainement nous trouver face à un travail similaire à celui de Criterion où plusieurs négatifs avaient été utilisés pour reformer dans sa totalité le film. Des négatifs qui ont dû connaître différents aléas du temps, ne permettant pas une uniformité idéale.

Reste qu’il semble peu probable que nous assistions à une meilleure version du film de Bondartchouk.
Alors, curieux et fanatiques du cinéma soviétique : Foncez !

Note : 7 sur 10.

Son :

Trois pistes sont proposées :

  •  Russe DDTHD 5.1
  • Français DDTHD 2.0
  • Russe DDTHD 2.0

Concernant la version Russe, bien que nous recommandions avec insistance la version 5.1, nous découvrons deux belles pistes. Concernant la piste 2.0, nous avons rapidement traversé la fresque pour tester ses capacités. Elle est largement honorable.
La proposition est puissante, usant fortement de la scène avant mais parvenant durant les séquences de bataille à nous porter au cœur du film.
Il n’y a pas de finesse particulière, nous sommes face à un mix coup de poing.
Chaque fréquence trouve se place, seules les voix sont parfois un peu trop en avant donnant l’impression d’un décrochage entre son et image, une volonté pour appuyer les émotions, l’ampleur mélodramatique explose.

La piste française, quant à elle, bien que faisant un beau travail et bénéficiant d’un doublage charmant reste bien en dessous de ses cousines russes en terme d’immersion.
Reste que les adorateurs de VF trouveront leur compte.

Note : 7.5 sur 10.

Suppléments :

Le clou de l’édition réside dans ses habiles suppléments.
Chaque partie du film est introduite par Joël Chapron, ces dernières ne sont pas obligatoires, mais nécessaires pour pleinement profiter du voyage. Le spécialiste en cinéma d’Europe de l’Est effectue de petits rappels avant chaque partie du film et apporte quelques anecdotes facilitant la lecture du film-monstre.
A aucun moment ce dernier ne vient marcher sur les événements à venir, permettant une merveilleuse découverte accompagnée.

Par-delà ces suppléments introductifs, Potemkine a concocté une édition particulièrement chargée :

Entretien avec Joël Chapron autour de la production du film et de son réalisateur (30′ + 9′) :
Joël Chapron est devenu notre nouveau mentor cinéma. Sa parole autour du film est à la fois très détaillée et didactique. L’attention est soutenue tout du long et il est remarquable de s’immiscer dans l’histoire de la fresque Guerre Et Paix ainsi que de découvrir le parcours de son cinéaste.
Il en dit tant et laisse pourtant encore assez pour continuer notre exploration de l’édition. Il ne marche pas sur les autres contenus, maniant sa barque avec prestance. Regardez tous les suppléments Chapron !

Making of commenté (Mosfilm, 1969, 30′) :
Document d’époque intrigant revenant autant sur le tournage que la production et donnant un regard sur les coulisses.

Portrait de Lioudmila Savelieva, émission « Les Soviétiques » (1968, 28′) :
Sans être sensationnel, le document d’époque revient sur notre grand coup de coeur du film : l’actrice Lioudmila Savelieva.
De nombreuses questions qui nous traversaient l’esprit trouvent des réponses.

Le livre « Guerre et Paix – Une histoire russe, une épopée soviétique » rédigé par Marc Moquin, directeur éditorial de Revus & corrigés , préface de Bertrand Mandico, cinéaste , postface de Marie-Pierre Rey, professeure d’histoire russe et soviétique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (156 pages) :
Le sommet des suppléments autour de cette édition.
L’ouvrage est une mine d’informations et qu’il s’agisse de la préface par Mandico, la rédaction par Marc Moquin ou la postface par Marie-Pierre Rey, tout a été rédigé par un amour profond et sincère du film.
L’écrit aborde la réalisation de Bondartchouk dans toutes ses circonvolutions. De l’adaptation de Tolstoï et ses variations, en passant par la dualité URSS/USA, et toutes les clés de lecture possible du film. IMPRESSIONNANT.

Note : 10 sur 10.

Avis général :

L’édition de Guerre Et Paix est colossale tant de par son format que son contenu.
Potemkine aura pris le temps de concocter savamment son édition, sans la surcharger, sans se répéter et ouvre de merveilleux axes cinéphiles.
Il est fascinant de se promener dans cette oeuvre monde, tout en subtiles variations face au récit de Tolstoï, et s’émerveiller à travers cette mise en scène talentueuse et hallucinée.
Le transfert 2K du film proposé par Mosfilm n’est pas de dernière jeunesse, a des imperfections, certes, mais offre la possibilité de découvrir la fresque de Bondartchouk dans les meilleures conditions possibles à ce jour.
La piste son, Russe 5.1, quant à elle, offre un véritable spectacle.
Une édition incontournable pour un film à réhabiliter d’urgence dans l’imaginaire collectif.

Note : 8.5 sur 10.

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