Vermines : Critique

Synopsis : Kaleb, 30 ans, est passionné d’animaux exotiques. Un jour, il rentre chez lui avec une araignée venimeuse et la laisse accidentellement s’échapper. Les habitants de son immeuble de cité vont devoir se battre pour leur survie.

Réalisateur : Sebastien Vanicek
Acteurs :  Théo Christine, Lisa Nyarko, Jérôme Niel
Genre : Fantastique
Pays : France
Durée : 103 minutes
Date de sortie : 27 décembre 2023

Premier long-métrage réalisé par Sébastien Vaniček, Vermines est un film de survie anxiogène, où une colonie d’araignées vient à piéger les habitants d’une barre d’immeuble située en pleine banlieue.
Depuis désormais presque dix ans, le réalisateur a tourné quatre courts-métrages nerveux et irrévérencieux, bien qu’encore assez confidentiels.
Sortie le 27 décembre 2023, la proposition s’est actée en seulement quelques jours comme un succès foudroyant en salles, prolongeant ainsi les échos de festivals. La réalisation française pleine de monstres à huit pattes est très vite devenue une curiosité que nous ne souhaitions pas rater en salles.
Assisterons-nous enfin à la célébration d’un nouveau cinéaste porte-étendard du fantastique français qui, bien que vivant, peine encore à faire renaître sa radicalité passée. Dans nos esprits les noms de Pascal Laugier, Alexandre Aja et Kim Chapiron se bousculent.
En deux semaines, Vermines n’a cessé de grandir, de résonner, et notre rétine aujourd’hui ne pouvait plus résister à une telle excitation.

Kaleb, 30 ans, vit avec sa sœur dans l’appartement de leur mère décédée.
Il gagne sa vie avec du recèle de baskets. Elle rêve de devenir autoentrepreneuse. Les mondes s’entrechoquent, la promiscuité devient difficile.
Le jeune homme est passionné d’animaux exotiques, collectionneur, mais ne possède aucune autorisation.
Un jour, il fait entrer dans sa collection une mystérieuse araignée. Cette dernière s’échappe, s’enfonce dans les sous-sols, fondations rongées, et commence à tendre son piège, inversant la chaîne alimentaire toute entière.
L’immeuble est confiné, cerné par les forces de l’ordre.
Le lieu se transforme rapidement en dédales où les petites bêtes à huit pattes se mettent à pulluler.
Les heures passent. Les couloirs se recouvrent progressivement de toiles. Les araignées ne cessent de grandir. L’humain devient chair, vermine à consommer.

Sébastien Vaniček construit un saisissant huis-clos, travaillant les espaces exigus et sa population.
Il réussit très rapidement à mettre son rollercoaster fourmillant de bébêtes sur pied. Il modèle une diversité de personnages, entre rêves et ténèbres, et saisit les problématiques de l’espace en présence.
Le cinéaste trouve sa direction quelque part entre les chemins modernes et rageurs de Gagarine, Les Misérables, Parasite, Divines et Athena.
Il parvient à trouver un juste milieu entre divertissement de genre et témoignage de société.
Vermines est incandescent, puissant, et trouve chez chacun des personnages les aveuglements, promesses factices d’une société qui renvoie ses indésirables à la bordure, qui crée des viviers où l’espoir n’est que vaine illusion, où l’espoir est le dernier rempart avant le soulèvement.

Étrangement, d’ailleurs, la proposition claudique dans la narration des personnages principaux, avec cette histoire de famille distordue et pour la moins inintéressante là où tout l’arrière plan fascine. Le cinéaste prend un tournant émotionnel pompeux et assez ordinaire, là où il donnait à voir l’intimité des voisins, tranches de vie, bien plus intrigantes et singulières.
Les acteurs sont crédibles, sans jamais pour autant transcender le spectacle qui assiège nos rétines. Reste que la présence de Finnegan Oldfield surprend et dénote trop au niveau du jeu général, son interprétation touchant parfois à la caricature, sa performance étant bien trop souvent poussive.

En miroir des araignées qui infestent l’immeuble, le cinéaste pose la question d’une dignité humaine perdue, questionne avec férocité les conditions de vies banlieusardes, et affirme un regard militant et nécessaire.
La représentation des cités au cinéma n’a cessé d’être nourri depuis La Haine, et la ville moderne vantée par Godard avec 2 ou 3 Choses Que Je Sais D’Elle est depuis bien longtemps en ruines.
Il devient vite évident que ce lieu de misère et de détresse est une impasse dont les forces étatiques ont savamment verrouillé les issues. Vermines dresse alors le portrait d’un quartier en surpopulation, qui s’entraide, certes, mais qui, dans ses urgences, dans ses instants où la mort rôde dans les couloirs, conduit à la cannibalisation, à l’escalade des corps pour espérer à échelle individuelle toucher une lumière, quête prométhéenne impossible, la lueur n’étant que reflet, la cité n’étant que grotte, une cavité trompeuse bien éloignée de celle de Platon.

Dans ce parcours de survie, aux obscures recoins et chemins dégradés, le cinéaste poursuit son savoir-faire en matière de mise en scène coup de poing, frontale et nerveuse.
Nous sommes traversés de frissons, sursautant au moindre mouvement, jouant de lumières défectueuses et de pénombres véritablement inquiétantes. Vermines est une réussite certaine dans sa façon d’happer le regard et piéger nos esprits. Elle réussit là où Evil Dead Rise, aux similitudes architecturales troublantes, ne parvenait pas à faire ressentir la peur à chaque angle mort.

Cependant, Vaniček, bien que maîtrisant une grande partie de son film, part en roue libre, se saborde dès le dépassement de l’espace clos, dès la confrontation avec les forces de l’ordre.
Il propose effectivement une approche pour la moins réaliste dans les interactions entre habitants et CRS mais prend plaisir à forcer, grossir le trait, quitte à toucher à des reliefs caricaturaux, interstices par lesquels le film chavire dans l’action pure et dure, oubliant totalement nos terreurs, soulageant nos esprits et perdant malencontreusement notre attention.
Une situation qui s’embourbe avec une fin ouverte quelque peu poetico-boiteuse, qui fait perdre de la radicalité au film et ne réussit pas à maîtriser le relief de cinéma abordé.

Vermines est une belle surprise, un grand-huit qui assurément fera date au cœur d’un cinéma français de genre parfois trop nombriliste.
Sébastien Vaniček, bien qu’ayant recours à quelques facilités d’écriture, construit tout un monde, représente les indésirables, les rejetés, et fait naître l’horreur à travers un labyrinthe de miroirs où habitants et araignées sont renvoyés par les institutions aux rangs de vermines.
Vermines qui se croisent, s’ausculent, s’écrasent et se dévorent, dans une société au bord du gouffre, de l’effondrement, du chaos tout simplement.

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