L’Etrangleur : Critique / Les Errances Nocturnes de Vecchiali

Synopsis : Émile reproduit le meurtre auquel il avait assisté étant enfant : un étrangleur à l’écharpe blanche. Il est ainsi l’auteur de 5 crimes gratuits perpétrés à l’encontre de femmes désespérées. Simon, journaliste à la télévision, cherche à le rencontrer.

Réalisatrice : Paul Vecchiali
Acteurs : Jacques Perrin · Julien Guiomar · Eva Simonet.
Genre : Drame
Durée : 98 minutes
Pays : France
Date de sortie : 1970 (salles)

Émile est un jeune homme qui chaque nuit déambule dans Paris et ses faubourgs.
Il observe, suit et sonde les âmes errantes. Il cherche avec assiduité les êtres qui désirent échapper à la vie, les êtres qui parcourent les rues à la quête d’une méthode pour quitter ce bas-monde.
Lorsqu’il trouve ces cœurs brisés, ces parcours en bout de course, Émile saisit son écharpe en laine, taille enfant, la noue autour du cou des destins vagabonds et étrangle. Une fois l’acte commis, il retourne à son appartement, dormir, au milieu de cadres et rideaux rouge sang, entouré de livres jeune public, du Petit Prince à Lucky Luke, et accompagné par son fidèle ami, son berger allemand.
Le matin venu, Émile n’est plus le même homme, il travaille sur les marchés, conserve son anonymat au cœur d’une ville éprouvée par les crimes de chaque nuit, où les policiers simulent d’être journalistes pour relancer l’enquête, où les désespérés espèrent un ultime rendez-vous nocturne avec le jeune homme, où les vendeurs de journaux hurlent sur le pavé ses exactions meurtrières.
Emile observe ce grand cirque et attend la nuit.

Film né de nombreuses déambulations nocturnes du cinéaste, L’Etrangleur raconte l’humain, sa nature, à l’abri de l’astre qui aveugle, lorsque dans la pénombre les facettes profondes resurgissent laissant parler pleinement les âmes travesties par la société.
Jacques Perrin, particulièrement déstabilisant dans son rôle d’Emile, nous guide dans la nuit, et observe le caractère contagieux du crime, mais aussi les vérités contenues.
Les perversions refoulées jaillissent, les crimes, les larmes et les errants pullulent mais au milieu de cet enfer doux amer il y a aussi les révélations du cœur, celles qui n’ont pas leurs places le jour, celles qui transcendent certains esprits jusqu’alors dans l’impasse d’une surcharge mentale quotidienne, celle de l’image à renvoyer par nécessité d’être accepté, faisant s’évanouir l’individu dans le collectif.

Vecchiali travaille les esprits dénaturés et en abordant le cas d’Emile, tueur au charme dissident, qu’il présente comme un cas d’école psychanalytique, plongeant dans le subconscient et les blessures d’enfance, il effectue une chaîne de remises en question, creusant les personnages caricaturaux du policier à la prostituée en passant par le voleur et les loubards afin de distinguer leurs véritables spectres intimes.
L’Étrangleur se met alors à questionner l’éthique et les valeurs que nous plaçons derrière nos gestes, derrière nos paroles, derrière nos actes. L’observation d’Emile, à la recherche de morts à venir, montre alors une humanité désincarnée, perdue dans les limbes, qui répond aux ordres sans croyances légitimes, espérant trouver chaque jour assez de reconnaissance pour ne pas distinguer le vide au-dessus duquel elle plane, celui de la méconnaissance de leurs propres personnes, angoisse existentielle.
Les étouffements proviennent de ceux qui ne parviennent à coordonner certitudes et actes, l’étau se resserre alors jusqu’à ne plus pouvoir respirer.

Le cinéaste, faisant traverser son œuvre d’inventivités expérimentales en matière de montage, d’une liberté surprenante dans ses mises à mort ressemblant à de paisibles endormissements, dans une ritournelle infernale alternant les jours et les nuits à la quête d’une identité, d’une place à occuper dans le monde, ouvre une image inattendue et pourtant si juste sur nos structures du réel et aveuglements personnels.
La construction du cadre, à travers de multiples symboles, dont le chien qui rattache à l’enfance, et ses couleurs, définissant l’architecture interne dissimulée des personnages, permet à la proposition de très rapidement dépasser un cheminement narratif qui de prime abord pourrait paraître terriblement simplet et se révèle finalement redoutablement incisif et corrosif.

Mais ce qui surprend le plus dans cette réalisation datant de 1970, au-delà de l’humain, est son regard sur le cinéma, son hybridation des expressions et sa structure d’avant-garde.
Il y a dans L’Etrangleur réalisé par Paul Vecchiali tout autant les errances de Jacques Rivette que les fulgurances de Jacques Demy, un bain bouillonnant où le giallo, balbutiant tout juste en Italie, rencontre la picturalité de Godard, un cri dans la nuit qui laisse transparaître la naissance d’un monde, univers où très certainement Aki Kaurismaki a déambulé, le film ayant tout autant la hargne prolétaire de Crime Et Châtiment que l’étrange vitalité du théâtre des âmes esseulées de Les Feuilles Mortes. Envoûtant.

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