Otalia De Bahia : Critique et Test Blu-Ray

Synopsis : Années 1970 – Dans les quartiers pauvres de Salvador, sur les hauteurs de Bahia, vit une communauté composée de personnages pittoresques et chaleureux. Ils ont pour nom Coq Fou, Ygrec, Massu, Rosa Moustache… et Otalia. Cette dernière, prostituée au service de Dona Tiberia, est amoureuse du caporal Martim. Cette bande de joyeux drilles partage une passion commune pour la musique, la danse et l’amour. Mais leur pauvreté les confronte aussi régulièrement à la police.

Réalisateur : Marcel Camus
Acteurs :  Mira Fonseca, Antonio Pitanga, Maria Viana
Genre : Drame
Pays : France
Durée : 120 minutes
Date de sortie :1975  (salles) / décembre 2023 (Blu-Ray/UHD)

Marcel Camus est un cinéaste qui, bien que connu pour Le Mur De L’Atlantique et Orfeu Negro, reste assez peu mentionné comme réalisateur français d’importance.
Et pourtant, du côté de Kino Wombat, nous avons une véritable soif pour son cinéma et une curiosité sans limite en ce qui concerne le retour de Camus au Brésil avec ce titre extrêmement confidentiel qu’est Otalia De Bahia, dernier long-métrage du réalisateur.
Et c’est finalement du côté de notre éditeur de chevet, Le Chat Qui Fume, par le biais de sa nouvelle collection digibook, que notre rétine a enfin pu se poser sur ce titre inespéré avec une restauration 4K pilotée par Le Chat en personne.

L’article s’organisera de la manière suivante :
I) La critique de Otalia De Bahia
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Otalia de Bahia se déroule sur les hauteurs de Salvador, dans une favela dénommée Mata Gato.
Cet espace rongé par la pauvreté, mais élevé par l’entraide, surplombe les plages et laisse entrevoir le nouveau Brésil, fruit d’une mondialisation aggressive, résultante d’une uniformisation et monétisation du monde.
Un Brésil où les habitants de Mata Gato n’ont pas leurs places, tout du moins pas sur un espace avec une vue et situation si enviable.
Dans ces rues de fortune, dans ces espaces périphériques, une galerie de singuliers et attachants personnages cohabitent.
Marcel Camus construit un territoire filmique assez proche de Orfeu Negro, il travaille les emplacements, les géographies, pour faire jaillir les maux d’un peuple, ainsi que ses croyances et coutumes, dénigré, rejeté et voué à disparaître. Il analyse d’ailleurs ici bien plus en profondeur le coutumes et rites, et en fait un film aux accents anthropologiques.

Un beau matin, en plein Mata Gato, une certaine Otalia, jeune prostituée, vient s’installer au cœur du bouge.
La jeune femme fait la rencontre des différents énergumènes allant de Curio, le timide, à Massu, tendre montagne de muscle, en passant par Tiberia, maquerelle bienveillante, ainsi que toute une farandole de gais lurons. Les fêtes se succèdent, du baptême au mariage, du mariage à l’enterrement. Les cycles de vie s’écoulent.
Au cœur de cette agitation permanente, un visage s’immobilise dans le regard de la belle Bahia, celui de Martim.
Le jeune homme, charmeur et vénéneux, attirant et obsédant, ne cesse d’osciller entre petites combines, relations d’un soir et fuites.

Les terreiros résonnent et portent ces destins quelque part entre la rugosité du réel et les échappées spirituelles, relations ésotériques.

Marcel Camus propose de plonger au cœur de cette communauté, aux côtés de ces personnages carnavalesques et hurlant d’humanités, mêlant les récits de tous les personnages et tenant l’architecture principale, le fil rouge, celui de Otalia et Martim, de manière souterraine. Il ranime cette flamme pour nous émerveiller au cœur de cette errance fabuleuse, où chaque jour est un combat, où chaque nuit est une célébration.
Une lutte pour l’amour, la fraternité et la liberté face à un pouvoir étatique vantant les mérites d’une société individualiste, où seuls les droits propriétaires, ceux obtenus par un système financier factice et corrompu, donnent le droit d’exister.
En choisissant cette place dans les hauteurs, en plein poumon touristique, en pleine effervescence moderne, le cinéaste français donne des airs de La Commune De Paris, en transformant la favela, lieu anciennement reculé et abandonné, en cité insurrectionnelle.
Dans les bras de cette cité ne réside pas seulement des individus mais toute une histoire, toute une tradition, qui se risque à l’oubli dans le cas d’un terrassement des baraquements pour élever de nouveaux gratte-ciels.

Du candomblé, croyance spirituelle remontant à l’esclavage, à la capoeira, art martial masqué sous forme de danses, en passant par les diverses cérémonies, et rituels quotidiens qui animent Mata Gato, le voyage est fascinant, la tension palpable, le soulèvement certain.
Tout en parallélisme, en balanciers, le mode de vie occidental, vampirique, s’immisce et révèle les racines d’un peuple, faisant de Mata Gato, le dernier bastion pour la liberté.

Il est difficile de ne pas voir en Otalia De Bahia, film chaos, l’inspiration Fellinienne et ses hystériques énergies, les échos de Pagnol, mais également l’esprit du cinéma à venir de Kléber Mendonça Filho, avec Les Bruits De Recife, ses agences de sécurité privées terrifiantes, Aquarius, parsemé de magouilles immobilières pour déposséder les habitants, ou encore plus directement Bacurau, et l’assaut d’un village, sa destruction, le massacre de ses habitants, pour répondre aux besoins financiers et politiques d’un État reflet à celui de Bolsonaro.
En cela Otalia De Bahia est un film de révolte bouillonnant, une vision effroyable, s’écartant de la magie mythologique de Orfeu Negro, pour toucher les tiraillements terrassants du mélodrame.

Entre Candomblé, capoeira et insoumissions, repoussés dans les hauteurs de Bahia, les habitants des favelas sont ici le dernier rempart d’une culture séculaire face à un pouvoir étatique capitaliste moderne dévastateur où le droit n’est plus que passerelle pour déposséder, profaner et annihiler une population et son Histoire.
Dans le fracas des rires, des cris, des danses et des corps, Otalia De Bahia est d’une lumière aveuglante, auscultant un peuple qui ne se taira pas, qui toujours trompera l’oppression par sa soif de vie, de joie et de liberté.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Deuxième digibook venant de chez Le Chat Qui Fume, et designé par Frédéric Domont, que nous explorons et il est difficile de ne pas être charmé par un tel objet. Qu’il s’agisse des visuels, des matériaux utilisés ou encore de la patte éditoriale, tout nous envoûte.
Et si nous avons les quatre premières éditions répondant à ce nouveau format, il faut bien avouer que Otalia De Bahia a notre préférence, en tant qu’objet.
Il s’agit d’ailleurs du seul de cette première fournée à bénéficier d’écrits dans son livret.
Une note qui nous touche tout particulièrement, car nous adorons feuilleter et découvrir à travers ce type de propositions.

Image :

Film complètement oublié depuis plusieurs décennies, provenant cependant d’un cinéaste français incontournable, Otalia De Bahia n’a connu aucune ressortie depuis son édition VHS.
Aujourd’hui, Le Chat Qui Fume propose de (re)découvrir ce morceau de cinéma fascinant avec une restauration exemplaire.
Nous avions été bousculé par la beauté de la restauration d’Orfeu Negro il y a quelques années, proposée par Potemkine, et sommes amoureux du travail réalisé sur Otalia De Bahia.

L’image est parfaitement stable, nettoyée des diverses marques, griffures, craquelures et gagne de belles dynamiques.
Le caractère argentique a été minutieusement conservé et travaillé avec un très beau grain apportant détails et profondeur, Salvador fourmille de vie, et se transforme en véritable carnaval de couleurs avec un affinement colorimétrique réjouissant.
Nous avons aimé nous perdre dans de si belles images, explorer les textures et environnements divers.

Note : 10 sur 10.

Son :

Deux pistes en présence, Portugais et Français en DTS-HD MA 2.0 :

  • La version portugaise a été nettoyée de tout souffle, saturations et autres imperfections du genre et s’avère stable. Il y a une véritable énergie, qui reste confinée à la scène frontale, et porte au cœur du film avec de convenables équilibres de fréquences. Une belle expérience.
  • La version française bien que correctement travaillée, avec des voix très légèrement en retrait, nécessitant d’hausser le volume, mais restant dynamiques, reste une triste expérience en terme de doublages dénaturant absolument tout le film, transformant alors le comique en absurde.
    On ne peut donc que préconiser une découverte en portugais.

Note : 8 sur 10.

Suppléments :

Le Chat Qui Fume autour de l’édition d’Otalia De Bahia ne nous offre pas son édition la plus fournie, comme nous en avons malheureusement pris l’habitude.

• Interview archive du réalisateur Marcel Camus (6 minutes) :
Sympathique mais bien trop court entretien pour découvrir Marcel Camus et son cinéma, d’autant plus que le rythme des échanges est assez lent.
Marcel Camus est néanmoins intéressant et fournit de belles réflexions.

• Dossier de presse accompagné de photographie promotionnelles :
Le fin dossier de presse revient sur l’histoire du film, ses personnages, la carrière de Marcel Camus, l’auteur Jorge Amado, les comédiens et explicite certains concepts locaux comme le Candomblé, les terreiros ou encore les Braco.
Un curieux document qui use d’un vocabulaire qui aujourd’hui serait impossible à tenir dans des dossiers de presse.

• Film Annonce

Note : 5.5 sur 10.

Avis Général :

Otalia De Bahia est une œuvre à réévaluer d’urgence. Le travail de Marcel Camus n’aurait jamais dû se retrouver aux oubliettes avec une telle force d’images et d’écriture.
L’édition digibook concoctée par Le Chat Qui Fume est de nouveau une réussite qu’il s’agisse de l’objet comme de son contenu.
Le master image est exemplaire et la partie son est plutôt solide.
Reste alors des suppléments timides, dont on retiendra essentiellement un livret avec dossier de presse à la langue suave et au fantasme exotique qu’il serait actuellement difficile de se permettre.

Note : 8 sur 10.

Pour découvrir Otalia De Bahia en Blu-Ray :
https://lechatquifume.myshopify.com/products/otalia-de-bahia

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