Satoshi : Critique

Synopsis : Satoshi est aveugle depuis ses 9 ans. Sa vie bascule une seconde fois à 18 ans, lorsqu’il commence à perdre l’audition. Accompagné par sa mère, Satoshi va réapprendre à vivre et s’évertuer à découvrir un nouveau sens à sa vie.

Réalisateur : Jumpei Matsumoto
Acteurs : Koyuki Katō, Hisashi Yoshizawa, Taketo Tanaka
Genre : Drame, Biopic
Durée : 117 minutes
Année : 28 février 2024
Pays : Japon

Adaptation de la vie de Satoshi Fukushima, Satoshi est le quatrième film de Jumpei Matsumoto, et le premier à atterrir dans les salles françaises.
La proposition revient à la fois sur le parcours surprenant d’un jeune homme devenu progressivement sourd et aveugle, ayant été le premier individu avec de tels handicaps à devenir professeur universitaire au Japon, et sur la relation fusionnelle extraordinaire avec sa mère, créatrice du braille tactile.

Le long-métrage prend la voie du Boyhood de Richard Linklater, sans pour autant s’embarquer dans un dispositif suivant l’acteur de sa naissance à l’âge adulte, le film de Matsumoto préférant changer d’interprètes pour les diverses nappes d’existence parcourues.
Satoshi ausculte ainsi le développement de Fukushima de sa naissance jusqu’à ses examens d’entrée à l’université.

Matsumoto face à ce chantier d’ampleur autour d’une figure incontournable de la société nippone, tente d’approcher le récit de manière assez surprenante, modulant, et cassant parfois la dynamique tonale et atmosphérique d’une tranche de vie à une autre.
Un procédé qui aurait d’ailleurs pu s’avérer judicieux afin d’accéder à un cinéma sensible, poétique, si ce n’est même expérimental en s’approchant de la troublante perte de sens de Satoshi Fukushima…
Et pourtant, plus les problématiques se compliquent, plus les questionnements abondent, et plus le cinéaste semble prendre des distances avec le personnage, créer un espace vide de sens entre réel et imaginaire, afin de délivrer une oeuvre dramatique doucereuse et convenue, extrêmement artificielle et bienveillante, plutôt que d’essayer l’approche intime.
Les pirouettes émotionnelles poussives se succèdent, reposant sur de navrants accompagnements musicaux, s’affranchissant totalement du signifié, pour nourrir un signifiant fantasmé par Matsumoto.

Un constat qui blesse terriblement.
Malgré que l’on ait pu s’émerveiller durant l’introduction du film qui interrogeait sur la place conséquente que prend un enfant handicapé dans le foyer, les répercussions relationnelles tant entre les parents qu’au sein de la fratrie, le cinéaste cède à ue facilité de mise en scène étonnante.
Matsumoto tenait une amorce aboutie, un véritable équilibre arythmique envoûtant autour de la place de tout un chacun au niveau familial, que nous aurions aimé retrouver à une échelle plus grande une fois Satoshi approchant de son indépendance.
Nous espérions finalement partir à la découverte de son monde sensoriel, explorer sa perception d’un univers fait de pénombres pour finalement analyser sa place tant sociétale que cosmique.
L’exploration des espaces et liens humains manque terriblement de profondeur. Les personnages périphériques relèvent d’ailleurs de l’anecdote. Le réalisateur préfère une voie conventionnelle sacrifiant tristement la singularité, les reliefs, l’abandon au temps, l’espace et le potentiel poétique d’une telle histoire.

Le monde qui se dérobe, sous les yeux et l’ouïe, ne se fait pas ressentir.
Le récit se déroule, chaque problème ayant toujours une issue sereine, si ce n’est naïve, et l’intensité qui avait su nous traverser ne cesse de s’allèger, et ce, non pas par poésie, mais par mécaniques humaines illusoires, maquillant et masquant l’intensité d’un parcours, voulant tout couvrir, pour ne finalement rien disserter et s’étalant dans une superficialité malheureuse.

Reste que Satoshi tisse une belle petite histoire mère-fils interprétée avec honnêteté.
Les acteurs maintiennent la tête du film hors de l’eau.
Koyuki Katō est intrigante, dans son don tout en retenus, où le regard est traversé d’une tristesse constante qui apporte une résonance trouble au récit, un espace bienvenu dans un film plein d’un espoir étouffant, qui répond parfaitement à l’autre révélation en tant qu’acteur qu’est Hisashi Yoshizawa interprétant le père, qui, dans l’ombre, offre une profondeur nécessaire au personnage de Satoshi. Quant aux acteurs consécutifs interprétant Satoshi, les premières années sont extraordinairement convaincantes mais l’âge adulte reste maladroit et insipide.

Satoshi réalisé par Jumpei Matsumoto aurait pu être un moment majestueux d’une délicatesse, et d’une poésie rares.
Quelques inserts et cheminements narratifs nous laissaient rêveurs, et pourtant, le cinéaste japonais tombe irrémédiablement dans le piège du cinéma « biopic » oubliant la magie environnante, lumières comme ténèbres, se moquant du cinéma sensoriel, pour se transformer en catalogue de vie, compilation construisant un drame poussif porté par un espoir constant assez repoussant.
Il y avait pourtant tant à expérimenter autour de cette figure singulière qu’est Satoshi Fukushima, malheureusement il n’y a ici que banalités et trompe-l’œil ordinaires.

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