Synopsis : Printemps 1946. Après trois années dans un camp de prisonniers japonais, Ivan ne pense qu’à retrouver Maria, son amour de jeunesse dont le souvenir idéalisé lui a permis de survivre aux horreurs de la guerre. De retour chez lui, dans une petite ville ouvrière de Pennsylvanie, il comprend que Maria est devenue une femme épanouie, courtisée par les hommes de la région. Et pourtant, elle accepte la demande en mariage d’Ivan, pour le meilleur et pour le pire.
| Réalisateur : Andrei Konchalovsky |
| Acteurs : Natassja Kinski, John Savage, Robert Mitchum |
| Genre : Mélodrame |
| Durée : 109 minutes |
| Pays : Etats-Unis |
| Date de sortie : 1984 (salles) / février 2024 (Blu-Ray) |
Intersections est de retour.
L’éditeur français qui nous avait agréablement surpris avec ses deux premiers titres, Mad Dog Morgan et Dingo, dans deux très belles éditions, revient frapper à nos portes avec une nouvelle salve.
Loin du bush et des terres sauvages, Intersections s’intéresse aux Etats-Unis et à ses transitions, années charnières, qui défont et fondent les nouvelles bases tant idéologiques qu’historiques de la nation que nous connaissons aujourd’hui.
Dans les valises de l’éditeur nous retrouvons deux films oubliés, n’ayant plus connu de sorties depuis l’ère de la VHS et parfois même depuis la date de leurs projections en salles.
D’un côté, les premiers pas d’Andrei Konchalovsky en dehors des terres soviétiques, avec l’inquiétant, sensuel et enivrant Maria’s Lovers, et l’autre, Matewan, étouffant morceau d’histoire des terres de l’Oncle Sam, réalisé par John Sayles.
Dans ces lignes, Kino Wombat reviendra autour de l’édition de Maria’s Lovers de la manière suivante :
I) La critique de Maria’s Lovers
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
I) La critique de Maria’s Lovers
Premier film réalisé par Konchalovsky en dehors de ses terres soviétiques natales, Maria’s Lovers pose ses valises aux Etats-Unis.
Il est d’ailleurs étrange de retrouver un tel nom, célébré à Cannes pour Sibériade, chez la Cannon, maison de production plus habituée au cinéma d’exploitation et carrières en bout de course.
Reste qu’à cette époque le studio porté par Golan et Globus permettaient des financements rapides et garantissaient une liberté de création aux réalisateurs. Ce partenariat au-delà de donner naissance à Maria’s Lovers, permettra à Konchalovsky de réaliser trois autres films en dehors de l’URSS.
La suite de ses aventures américaines, après la Cannon, chez les grands studios, s’avérera néanmoins être une sombre désillusion.
1946, quelques mois après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Ivan est de retour dans sa bourgade, rescapé d’un camp de prisonniers au Japon. Il souhaite s’affranchir de toutes les horreurs vécues et les images voraces qui dévorent son esprit.
De retour au bercail, en compagnie d’un père alcoolique sur la touche, il n’a plus qu’une idée en tête : retrouver Maria, son amie d’enfance, son amour préservé, rêvé et l’épouser.
Une idée qui l’aura porté à dépasser le calvaire nippon, ce dernier s’étant remémoré, lorsqu’il gisait dans la boue et le sang, une ancienne promesse de la jeune femme, celle de lui offrir sa main.
Lorsque le chemin d’Ivan, de retour sur les terres de l’Oncle Sam, croise celui de Maria, les rêves s’avèrent amers. Maria a quelques courtisans, dont le père d’Ivan, et le temps semble avoir disloqué les fantasmes devenus réalités imaginaires.
Reste sur la colline, une chaise vide et un trésor enfoui, mémoire d’un règne, celui d’une romance promise.
Malgré le bon sens, Ivan et Maria se marient. Le jeune homme rêve, la jeune femme s’oblige.
Envers et contre les chemins de vie, une parole ne pouvant être déliée, un destin geôle se dessine, contraignant les corps et les esprits.

Konchalovsky surprend dans sa manière de filmer les Etats-Unis.
En plaçant son récit en 1946, il s’émancipe de la relation dualiste, entre les deux plus grandes puissances mondiales, que nous connaissons dès 1947 avec la Guerre Froide et installe son récit en Pennsylvanie au cœur d’une communauté slave, dans un village ayant son église orthodoxe et travaillant tout autant au rythme industriel américain qu’en gardant une philosophie de vie aux aspirations soviétiques.
De la sorte, on entre dans ce virage de la carrière de Konchalovsky en conservant ses orientations, tant visuelles que narratives, celles de Siberiade, celles de Le Bonheur D’Assia. Il touche à la communauté avec un regard mélancolique quelque part entre le spectre de l’acide rêve américain et les traditions des terres natales.
Il est d’ailleurs intéressant de rapprocher Maria’s Lovers de Le Bonheur D’Assia, tant les deux films dans leurs dimensions mélodramatiques parviennent à communiquer, interagir dans leurs images et émotions.
Au-dessus de Konchalovsky plane le souvenir-ruine du cinéma de Douglas Sirk, la complexité d’un regard lointain sur des terres nouvelles.
De manière périphérique, également, le voile de Nostalghia se rappelle à nous, premier film hors URSS pour Tarkovski, où le cinéaste sondait les limites des croyances religieuses, de l’invisible, entre le regard poétique de l’exilé russe et la dévotion obligée mais non désirée des locaux italiens.
Le voyage en terres vierges débute. Pour rassembler ses paysages éloignés, Andrei Konchalovsky use des grands textes, saisit L’Odyssée d’Homère et part voguer.
Chez Konchalovsky, Ivan devient Ulysse, le retour en terre promise, son fardeau.
Les associations et projections entre fantasmes et réalités construisent les monstruosités, les ardeurs tout comme les rancœurs. Les rats traversent la rétine, se faufilent dans le gosier, s’alimentent des cadavres, ceux qui ont perdu l’espoir de vivre, ceux qui ont oublié leurs noms et histoires personnels.
L’existence des uns condamne le chemin des autres.
La terre qui régénère disparaît sous le béton, les cicatrices saignent, le monde s’écroule, seule l’illusion s’affiche comme cap, mirage surréaliste et cauchemardesque, dementia tremens sentimental.
L’atmosphère est étouffante, les couleurs ternes, l’étrange silhouette du purgatoire se distingue. La proposition est impressionnante dans ses représentations sensibles et happe totalement l’attention, arrache nos coeurs.


Les personnages de Maria’s Lovers sont traversés d’architectures ambivalentes qu’il s’agisse de Maria, vierge et séductrice, Ivan, colosse et impuissant, et se définissent par un sentimentalisme ardent, faisant de chaque personnage du récit une figure caricaturale du drame romanesque. Nos esprits sont écorchés et l’écriture prévisible mais d’une intensité terrifiante témoigne de la puissance du cinéma de Konchalovsky, dissimulant dans les détails, dans les secrets, d’impertinentes tempêtes.
Une dimension tragique se déploie qui condamne le corps par l’âme, qui blesse l’âme par le corps.
Les destins prisonniers se mutilent, affrontent le passé, les souvenirs de guerre et les vies fantasmes.
Tout en construisant une romance somme toute pour la moins ordinaire, autour de l’incapacité de conquérir le corps et le cœur de l’être aimé, damnant les songes, Konchalovsky œuvre avec poésie, la même qu’il a expérimenté lorsqu’il écrivait les scénarios des courts de Tarkovski, donnant au moindre plan, espace en présence, une profondeur dissertant tout autant sur l’histoire, les terres et les hommes. Son récit se poursuit bien au-delà des interprètes principaux et plonge au cœur de toute une communauté, observe et analyse les comportements, apportant gracieusement des prolongations symboliques, des secrets susurrés.
Maria’s Lovers, bien que partiellement oublié dans la filmographie d’Andrei Konchalovsky, est un étonnant travail où l’on apprécie explorer les mouvements de caméra, l’agencement des cadres, pour révéler les spectres intimes.
Paysages intérieurs de personnages touchés par la grâce et portés par des acteurs surprenants, pour la plupart au sommet de leurs carrières, tout particulièrement l’envoûtante Natassja Kinski.
On se trouve vite pris de vertiges face à ce drame, rebondissant sur le complexe de Vénus, qui vient chercher ses origines par-delà les océans, que cela soit au Japon, en terres slaves ou encore au fin fond d’une terre volée, artificielle, les États-Unis.
Une passion insoupçonnée vient de naître.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
Image :
MARIA’S LOVERS a été restauré en 2K à partir de l’interpositif, scanné en 2017 par EFilm.
Une copie d’exploitation a servi de référence colorimétrique. L’étalonnage a été réalisé sous la supervision de Dennis Cardamone à Burbank.
Maria’s Lovers revient de loin, et les rares images qui ont pu circuler étaient jusqu’aujourd’hui assez fatiguées, et même dénaturées.
Le master en présence est alors une véritable résurrection.
L’image a été finement nettoyée et le cadre a été solidement stabilisé. Le travail autour du piqué a permis de conserver le grain pellicule et une image assez précise. Reste que par moment le grain perd en précision et virevolte.
Le passage par l’interpositif pour la restauration donne également des impressions de douceur et d’imprécision dans la photographie durant les scènes où les noirs prédominent.
C’est surtout dans son étalonnage que Maria’s Lovers gagne toute sa beauté avec des variations particulièrement minutieuses et une palette intense mais toujours juste, certaines séquences sont d’une picturalité envoûtante.
Son :
Les pistes son d’origine ont été conservées et restaurées par Metro Goldwyn Mayer.
La piste DTS-HD 2.0 VOSTFR est stable, les voix mises en avant, parfaitement intelligibles sans pour autant écraser les accompagnements, effets sonores et pistes musicales.
L’équilibre est bon et les fréquences ne saturent à aucun moment.
Une très belle voie pour découvrir le film.
La piste DTS-HD 2.0 Française n’a pas encore été testée par nos soins.

Suppléments :
- Entretien avec John Savage (6min, VOSTF) :
Sympathique supplément mais assez vide, quelques anecdotes sont distillées et laissent surtout entrevoir le tempérament tout aussi réservé qu’exalté de John Savage.
C’est court, dynamique et le face à face est plaisant. - Entretien avec Vincent Spano (16min, VOSTF) :
Bien plus fourni que l’entretien avec John Savage, Vincent Spano revient sur des thématiques semblables mais s’aventure bien plus en profondeur et en détails.
Maria’s Lover vu de l’intérieur ! - Maria’s Lovers par Olivier Père (30min, VF) :
Le directeur d’Arte Cinéma France explore et exhume avec précision et minutie le cas Maria’s Lovers.
Il est particulièrement exaltant de se perdre dans les récits d’Olivier Père qui revient sur la situation désespérée de Konchalovsky à la veille du projet, la place de la Cannon dans la oncrétisation du film, le choix des acteurs et la position déterminante de Natassja Kinski, les réécritures de script, l’analyse du film et sa réception critique et public.
Les éléments sont abordés avec didactisme, la voix est posée, calme et l’aventure profondément plaisante. A ne pas rater. - Michel Ciment à propos d’Andrei Konchalovsky (30min, VF) :
C’est le monument par les suppléments de cette édition.
Michel Ciment revient, avec les mots justes et une intelligence de cinéma hors pair, sur la carrière du cinéaste.
Il y a tant à dire, tant à parcourir et le supplément le fit si bien. Foncez. - Message téléphonique promotionnel d’époque (3min, VF) :
Intersections a eu les mots justes pour présenter ce surprenant supplément :
« Au cours des années 1980, UGC, qui distribuait MARIA’S LOVERS en salles, avait mis en place un numéro de téléphone que l’on pouvait appeler afin d’obtenir des informations sur certaines de leurs sorties.
Ces messages pré-enregistrés, d’une durée comprise entre 1 & 3 minutes, évoquaient le synopsis du film en question (parfois décrit par les acteurs eux-mêmes), et étaient illustrés par des extraits de la bande-originale.
Dans ce message, vous entendrez l’animatrice Macha Béranger présenter le film, son casting et son réalisateur, accompagnée par la chanson » - « Maria’s Eyes » interprétée par Keith Carradine.
- Bande annonce (VOSTF)
- Livret de 28 pages contenant un nouvel entretien avec Andrei Konchalovsky, ainsi qu’un essai de Justin Kwedi sur Nastassja Kinski :
Avec Intersections, nous commençons à nous habituer au luxe des livrets finement rédigés.
Pour le cas de Maria’s Lovers, l’éditeur français propose deux parties distinctes avec d’un côté un écrit de Justin Kwedi autour de Natassja Kinski et de l’autre des entretiens avec Andrei Konchalovsky.
L’écrit de Kwedi s’intéresse à la carrière de l’actrice de 1975 à 1984, il y a un véritable art de la synthèse dans l’écriture et on pénètre très rapidement dans les formulations et l’agencement des paragraphes pour suivre le développement de la carrière de la jeune femme.
Les entretiens, eux, sont sans langue de bois et reviennent sur la genèse du projet, la rencontre avec Natassja Kinski, la production du film, les caractéristiques techniques du tournage et enfin un miroir autour du film entre l’époque de sa sortie et aujourd’hui.
GÉNIAL. - Pour les as de la précommande, un retirage des quelques pages qui traitaient du film dans Positif, contenant une interview de Michel Ciment avec Konchalovsky a été également glissé dans le colis.

Avis général :
Intersections, qui semble se spécialiser dans l’exhumation d’oeuvres inespérées, vient, en proposant le premier film réalisé par Andrei Konchalovky en dehors d’URSS, à porter à nos regards une oeuvre charnière dans la carrière du réalisateur.
Découvrir Maria’s Lovers, après avoir traîné des années à la recherche de copies de qualité « acceptable », dans de telles conditions relève quelque peu du miracle.
Bien que perfectible sur quelques aspects le master image tout comme le rendu sonore sont de très bonne facture.
Intersections complète avec brio son édition par un déluge de suppléments dont un entretien monumental avec le regretté Michel Ciment.
Superbe.
Pour découvrir Maria’s Lovers en Blu-Ray : https://intersectionsfilms.myshopify.com/products/marias-lovers



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