The Sweet East : Critique / Brisures Etats-Uniennes et Labyrinthes à Sorties Dérobées

Synopsis : Lillian, jeune lycéenne, fugue durant un voyage sco­laire. Au fil de ses ren­contres, elle découvre un monde insoup­çon­né. Les frac­tures men­tales, sociales et politiques des États-Unis, fil­mées comme un conte de fée ou une varia­tion d’Alice au pays des merveilles.

Réalisateur : Sean Price Williams
Acteurs :  Talia Ryder
Genre : Drame cynique, Comédie dramatique
Durée : 104 minutes
Pays : Etats-Unis
Date de sortie : 13 mars 2024

Lillian est une lycéenne, bientôt majeure, s’émancipant progressivement du foyer familial.
Le soir, avec ses amis, elle sort en pub, en boîte. Bref, elle s’amuse et expérimente le monde extérieur.
Lors d’une virée dans un club, au milieu des rires et des chants, une femme déboule, armée, et menace le gérant l’accusant de troubles activités dans les sous-sols de l’établissement.
Lillian, observant la situation de crise depuis le recoin donnant sur les toilettes, est rejoint par un jeune punk, qui ouvre une cavité dans le mur, révèle un sombre couloir.
Au bout du tunnel, Lillian se retrouve projetée de l’autre côté des Etats-Unis.
Elle découvre les cultures souterraines, qui, dans les silences médiatiques bouillonnent et font des terres de l’Oncle Sam des espaces tout autant en proie au renouveau qu’à la destruction.

Sean Price Williams, directeur de la photographie chez les frères Safdie et Alex Ross Perry, pour son premier film en tant que réalisateur, se tourne vers le spectre d’un pays déboussolé à l’ère post-Trump, il explore naïvement le monde à la manière de Lewis Caroll avec son Alice Au Pays Des Merveilles, ausculte les espaces périphériques du pouvoir et part à la rencontre des résistants et des contre-cultures, qui attendent la faille pour faire basculer le pays dans de nouvelles et curieuses doctrines alternatives.
Le cinéaste place sa rétine à l’entre-deux, quelque part entre le documentaire et le cinéma expérimental à tendance onirique, et rappelle l’esthétique hypnotique de Her Smell.
Il y a tout autant de réalismes que de rêveries dans ce The Sweet East. Il s’agit d’un objet singulier de réflexion idéologique, un déambulatoire intrigant, et plus largement, une cartographie des mouvements de pensées et hypocrisies qui cisaillent le géant États-unien, une échappée qui observe frontalement les écartèlements et aveuglements de toute une nation.

Au fur et à mesure des rencontres, des communautés croisées, que cela soit les squats punk, pirates modernes jouant de la noise pour déstructurer le réel, les communautés White Pride, cherchant l’harmonie entre bourgeoisie sudiste fangeuse et néant redneck, ou encore les mouvements arty nombrilistes et pseudo-bienveillants, Sean Price Williams définit les profils errants qui parcourent la première puissance mondiale et souhaitent changer fondamentalement le visage du monde.
La soif de pouvoir dessine la science des monstres.
Le cinéaste fait se rencontrer tout ce cirque de freaks et tisse un étrange point de croisement en dehors des champs périphériques, dans le réel forgé par le pouvoir étatique, capitalisme arrogant et déviant, où sarcastiquement ces idéologies opposées viennent à collaborer, sous le signe des billets verts.

Sean Price Williams capture toute cette frénésie avec une beauté aussi envoûtante que malade.
Un écrin factice à la pellicule humide, qui, flattant la rétine détourne d’un certain vide narratif, masquant le caractère compilatoire de l’œuvre.
Il y a une impression de film à sketchs et The Sweet East se révèle être un assommant film bavard, promenade portée par des égocentriques qui ne font que s’écouter, et, où les diatribes prolongées viennent à nous pousser vers les bordures d’un ennui certain.
Le réalisateur vient à oublier l’image, les symboles, les détails qui tranchent, qu’il maîtrise parfaitement mais use trop peu, préférant l’exposé démonstratif, le cours magistral cynique.
Un cruel manque de finesse dans l’écriture est en présence.

Des images fortes nous transpercent telles que ce nationaliste états-unien aux draps jonchés de croix gammés, renvoyant à l’Allemagne Nazie et non aux racines de l’Oncle Sam, dans la haine il n’y a qu’amour du rejet de l’étranger ou encore les inserts vidéo-noise captivants du squat punk pour pénétrer les intimités de la population.
Cependant, il ne s’agit ici que de rares bouffées de maïeutique qui sont trop vites rattrapées par les langues bien pendues, et discours lancinants.

Fort heureusement dans cette surcharge de palabres, un éclair traverse le regard, une lumière, qui, dans le chaos fascine constamment : Talia Ryder.
La jeune actrice est magnétique, son seul regard, ses seuls gestes, obsèdent et ouvrent enfin la conscience, celle d’un réveil sur une société malade, en proie à l’auto-destruction.
En ne répondant que oui à ses interlocuteurs, bien souvent de toxiques mâles perdus, Lillian découvre alors une pluralité de structures secrètes et névroses incurables.

The Sweet East, bien qu’excitant dans ses premiers instants, tant visuellement que narrativement, vient à s’étaler dans la durée transformant l’acide réflexion en démonstration cynique pompeuse.
Pourtant, malgré un désarroi, si ce n’est un désintérêt en cœur de film, la naissance devant nos rétines hypnotisées de Talia Ryder, par la pellicule flatteuse de Sean Price Williams, est un véritable miracle. Elle incarne Lillian avec naïveté et curiosité et installe cette ombre en cours d’éveil au panthéon des personnages cultes du cinéma états-unien.
The Sweet East est une intrigante et difforme expérience de cinéma.

3 réponses à « The Sweet East : Critique / Brisures Etats-Uniennes et Labyrinthes à Sorties Dérobées »

  1. Avatar de Milwaukit
    Milwaukit

    L’attaque armée qui déclenche sa fuite, au début, fait référence au Pizzagate : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_conspirationniste_du_Pizzagate?wprov=sfti1#Gen%C3%A8se_de_la_th%C3%A9orie

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Quentin Tarantino

      Merci pour l’information !
      Je n’avais pas connaissance de cette référence…

      Aimé par 1 personne

      1. Avatar de Milwaukit
        Milwaukit

        Sinon, Talia Ryder joue avec sa sœur Mimi Ryder dans une des dernières scènes du film, elle interprète une cousine.

        J’aime

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De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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