Synopsis : Une fleur à la bouche est un long métrage hybride, diptyque mi-documentaire, tourné dans le plus grand marché aux fleurs du monde, mi-fiction, sur un homme atteint d’une maladie incurable, adapté d’une pièce de Luigi Pirandello.
| Réalisateur : Eric Baudelaire |
| Acteurs : Oxmo Puccino, Dali Benssalah |
| Genre : Expérimental |
| Durée : 67 minutes |
| Pays : France |
| Date de sortie : 2021 |
D’un côté de l’Europe, aux Pays-Bas, un gigantesque centre de tri floral s’active. Les fleurs sectionnées, mourantes, génétiquement modifiées, perdurent jusqu’à leur lieu de chute, de disparition, nos appartements-clapiers, en s’offrant une ultime valse.
De l’autre côté, en France, dans un bar, à l’heure où les commerces baissent leurs rideaux, deux hommes se croisent, l’un a raté son train, l’autre fuit une famille étouffante.
De parts et d’autres, le temps est compté, les cellules se désagrègent, le parcours a été formalisé, trompé.
Lorsque le sang est manipulé, que l’âme est encordée, que l’illusion de de vie s’évapore, que reste-t-il de nos libertés ?
Eric Baudelaire pose son idée à la croisée des formes, entre documentaire et fiction, jouant de miroirs, faisant du spectateur le liant, l’interprète vorace qui au fur et à mesure des analogies construit le film et déconstruit son propre chemin de vie.
Une Fleur à La Bouche est troublant, porte des idées évidentes vers des hauteurs inquiétantes mais nécessaires.
Le cinéaste introduit sa proposition avec une ouverture avoisinant les trente minutes, en observant roses et tulipes du champ à l’entassement par palettes, du geste de la main au tranchant du sécateur jusqu’à l’uniformisation et le calibrage par des monstres mécaniques programmés.
La rétine explore tant les différentes étapes de la dénaturation de la lumière de vie que sa fin annoncée, modelée.
L’être humain agenouille le vivant, le trafique, extrait l’âme et forme un étrange ravissement macabre, celui de la charogne en instance de disparition, du squelette à en devenir où l’esprit a été extrait pour mieux soumettre.
La fleur sèche, le rêve décharné, n’a plus sa place que dans les ouvrages prisons, voyeurs et malades que sont les herbiers.

Oxmo Puccino dévore le film de ses palabres, à un débit d’un étourdissant lyrisme. Dali Benssalah, lui, est assiégé mais fasciné. Les regards transpercent
Le duo sidère et la narration est si habilement ficelée que les répliques relâchées, dans ce bar déserté, rebondissent au coeur des couloirs de l’entrepôt hollandais.
La froide lecture du marché de la fleur ornementale se décline à l’oppresseur.
L’espèce humaine, qui face à son reflet dans la terreur d’une vie impasse, dictée par la marche sociétale, vient à s’échapper, chercher l’interstice, pour refonder le monde, s’extraire d’un bourbier asphyxiant où l’autre, le voisin, le frère, l’épouse ou la fille, en aveugles, ne parviennent à dissocier naufrage et vie idéalisée.
Dans cette position acculée, les 50% d’ADN similaires avec les arbres et le monde végétal, resurgissent, prennent racine, offrent une ultime inspiration pour dépasser les concepts-cages, une chance de vivre.
Tout en dualismes, en oppositions, le cinéma expérimental d’Eric Baudelaire s’avère d’une excitante complexité réflexive derrière ses apparats visuels et verbeux assez simples.
Il touche, à travers le texte de Pirandello, une névrose effroyable. Une folie auto-destructrice à l’ère industrielle qui confond besoin et liberté, atteignant avec des gestes imperceptibles, répétés et anesthésiants, nos quotidiens formatés, pour tragiquement poignarder l’âme par le pourrissement de la chair, fleur traversante.
Là où le film gagnait en simplicité de dispositif, il perd cependant en puissance par la surcharge parfois poussive de la performance d’Oxmo Puccino, qui, à force de jouer de rythmique dans sa diction décroche du texte. Il récite en affichant une palette de variations étonnante dans les premiers instants, et, agaçante, si ce n’est moraliste tonalement, dans ses dernières circonvolutions.
La nuit laisse la mort s’exprimer et éclaire de ses ténèbres les précipices terrifiants que nous ne distinguons pas dans la lumière aveuglante du jour.
Le soleil se lève, les trottoirs se remplissent, telles les fleurs, tel Prométhée, les habitants cherchent l’astre, s’hypnotisent, s’enivrent jusqu’à ne plus voir leurs chaînes. La peau se dénature, la nuit laisse apparaître les brûlures, il est parfois trop tard.



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