Synopsis : Takumi et sa fille Hana vivent dans le village de Mizubiki, près de Tokyo. Comme leurs aînés avant eux, ils mènent une vie modeste en harmonie avec leur environnement. Le projet de construction d’un camping glamour dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins une échappatoire tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément la vie de Takumi et des villageois.
| Réalisateur : Ryusuke Hamaguchi |
| Acteurs : Hitoshi Omika, Ryo Nishikawa |
| Genre : Drame |
| Durée : 106 minutes |
| Pays : Japon |
| Date de sortie : Avril 2024 |
À Mizubiki, petit village reculé en périphérie de Tokyo, vivent Takumi et sa jeune fille Hana. Takumi est l’homme à tout faire de la bourgade. Il puise l’eau à la source pour ravitailler les restaurants, connaît les plantes, les bêtes et aide les habitants dans leurs tâches quotidiennes. Il est une figure centrale du bourg.
Dans cet espace reculé, dans les hauteurs, l’homme et la nature ont trouvé un certain équilibre, l’homme tout du moins fait au mieux pour respecter les terres.
Le jour où une agence débarque de la grande ville avec pour objet de créer un espace de glamping, mêlant glamour et camping, en plein parc naturel, un insidieux chaos s’empare des esprits.
Le venin, celui des humains, ceux des villes, vient à menacer le ruisseau, prophétisant un terrifiant déséquilibre, une inquiétante chaîne faite de lumières incandescentes et de ténèbres dévorants.
Hamaguchi, deux ans après nous avoir chamboulé avec Drive My Car et Contes Du Hasard, quitte ici le béton de la ville, son âpreté, et questionne avec minutie la nature humaine, sa dénaturation par l’urbanisation. Le cinéaste travaille la perdition de notre espèce, de ses croyances, de ses racines, celles de la nature, préférant la superficialité d’une illusoire reconnaissance pécuniaire.
Il y a dans Le Mal N’Existe Pas un regard enivrant, une vision shintoïste du monde, qui fait onduler le regard et tend à redéfinir nos rapports au monde, au vivant. De la faune à la flore, en passant par les minéraux, un miraculeux jeu d’équilibriste se joue et offre des perceptions tentaculaires aussi apaisantes que vertigineuses.

Comme par le passé, Hamaguhi construit une narration où le moindre mot est un miracle de justesse, où l’écriture des dialogues revoie à un intime inespéré, pousse à la pensée profonde.
Le cinéaste japonais est un maïeutiste hors pair et vient ici à dépasser sa pratique, à créer un cinéma des silences où le moindre cadrage, le moindre soubresaut instrumental devient encre narrative.
En cela le travail de la photographie s’aventure dans une création impressionniste épatante où la moindre image devient tableau à analyser. La composition instrumentale de Eiko Ishibashi conçoit également un cadre stupéfiant où les enchevêtrements de cordes frottées dessinent tout autant les cieux en apesanteur que la robuste densité de la terre, s’ajoute à cela des rythmiques métalliques et cordes pincées pour concevoir un monde auditif fourmillant d’intensité, une clé de lecture époustouflante des paysages dans lesquels les corps évoluent.
L’automne laisse la place à l’hiver, et le cinéaste joue des cristallisations, laissant l’eau, dans les champs invisibles, œuvrer à la circulation de la vie. Les âmes ne s’immobilisent pas, au contraire elles cessent de gesticuler, développent les gestes et se recentrent, redécouvrent le monde.
Le Mal N’Existe Pas accompagne le regard dans un lecture active, prend le temps de décomposer, stratifier, l’environnement, lui donne la profondeur nécessaire pour révéler le cœur des hommes et non plus seulement leurs reliefs. Au-delà de nos appréhensions, de nos lecteurs hâtives, le réalisateur vient à toucher l’âme même des personnages, vient à les déstructurer pour mieux les définir, pour mieux laisser respirer la voie profonde dans tout organisme vivant, la voix de la nature.
Du sentier au geste, du geste à l’esprit, de l’esprit à la parole, la trajectoire se forme. Une aventure dissociative s’ouvre, par paliers, ne jouant plus à l’opposition mais à la recherche du dépassement des chaos et névroses civilisationnels.
Contrairement à une grande partie des cinéastes contemporains Hamaguchi ne cherche pas le naufrage et les drames, il cherche la lumière, prouve que le mal n’est pas une fatalité, qu’il ne s’agit que d’un obscur songe à observer sous un angle nouveau.
Le Mal N’Existe Pas est une fable minimaliste sur les paysages qui nous traversent, nous définissent, à l’heure où de plus en plus d’esprits ont cessé de vivre, pour ne plus être que produits à vendre.
D’une subtilité miraculeuse, partons à la découverte de nos mondes intérieures, de nos spectres intimes, partons à la rencontre d’une nature qui possède les clés à nos maux et naufrages civilisationnels.



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