Synopsis : Durant leurs études, Patrick et Art, tombent amoureux de Tashi. À la fois amis, amants et rivaux, ils voient tous les trois leurs chemins se recroiser des années plus tard. Leur passé et leur présent s’entrechoquent et des tensions jusque-là inavouées refont surface.
| Réalisateur : Luca Guadagnino |
| Acteurs : Zendaya |
| Genre : Drame |
| Durée : 131 minutes |
| Pays : Etats-Unis |
| Date de sortie : 24 avril 2024 |
Les films de Luca Guadagnino s’enchaînent et se bousculent, mutent et s’orientent continuellement vers de nouveaux horizons de cinéma, du coming of age au cinéma d’horreur, du road trip au cinéma expérimental, oscillant entre chef d’oeuvre et manifeste orgueilleux.
La variation des genres cinématographiques est importante chez le réalisateur mais le développement réflexif continue sur la même voie. La coquille, toujours hyperstylisée, ne cesse de se réinventer.
Il y a chez Guadagnino tant un plaisir de l’observation, de l’errance, que des défauts de rythme, de narration, égocentrisme adolescent.
Néanmoins, l’audace et la diversité de son cinéma, ainsi que son exigence visuelle, sa manière d’évoluer perpétuellement, font de ce cinéaste un de ceux qui n’ont cessé de prendre en ampleur depuis ces dix dernières années.
De l’intime et paresseux Call Me By Your Name au Road Trip cannibal prétentieux et charmant, Bones And All, en passant par le remake fascinant de Suspiria et un réjouissant court métrage pour MUBI, le réalisateur italien, travaillant aux Etats-Unis, ne cesse de mettre les pieds où on ne saurait l’attendre, ne cesse de développer sa tourbe avec dévotion, pouvant enchanter mais également agacer.
Un cinéma surprenant, et instable, qui questionne, film après film, le rapport au corps, les révélations intimes et méandres psycho-sexuelles.
C’est dans cette dynamique insaisissable que le nouveau long-métrage de Guadagnino s’installe.
Challengers prend place dans le milieu du tennis professionnel avec pour tête d’affiche Zendaya au cœur d’un mystérieux et malicieux triangle amoureux.

Art Donaldson et Patrick Zweig s’affrontent en finale d’une compétition challenger. Les regards sont rageurs, provocateurs. Les points de pénalité rythment le match.
D’un côté Donaldson, étoile du tennis mondial, vient reprendre confiance en ses capacités sur le court, après une opération, en affrontant des adversaires de niveau inférieur. De l’autre, Zweig, ancien espoir, joue avec cette finale son dernier soubresaut de carrière, sa dernière chance de retrouver les grandes compétitions.
Les deux hommes, entre chaque balle, se déconcentrent. Ils observent, dans les gradins, une envoûtante jeune femme.
13 ans plus tôt, Donaldson et Zweig faisaient sensation, lors de matchs doubles, leur amitié semblait inébranlable, jusqu’à ce qu’ils rencontrent Tashi Duncan, promise au rang des légendes du tennis mondial.
Une étrange alchimie se tisse entre les trois stars montantes du tennis, un théorème destructeur qui jouera de variations, d’intensités et de sensualités dans leurs vies et carrières à venir.
Gudagnino n’a jamais aussi bien saisi un sujet. Le monde du tennis est toile de fond, espace de confrontation physique, d’échanges, de symboles et de secrets intimes échangés par envoi de balles. Le court et ses délimitations sont miroirs des liaisons, les règles deviennent projections des limites à chevaucher, à provoquer. Le cinéaste place une charge érotique d’une extraordinaire puissance qu’il s’amuse à faire vaciller et amplifier sans jamais se perdre.
Une ligne se tend au dessus de nos esprits, le filet s’élève, le corps est transi de frissons.
C’est alors qu’au-delà de créer une aura érotique, toute aussi sensuelle que sexuelle, avec des plans d’une incandescente beauté, que Guadagnino donne le vertige en révélant un travail de montage, d’ellipses, de saturations et révélations, qui estomaque. Le cinéaste joue avec une simplicité et une aisance gracieuse entre les différentes époques, strates de vie.
La partition de Trent Reznor et Atticus Ross, membres fondateurs de Nine Inch Nails, quant à elle, propulse le spectacle en plein coeur de la chair du spectateur, rythmes percussifs et sonorités hypnotiques. Le duo avait déjà opéré sur Bones And All et avait réussi à élever le film en dehors de sa fange. Ici, les deux musiciens vont plus loin et portent le film vers les cieux.


Le travail de mise en scène minutieux de Guadagnino permet au trio d’acteurs d’atteindre un niveau de jeu étonnant par le biais d’une écriture des personnages à la profondeur inespérée. Zendaya rayonne, son paysage intime est d’une complexité étourdissante, mais elle n’est pas seule à rendre Challengers incandescent. Josh O’Connor et Mike Faist sont, deux face d’une même pièce, des siamois perdus, désolidarisés, déclenchant un chaos de feu et de glace.
La constitution en miroir des personnages est savamment pensée, tournant le dos aux axes narratifs et développements ordinaires traitant du sujet du triangle amoureux.
La vision touche bien plus que la relation de couple hétérosexuelle et la bigamie.
Guadagnino ne veut pas de règles lorsqu’il s’agit d’amour, Gudagnino veut des élans, des mouvements qu’on ne peut contenir émanant d’ombres au cœur de la chair.
L’introduction sans jamais être tapageuse, et dans un souci de fluidité d’écriture, autour des concepts de polyamour, de bisexualité, est réjouissante, euphorisante même. Ces formes de relation sont assimilées, portée avec naturel. Le cinéaste ne cherche jamais à justifier, il laisse la vie, les désirs et pulsions jaillirent.
C’est ainsi, de par ses structures complexes, sa bande son frénétique, ses acteurs magnétiques et son exploration profonde des personnages, avec un scénario signé par la main virtuose de Justin Kuritzkes (Past Lives), que Challengers parvient à créer en dehors des caricatures et traits stéréotypés, une forme que le cinéaste n’avait pas réussi avec Call Me By Your Name et Bones And All, mielleux et prétentieux, à saisir.
Challengers fait sortir du doute, rappelle la maestria que nous avions perçu dans Suspiria, et installe Guadagnino au rang des cinéastes modernes incontournables, de par la façon dont il est parvenu à saisir un temps, ses enjeux et ses dédales. Fougueux, moqueur et désinvolte.



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