
| Réalisateur : Leos Carax |
| Acteurs : Denis Lavant |
| Genre : Autoportrait Expérimental |
| Pays : France |
| Durée : 42 minutes |
| Date de sortie : 12 juin 2024 |
Objet : Pour une exposition qui n’a finalement pas eu lieu, le musée Pompidou avait demandé au cinéaste de répondre en images à la question : « Où en êtes-vous, Leos Carax ? ».
Il tente une réponse, pleine d’interrogations. Sur lui, « son » monde.
Pour une exposition, finalement avortée, autour du cinéaste au Centre Pompidou, les conservateurs avaient mis au défi le réalisateur de Holy Motors avec la question suivante : « Où en êtes-vous Leos Carax ? ».
Une interrogation qui a trouvé de multiples échos dans la psyché du cinéaste, des rebonds lumineux dans une caverne tout juste explorée, les galeries Carax.
C’est Pas Moi est né.
Projeté en première mondiale au festival de Cannes, et connaissant une réelle exploitation en salles, fait rare pour un moyen-métrage qui rappelle le traitement miraculeux pour le Lux Aeterna de Gaspar Noé ou encore le Ultra-Pulpe de Bertrand Mandico, la création hallucinée s’engage dans les couloirs de l’essai filmique, du film laboratoire, du cinéma expérimental à base d’images préexistantes.
Le père des Amants Du Pont-Neuf propose avec ce défi du Centre Pompidou un voyage sous forme d’autoportrait, une plongée intime venant trouver reliefs à travers l’Histoire du cinéma, les chaos politiques des dernières décennies, remontant jusqu’à la création de la photographie, et une analyse d’un réel en pleine dislocation entre sons, images et constellations poétiques.

Dans un style Godardien, rappelant Adieu Au Langage ou encore Le Livre D’Images, Leos Carax travaille le montage, le rythme et les superpositions à partir de ses films, des films des autres, de son histoire, de leurs histoires, du peuple, suiveurs muets, révolutionnaires aveugles, et ses leaders dominateurs névrotiques.
Le réalisateur n’a jamais été aussi acide, âpre, irrévérencieux. Il y a de la poésie-chaos dans la moindre image, vibration.
Pour se définir il n’hésite pas à englober ses démons tout comme ses héros, de Hitler aux frères Lumière, de Roman Polanski à Michel Legrand.
En s’engageant sur la piste des grandes figures qui font le monde, le cinéma et le spectre intime, le réalisateur se plait à observer le parcours de vie et le caractère mouvant, finalement insaisissable, des individus.
Il morcelle les existences, rappelle les virages et compose des profils tout en miroitements.
Dans le cas Polanski, par exemple, il définit l’homme sous plusieurs axes : le déporté, le rescapé, le génie, le veuf, le violeur, le fugueur.
Dans ces perceptions multiples, une image s’ancre plus, une image se fige, une position que l’on ne peut maîtriser et où C’est Pas Moi ne cesse de pousser à la nécessité de reculer pour amplifier l’axe de lecture face à un montage épileptique qui empêche toute perspective, qui devient réflexion éclair évitant divagation, poussant finalement à trancher net, saisir l’impulsion primitive, celle des tripes, celle qui ne peut se mentir.

Toute une déconstruction interne du cinéaste prend forme, nous découvrons les cités enfouies. Celles qui font des horreurs des contes sordides et des lumières des espoirs inaccessibles.
La possibilité de décrypter sous un jour intime, parfois un « brin » prétentieux, cela fait partie intégrante de la magie du réalisateur, les ruines et arches qui font sa citadelle. Un travail éblouissant convoquant pensées profondes et songes frondeurs.
Chaque seconde est usée pour extirper la substantifique moelle de l’âme Carax.
C’est rapide, astucieux et d’une intelligence folle, un couperet tout aussi réconfortant que profondément déstabilisant, si ce n’est perturbant.
C’est Pas Moi rappelle une certaine poésie du réel, abrupte, révoltée, écoeurée et incandesente.
Leos Carax capture les pulsions rêveuses nécessaires pour s’extirper d’un monde de béton, déshumanisé, en train de croupir, de s’effondrer, de pourrir, de dégénérer jusqu’à créer nos pertes sensorielles, intellectuelles et organiques.
L’univers Carax appelle à être revisité, pensé comme une immense toile, celle des amours et des morts, du beau et du sang, de la fulgurance et de l’apesanteur.
Dans ces successions de microcosmes qui forment le réalisateur, tout autant dans sa chair que dans son esprit, on distingue une forme, de plus en plus précise, une ombre dans un instant fugace, dans un temps déjà révolu, répondant dans un subrepticement hypnotique, et prodigieux, à la question : « Où en êtes-vous Leos Carax ? »



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