« L’Enfer Des Armes » réalisé par Tsui Hark : Critique et Test Blu-Ray

Réalisatrice : Tsui Hark
Acteurs : Paul She, Lo Lieh, Albert Au
Genre : Action, Drame
Durée :  99 minutes
Pays : Hong-Kong
Date de sortie : 1980 (salles) // juillet 2024 (Blu-Ray)

Synopsis : Hong-Kong, 1980. Une jeune fille pousse trois jeunes garçons, responsables d’un meurtre, dans une dérive meurtrière et nihiliste.

Ces dernières années, on assiste à une véritable exhumation en provenance du cinéma de Hong-Kong des années 80.
Depuis l’avènement de Soi Cheang (Limbo, Mad Fate, City Of Darkness), une véritable redécouverte, exploration d’un cinéma hors normes, s’opère.
Un grand nombre d’éditeurs français se sont lancés dans l’aventure de Carlotta Films à Le Chat Qui Fume en passant par Spectrum Films.
Dans le cas Spectrum Films, il ne s’agit pas d’un nouvel élan à proprement parlé.
Les rétines aiguisées, dissimulées derrière cette fascinante entité spécialisée autour du cinéma asiatique, ne cessent de congratuler nos rêves cinéphiles, touchant à la category III (Viva Erotica, Ebola Syndrome) tout en mettant à l’honneur les films et noms plus confidentiels, on pense par exemple à Patrick Tam.

Aujourd’hui, Spectrum Films frappe un grand coup et propose une oeuvre incontournable dans la filmographie de Tsui Hark, figure de proue de la nouvelle vague hongkongaise : L’Enfer Des Armes.

La Critique de L’Enfer Des Armes

Troisième long-métrage réalisé par Tsui Hark, la proposition fait partie des films de proue de l’ouverture de la nouvelle vague hong-kongaise. Le regard de Hark observe une population rageuse avec pour volonté l’indépendance tant étatique qu’ individuelle. Les soulèvements et émeutes explosives de 1976 ne cessent de résonner.
A la veille de la rétrocession d’Hong-Kong à la Chine, deux décennies avant le chaos annoncé, le cinéaste braque sa caméra sur un vivier écartelé de toutes parts entre ses angoisses internes et les pressions internationales, du Japon aux Etats-Unis, de la Grande-Bretagne au spectre de la guerre du Vietnam.

L’Enfer Des Armes c’est le récit de trois amis, jeunes adultes friands de petits larcins innocents.
Prenant la fuite, de nuit, après avoir envoyé un ballon rempli d’eau pleine de colorant rouge, persuadé d’être poursuivis par la police, ils écrasent un passant.
Sur le bas côté Wan-Chu, une jeune femme perturbée qui voit dans cette fenêtre la situation idéale pour les faire chanter.
L’équipée, après des débuts conflictuels et sanguins, se retrouve avec une mallette contenant trois cents bons au porteur d’un montant de 1.000.000 de yens japonais chacun.
En tentant de refourguer l’argent sale pour quitter le pays, ils alertent tout autant les forces de police que le MI6, tout autant les trafiquants d’armes internationaux que les petites frappes du quartier.
Pris dans l’étau, seule la fuite reste valide.

Le récit d’une jeunesse sans espoir, qu’elle provienne de la bourgeoisie ou bien des classes populaires, prend place dans une spirale de violence impossible à contenir, escalade malencontreuse mais incontrolable.
Tsui Hark, bien que son film ait été lourdement censuré, garde les traces d’une appréciation frondeuse, où il hurle à la face du monde le gouffre qu’est devenu Hong-Kong, désirée et pillée par tous.
Il y a dans cette lecture d’impasse sociétale, une vision que l’on retrouve sous diverses formes dans le cinéma asiatique des années 80, que cela soit dans le nouvellement redécouvert Nomad réalisé par Patrick Tam, ou encore le comique et désillusionné film philippin Kakabakaba Ka Ba réalisé par Mike De Leon.
L’avenir devient trouble, indiscernable.
La survie et l’existence des générations futures se détériore, se délite, jusqu’à ne finir qu’en bain de sang hystérique.

Hong-Kong est prison à ciel ouvert, ghetto infernal, du moins pour les locaux, car pour les puissances étrangères, elle est El Dorado, terre à soumettre, piller, avant qu’elle ne soit engloutie par le géant chinois.
En prenant de la hauteur, sur les collines alentours, les incessants et sauvages mouvements de la ville se stabilisent, Hong-Kong est un cimetière qui a faim, terriblement faim.
L’Enfer Des Armes est une oeuvre insaisissable convoquant film d’action, comédie, brûlot politique, braquages, courses-poursuites et enquêtes. Il s’agit d’un acide pamphlet, un ultime cri avant les ténèbres, abîmes qu’aucun acte ne peut sauver.
Tsui Hark signe un geste de cinéma désespéré, nihiliste, sauvage, crépusculaire et provoque la fin d’un monde agonisant.

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

L’édition Blu-Ray de L’Enfer Des Armes est une certaine cacophonie.
Tout d’abord ne vous fiez pas aux indications de l’éditeur…
La version director’s cut se trouve sur le disque version internationale et la version internationale sur trouve sur le disque version director’s cut. Il s’agirait d’une erreur de la part de Sony.

De plus les bonus indiqués au verso de la jaquette ne sont pas complets et ces derniers sont dispersés sur les deux disques.
Il s’agira alors de prêter attention pour profiter pleinement de cette édition où les annonces sont erronées.

Image :

Malgré quelques inserts sur la version Director’ Cut dans des états caverneux, le master général s’en sort de manière réjouissante.
Sachez que vous n’êtes pas devant les derniers sommets techniques en matière de restauration, cependant la proposition, dirigée par Spectrum Films au Lab Lumiris, offre un master 2K à partir des négatifs originaux, assez organique, au grain fourni qui conserve toute la dynamique poisseuse et malade de la réalisation de Tsui Hark.

Le niveau de détails est agréable, en particulier en ce qui concerne les textures, qu’il s’agisse du sang ou de la crasse ambiante.
De même cette nouvelle proposition permet de redécouvrir certains angles, certaines perspectives, une situation qui vient particulièrement s’appuyer grâce à une colorimétrie au nuancier bien plus large. .

Pouvoir poser la rétine sur L’Enfer Des Armes dans ces nouvelles conditions, en première mondiale, pousse à apprécier le film dans de nouvelles et réjouissantes circonvolutions.
Espérons maintenant qu’il en sera de même pour les deux premiers long-métrages du cinéaste.

Note : 7 sur 10.

Son :

La piste DTS-HD MA 2.0 en cantonais est une piste sympathique, tout comme le master image, qui garde une certaine dynamique et ne s’embarque dans aucun faux pas.
Ici, vous ne trouverez ni saturations, ni fréquences cannibales.
Les voix sont bien en avant et les effets sonores parviennent à débusquer certaines surprises bienvenues au vu de la calibration frontale en présence.

Note : 7 sur 10.

Suppléments :

  • Présentation de Arnaud Lanuque (14’49):
    Arnaud Lanuque, spécialiste du cinéma asiatique et collaborateur avec L’Ecran Fantastique, prend place pour ce supplément en plein coeur du cimetière qui accueille la conclusion apocalyptique de L’Enfer Des Armes.
    Il revient tout d’abord sur la carrière de Tsui Hark, son surnom malhabile de Spielberg de Hong-Kong, et resitue le cinéaste à l’orée du tournage de L’Enfer Des Armes.
    Retour sur les émeutes de 1976 à Hong-Kong, sur l’écriture du film et ses miroitements politiques foudroyants, sur la transition vers le cinéma hong-kongais des années 80, sur la censure et la naissance de Tsui Hark comme réalisateur tel que nous le connaissons aujourd’hui.
  • Présentation de Panos Kotzhatanasis :
    Le critique spécialisé en matière de cinéma asiatique revient sur L’Enfer Des Armes, aborde la violence du film et la censure qui a morcelée le film. Le spécialiste revient sur la lecture de la société dans L’Enfer Des Armes où la jeunesse est laissée seule face au chaos ambiant. Superbe présentation.
  • Présentation de Christopher Gans (issu des suppléments DVD HK Vidéo) :
    Un supplément mentionné qui renvoie finalement à L’Enfer Des Armes, A la recherche d’un film perdu.
  • L’Enfer Des Armes, A la recherche d’un film perdu (issu des suppléments DVD HK Vidéo) (Présent sur le disque estampillé version internationale) :
    Un document très intéressant revenant sur les variations entre la version director’s cut et la version internationale, image à l’appui.
  • Interviews :

    Albert Au (44′) :
    Rencontre avec un acteur du film. Albert Au revient sur son arrivée au coeur du projet et plus largement autour du film mais aussi du paysage cinématographique de la fin des années 70 aux années 80. Un entretien très fourni.

    Paul She (26′) : Rencontre avec un acteur du film. Paul She revient sur son arrivée dans le monde du cinéma, de la charge politique du film et son expérience du tournage de L’Enfer Des Armes.

    O Sing Pui (23′) : Rencontre avec un acteur du film. Comme pour les deux précédents entretiens, l’acteur revient sur des interrogations similaires et connexes, une dernière vision du trio qui permet de pleinement saisir le film durant sa création.

    Tsui Hark (25′) (Présent sur le disque estampillé version internationale): Le supplément à ne pas rater dans cette édition. Tsui Hark est particulièrement envoûtant et parvient à apporter les coulisses du tournage, et plus particulièrement, la manière de faire des films entre la fin des 70s et le début des 80.

    Kristof Van Den Troost (31′) (Présent sur le disque estampillé version internationale) : L’acteur revient sur sa passion autour du cinéma chinois et hong-kongais et aborde son année en tant qu’étudiant où il a fini par poser ses bagages, écrire sa thèse et devenir spécialiste mondial du cinéma hong-kongais. Un supplément incroyable.

    Szeto Cheuk-Hon (7′) (Présent sur le disque estampillé version internationale) : Entretien avec le scénariste.
  • Commentaire audio de Podcast On fire
  • Un livret : Ce dernier reprend un texte promotionnel d’époque non traduit et ajoute quelques photographies.

Ce fut une mauvaise surprise que de trouver les disques inversés entre Director’s Cut et version internationale, bien qu’il s’agirait d’une erreur ne relevant pas de Spectrum Films.
Les bonus quant à eux ont été trouvés, certains en plus par rapport à ce qui était mentionné.
Attention, le bonus Christopher Gans renvoie à un tout autre contenu.

Note : 7 sur 10.

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