« L’Empire Des Sens » réalisé par Nagisa Oshima : Critique et Test Blu-Ray 4K UHD

Réalisateur : Nagisa Oshima
Acteurs :  Eiko Matsuda, Tatsuya Fuji
Genre : Drame érotique
Pays : Japon
Durée : 102 minutes
Date de sortie : 1976

Synopsis : Ancienne geisha, Sada sert désormais comme servante dans une auberge de Tokyo. Elle attire bientôt l’attention de Kichi, le mari de la patronne, et devient sa maîtresse. Le couple va éprouver l’un pour l’autre un désir jamais connu jusque-là, qui les conduira à s’extraire de la vie réelle…

Le Japon est un pays de cinéma qui ne ressemble à aucun autre.
Du Théâtre No aux Haikus en passant par les estampes, l’imaginaire japonais est un territoire d’expression singulier qui trace un sentier distinct et unique par rapport à nos projections occidentales.
Les règles et rapports humains diffèrent, l’érotisme de l’art Shunga, par exemple, ouvre des imaginaires inconcevables à la même époque par chez nous, offre une liberté à la fois inquiétante et exquise.

Une liberté face à la mort, face à la vie, face au sang, face au sexe, qui ne pouvait pas s’empêcher d’imprégner les pellicules nippones.
Au cœur des années 60, naissait notamment le mouvement Pinku Eiga, qui prendra son appellation plus contemporaine de Roman Porno à la fin des années 70, pour les productions en provenance des studios Nikkatsu.
Le Pinku Eiga, pouvant se traduire par cinéma rose, est un cinéma érotique étonnant de par sa liberté de création.
Les cinéastes ont su s’approprier et diriger ce mouvement vers une place à mi-chemin entre cinéma érotique et expérimental, guidant vers la nouvelle vague du cinéma japonais, usant du caractère libre de l’œuvre pour s’essayer à différentes inventions techniques, plastiques et narratives.
C’est dans cette période du septième art nippon que L’Empire Des Sens, désormais monument érotique, réalisé par Nagisa Oshima, prend forme.
Il se glisse juste en dehors des studios, s’affranchit de tout un système et prolonge ses libertés jusqu’à créer une nouvelle dimension.
Nagisa Oshima pour la réalisation du film a trouvé son financement sur les terres du Marquis de Sade.

Après avoir été difficile d’accès en format physique durant de longues années, L’Empire Des Sens refait surface, du côté de Carlotta Films avec un nouveau master 4K.

La critique de L’Empire Des Sens

Kichizo, riche propriétaire, satyre aux besoins quotidiens, et Sada, sa servante, ancienne geisha aux mœurs plus que douteux, entretiennent une relation adultère passionnée et autodestructrice.
Dans le secret des shoji, portes coulissantes traditionnelles, des délices naissent, de nouveaux horizons sexuels se dessinent.
Kichizo, lui, laisse son épouse dans le calme de l’indifférence et délègue toute son attirance, son attention vers sa servante.
Un tourbillon de frissons, de plaisir, de jouissance et de violence s’empare de ces deux âmes.

Oshima travaille les différentes strates sociales, dessine les failles, les interstices, faisant coulisser les individus d’un statut à un autre. L’observation de l’ascension éclair de Sada, qui dispose de ses appartements et du cœur comme du corps de son ancien patron, est hypnotique.
Tout va très vite et pourtant le cinéaste joue du temps, des rituels, des répétitions pour opérer variations et transcendances.  
Les corps se rencontrent, chaque jour, les enlacements ne cessent de se prolonger jusqu’à ce que la sexualité ne devienne plus que l’unique occupation des jours comme des nuits.
Une vie connue de tous les occupants de la maisonnée, comme du quartier, où les pratiques de plus en plus déviantes deviennent les interrogations de tous.
Le cinéaste questionne l’organisation sociétale et cherche l’étoffe dans laquelle les songes sont tissés pour échapper à une certaine verticalité, à un monde de castes.
A travers le sexe, Oshima parvient à creuser un passage parallèle.
Il esquive les barrières et codes érigés, ceux édictés pour condamner les individus à conserver à jamais leurs places.

Ici, dans cette situation singulière, pour un temps, la bourgeoisie ne vit plus sur les cadavres des servantes.

Dans ce poème des corps, dans ces rêveries au-delà du réel, Nagisa Oshima ouvre bel et bien la boîte de Pandore, l’empire des sens.
Le cinéaste travaille les ambiances à la manière de l’art Shunga.
Il filme des environnements de plus en plus fermés, pénètre la frénésie sexuelle du couple, appétit mortel, pour éveiller les excitations, savourer le danger, exciter la mort.
Dans ces déambulations et sombres couloirs, qui convient la douleur aux délices de la chair, qui exploitent les limites charnelles pour révéler des mondes invisibles, ceux de l’esprit, de la passion, Oshima révèle la valeur du sang, plomb de l’être qui relie à la prison des vivants.
Dès lors que Saba entre dans la vie de Kichizo, toutes les saveurs sont altérées, cet homme du monde oublie la société, ne voit plus que son amante, ne voit plus que le plaisir et en oublie le commerce, la politique, base de sa vie toute entière.

Bonnie & Clyde japonais, l’évasion de la prison que la société façonne, dont tout un chacun est à la fois créateur, acteur et serviteur, se dévoile, geste après geste, pénétration après pénétration.
Oshima écrit un pamphlet foudroyant à travers ces ébats érotiques, irrévérencieux et caressant la pornographie.
L’antre des plaisirs défendus est le pacte vers la libération du corps et de l’esprit, le pacte avec dieu, le pacte avec le diable.
Une projection où le réalisateur réussit tout ce qu’il entreprend avec maestria.
Dans cette escalade à la conclusion d’une violence inouïe, où la mante religieuse, Sada, ne peut plus offrir la liberté d’exister à son amant, la fusion se doit d’être totale et éternelle pour dépasser le monde tangible, afin de marquer cet amour kamikaze parmi les astres.

L’Empire Des Sens est une expérience de cinéma atmosphérique, sensuelle, envoûtante, où les mots s’oublient, où le monde brûle, où les corps s’expriment, où les tissus narrent, et où les espaces traversés glissent des secrets intimes.
L’équilibre tient à la mise en scène nuancée d’Oshima et aux acteurs, l’extraordinaire duo Eiko Matsuda et Tatsuya Fuji, qui happent, œuvrent de magnétisme.
Le film chuchote ses périlleux délices, et où l’ennui pourrait poindre le bout de son nez, la rythmique chaloupée du long-métrage embrasse et enivre.

Nagisa Oshima est un maître dans la manipulation de l’héritage des arts de son pays.
Il emporte l’âme du spectateur dans ce voyage mystique où les caresses, les coups, les strangulations et les émasculations sont autant de poèmes que de sortilèges, où la rétine est piégée, renvoyée à son jeu voyeurisme, pour voir ce qu’il y a au-delà quitte à rencontrer la faucheuse…

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray 4K UHD

Image :

BD 100 • MASTER 4K • 2160/23.98p • ENCODAGE HEVC / Format d’origine respecté

La restauration date de 2016 et a été réalisé par Eclair en 4K à partir des négatifs originaux.
Le travail de la pellicule a été mené avec un grand respect de la vision d’Oshima, cherchant à être au plus proche du résultat d’origine sans dénaturer les couleurs, conservant le caractère organique 35mm et travaillant le piqué pour offrir une lecture des cadres relativement exquise.

La proposition est d’une grande beauté cependant lorsque l’on s’est habitué à certains sommets d’éditions 4K UHD quelque chose, de l’ordre des dynamiques tonales, semble détonner.
Et, effectivement, la restauration proposée par Carlotta manque d’un traitement HDR, ici nous sommes en SDR, sans HDR 10 ou autre Dolby Vision.
Une dimension de plus en plus importante dans le traitement colorimétrique, affichant des nuanciers très précis allant jusqu’à développer les reliefs, la profondeur de l’image et apportant aux scènes d’obscurité des possibilités de lecture surprenantes.
C’est justement avec cette finesse de traitement que L’Empire Des Sens aurait pu toucher des sommets, tant le travail des couleurs, des contrastes, des jeux d’ombres et lumières, sont importants dans la réalisation d’Oshima.

Finalement la restauration 4K de L’Empire Des Sens, et ce même en SDR, est une véritable réussite, gardant son âme.
Et puis, qui sait, le procédé HDR aurait peut-être tendu à dénaturer, à outrepasser l’art pictural selon Oshima.

Note : 8.5 sur 10.

Son :

Version Originale DTS-HD MA 1.0 / Version Française DTS-HD MA 1.0
Audiodescription Dolby Digital 2.0* • Sous-Titres Français / Sous-Titres Sourds et Malentendants

Pour notre part, nous nous sommes uniquement engagés dans les horizons Japonais VOST MA 1.0.
La piste en présence garde toute sa sobriété d’époque, n’essaie pas de se moderniser outre mesure.
La restauration a permis un beau nettoyage des fréquences, au revoir poussières, pocs et souffles. La stabilité est très agréable.
Quant à l’équilibre des lignes entre voix, ambiances sonores et accompagnements, c’est une belle balance qui est proposée.

Une restauration sonore réalisée par L.E. Diapason.

Note : 8 sur 10.

Suppléments :

. L’HISTOIRE DU FILM (41 mn)
Retour sur ce film qui ébranla le Japon à travers les témoignages d’anciens membres de l’équipe et de professionnels du cinéma nippon.

Une série d’entretiens qui permet de saisir l’époque dans laquelle le film est né, comprendre son impact cinématographique, poétique et politique à travers la voix de grands noms dont nous retenons tout particulièrement Koji Wakamatsu, cinéaste monumental dont nous rêvons aujourd’hui de voir ses oeuvres ressortir.
Un supplément à regarder avant les autres, car de nombreux points sont repris par la suite.

. LA PASSION SELON EIKO MATSUDA (26 mn – HD)
« Lorsqu’on a confié à Eiko Matsuda le rôle principal de L’Empire des sens, elle savait que le pari était risqué. » Un entretien inédit avec Tomuya Endo (chanteur japonais et historien du cinéma) dirigé par Stéphane du Mesnildot.

Le point culminant de ce disque, un supplément saisi par l’extraordinaire Stéphane Du Mesnildot.
On pensait en connaître beaucoup sur le classique d’Oshima, et pourtant, le supplément en présence ouvre de nouvelles projetions intimes, un expérience du film vu du Japon.
En compagnie de Tomuya Endo, Stéphane Du Mesnildot exhume le cas passionant de l’actrice principale du film, Eiko Matsuda, et nous embarque dans une déambulation pleine d’anecdotes et de récits oubliés.

. 6 SCÈNES COUPÉES (12 mn – HD)

. IL ÉTAIT UNE FOIS… « L’EMPIRE DES SENS » (54 mn – Couleurs et N&B – HD)
Un documentaire de David Thompson & Serge July.
Mêlant documents d’archives et entretiens réalisés en 2010, ce film retrace l’histoire et la postérité de L’Empire des sens et celle de son réalisateur.

L’édition reprend ici le supplément qui était présent sur l’édition DVD Arte.
Un document saisissant allant des premières oeuvres d’Oshima jusqu’aux longues années de procès qui suivirent la sortie de L’Empire De Sens. Dans l’interstice de ces deux temps, la proposition offre la possibilité de découvrir les coulisses de création et de tournage du film.
Un document toujours incontournable.

Pour découvrir L’Empire Des Sens, deux possibilités s’offrent aux spectateurs :
– L’édition Blu-Ray ou 4K UHD simple
– L’édition Coffret Ultra Collector

Dans le cas du coffret, designé par Adam Juresko, l’édition se met à atteindre des sommets absolus, proposant également sur disque Blu-Ray mais aussi UHD, L’Empire De La Passion réalisé par Nagisa Oshima et La Véritable Histoire d’Abe Sada. A noter, les deux restaurations sont sublimes.
Et ce n’est pas tout car l’immense travail, le colosse incontournable de cette sortie Carlotta Films est l’ouvrage écrit par Stéphane De Mesnildot autour de L’Empire Des Sens.
Cela fait une semaine que nous prenons plaisir à revenir sur certaines lignes, paragraphes, pour s’enivrer pleinement du regard d’Oshima avec des mots toujours si bien choisis.

Note : 10 sur 10.

Edition Simple Blu-ray ou 4K UHD : https://laboutique.carlottafilms.com/products/lempire-des-sens-de-nagisa-oshima?_pos=1&_sid=4e8b05e2f&_ss=r
Edition CUC (comprenant L’Empire De La Passion) : https://laboutique.carlottafilms.com/products/lempire-des-sens-coffret-ultra-collector-27-4k-uhd-blu-ray-livre?_pos=2&_sid=4e8b05e2f&_ss=r

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