« Medea » réalisé par Lars Von Trier : Critique et Test Blu-Ray

Réalisateur : Lars Von Trier
Acteurs : Kirsten Olesen, Udo Kier, Henning Jensen
Genre : Drame
Durée : 75 minutes
Année : 1988
Pays : Danemark

Synopsis : La vengeance cruelle de Médée, abandonnée par Jason.

Potemkine a dégainé sa supernova, rien de tel n’avait vu le jour depuis les coffrets monolithiques Werner Herzog et Eric Rohmer, avec l’arrivée d’une édition quasi-intégrale du cinéma de Lars Von Trier.
Cela faisait des années chez Kino Wombat que nous espérions une telle sortie, et à vrai dire nous ne l’attendions plus. Lars Von Trier, bien que peu disserté ici, est certainement le cinéaste le plus inspirant au fin fond de notre terrier.
Le coffret présenté est si imposant, titanesque, que pour gagner en lisibilité, et ne plus se battre constamment avec les limites architecturales de WordPress, Kino Wombat a pris la décision de revenir autour de la bête film par film.
Le monstre éditorial se présente sous la forme d’un luxueux pavé coulissant renfermant les différents films dans des éditions individuelles, avec de nouveaux visuels très inspirés.
Pour commencer notre périple, nous nous dirigeons autour du disque renfermant trois œuvres inédites The Orchid Gardener (1977), Medea (1988) et D Dag (2001).

L’article suivant abordera Medea.

La Critique de Medea

La mythologie grecque chez Lars Von Trier, c’est tout autant d’évidences que de curieux recoins. Le cinéaste danois, avec Medea, vient à explorer ce récit de vengeance fondamental qui a connu diverses itérations fascinantes. Ici, il travaille pour la télévision. Medea naît entre Epidemic et Europa.
L’origine du projet n’est pas des moindres.
Lars Von Trier part d’un scénario-ébauche écrit par le regretté Carl Theodor Dreyer, un de ses mentors en matière de cinéma, et vient y apposer à la fois sa sensibilité, ses propres gestes de cinématographe, mais également une lecture plus proche de la vision d’Euripide, recentrant le regard sur une Medée faite de fêlures, de doutes et d’une profonde humanité.

Quittez les bords de la mer Egée, le réalisateur restructure les lieux du récit, s’abstrait des peuples helléniques, et propose une relecture aux relents aussi nordiques que shakespeariens. Dans l’air planent les touchés d’Ingmar Bergman. Sous nos pieds, frémit un bouillon Tarkovskien.
Le rapport aux éléments, la lecture des symboles et la mise en scène hypnotisent.
Entre flammes ardentes, celles de la possession, de la vengeance et de la vanité, et mares voraces, celles de la tristesse, du souvenir et de la rancœur, la tragédie se dresse.

L’axe pensé par Dreyer, et ici appliqué par LVT, ne couvre pas l’entièreté de l’histoire de Medée, tout du moins nous ne voyons ni la rencontre avec Jason, ni la quête de la Toison D’Or, ni l’arrivée à Corinthe. Les analogies avec la vision pasolinienne n’existent pas. Lars Von Trier a son propre sentier.
Ici, nous sommes à Corinthe, de manière spirituelle, Jason a depuis bien longtemps abandonné sa famille, Médée et ses deux enfants, et il s’est tourné vers le Roi Créon, épousant sa fille, Glaucé. La proposition joue de l’opposition de ces deux pôles dynamiques entre la violence de la traîtrise de Jason et la colère rance de Médée.
Elle se retrouve seule, loin de sa terre natale, poussée à l’exil par un Jason sans courage et dévoré par les demandes de Créon et Glaucé. Médée ne voit plus qu’impasses pour ses enfants.

Il y a dans cette adaptation aux accents euripidiens un travail métaphysique fascinant qui rappelle chez le cinéaste danois l’importance à la fois du magnétisme et des champs invisibles hérités de Tarkovski mais également le nébuleux ésotérisme de Dreyer.
Dans ce magma référentiel, il y a bien plus à saisir : la naissance de la rétine Lars Von Trier.
Avec Medea, on retrouve les structures formelles de Element Of Crime, les captations en apnée, les éléments qui suintent et appellent au délitement, le présage d’Europa mais aussi l’annonce d’un cinéma à venir tout à la fois ambiant, dans le développement d’une mélancolie qui submerge, que déchirant dans la constitution de personnages féminins martyrs, invitant à penser à des œuvres telles que Melancholia, Dogville, Dancer In The Dark ou encore Breaking The Waves.

Ici, Médée prend tout autant les apparats d’Atlas que de Sisif.
Elle porte tout un monde, toute une constellation, à bout de bras jusqu’à l’acte sacrificiel, celui où la psyché plonge dans l’abîme, celui où l’au-delà, tant territorial que spirituel, semble promettre toujours plus à travers son néant nébuleux et difforme. Le mythe vient à jouer de miroirs avec les expériences de tout un chacun, Lars Von Trier pousse avec une terrifiante acidité à se faire dévorer par ce récit immémorial, et plonge avec poésie, ainsi que rage, dans une expérience visuelle qui ne laisse pas indemne.

Medea qui longtemps fut oublié de la filmographie de Lars Von Trier se révèle fondation d’une grande partie de son oeuvre à venir que cela soit dans la constitution des personnages, leurs reliefs intimes, dans la structure narrative, les destins tragiques, ou encore dans le façonnement de son esthétique, emprisonnant les corps dans des magmas tout aussi magnétiques que fait de matières modulaires sous l’effet de l’eau, du feu, de l’air et de la terre.

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Image :

Ne vous attendez pas à un miracle visuel.
Medea qui fut longtemps loin des rétines est une offrande inattendue, qui a les errances techniques des oeuvres perdues, griffées, mordues par le temps.
La restauration ne provient très certainement pas d’un négatif original ni même d’un interpositif.
Ici, nous sommes bien plus proche d’une restauration à partir d’une bande vidéo, celle utilisée pour la diffusion télé probablement.
L’image est nébuleuse, changeante, floue, insaisissable, donne matière connexe aux songes et autres rêves hantés. Les bords fluctuent et les saturations s’invitent.
Cependant, ne vous laissez pas dépasser par ces conditions qui pourraient rappeler un certain The Appointment, bien qu’ici le niveau de décrépitude soit plus avancé.
Medea a belle et bien été restauré et offre, malgré sa masse aqueuse de défauts, une définition qui dépasse largement les affres de vieilles bandes vidéo.

Ne ratez pas Medea, profitez du miracle de cinéma qui se joue, faites abstraction de votre rétine paramétrée sur des images 4K HDR. Le voyage se doit d’être fait.

Son :

De la même façon que la partie video, le son a souffert à travers le temps mais propose tout de même une meilleure stabilité.
La proposition est loin de ce que l’on a l’habitude de découvrir.
Reste que les fluctuations sont moins débordantes, que les voix arrivent à être saisies, les accompagnements instrumentaux avec leur rendus fantomatiques viennent étrangement charmer et pousser l’oeuvre dans des dimensions obsessionnelles.

Suppléments :

Aucun supplément sur ce disque ou autour de Medea de façon spécifique.
Cependant, le coffret Potemkine regorge de très nombreuses heures de suppléments qui font de l’édition dans sa globalité un sommet en matière de contenu.

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De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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