« Suzhou River » réalisé par Lou Ye : Critique et Test Blu-Ray

Réalisatrice : Lou Ye
Acteurs : Jia Hongshen, Zhou Xun, Hua Zhongkai
Genre : Drame
Durée : 81 minutes
Date de Sortie (salles) : 2000
Date de Sortie (Blu-Ray) : juillet 2024

Synopsis : A Shanghai, Mardar est impliqué dans le projet de kidnapping de la jeune Moudan, dont il tombe amoureux, et réciproquement. Lorsqu’elle découvre qui il est vraiment, Moudan se jette dans la rivière Suzhou. Après plusieurs années passées en prison pour sa tentative d’extorsion avortée, Mardar part à la recherche de Moudan.

Dissidenz est enfin de retour !
Editeur incontournable pour tout explorateur des recoins du cinéma asiatique, et aventuriers du cinéma, Dissidenz avait su offrir à nos mirettes éberluées des voyages transcendants aux côtés de Lav Diaz, Koji Wakamatsu ou encore Khoa Lê.

C’était sans espoir de voir renaître Dissidenz en tant qu’éditeur vidéo, que nous avons été surpris par l’arrivée de Suzhou River, distribué par leurs soins en salles il y a quelques mois, en Blu-Ray.

Une grande nouvelle qui marque le retour de l’éditeur et qui installe également son paysage vers les rivages HD, le Blu-Ray, comme il avait été le cas pour Death In The Land Of Encantos.

Suzhou River est à ce jour un film encore interdit de diffusion en Chine.

La critique de Suzhou River

Un jeune vidéaste parcourt Shanghai dans l’espoir de décrocher tous types de contrats : mariages, anniversaires, publicités.
Il est contacté par un club où danseuses et petits trafics vont bon train.
Sur place, il est engagé pour filmer le numéro de sirène de Meimei. Le jeune homme et la danseuse tombent amoureux l’un de l’autre.
Parfois, la jeune femme disparaît, mystérieusement, durant plusieurs jours.
Un jour, elle raconte à son amant l’histoire d’amour maudite de Mangar, livreur de Shanghai, et Moudan, amour sacrifié devenue chimère, devenue sirène.
Durant toute sa vie, Mangar a parcouru les rues, longeait le berges de la rivière Suzhou, pour retrouver l’être aimé.
Meimei observe le cinéaste. Elle lui demande si lui aussi dédierai son existence à la recherche de leur amour. Elle ferme la porte et s’évapore.

Caméra à la main, s’enfonçant dans la jungle urbaine, Lou Ye réalise une oeuvre qui ne ressemble à aucune autre, tant dans sa forme que dans sa narration glissante, aussi aqueuse que rêveuse.
Dès la première image, l’oeil pénètre dans une lecture poétique du monde, dans une vision intime et extrêmement personnelle. En cela, Suzhou River est un songe où mouvements, cadres et lumières semblent naissants.
La proposition pousse à dépasser les codes et structures barrières du cinématographe.
Le voyage semble être tout droit venu des premiers temps, lorsque l’exploration de l’image et l’émerveillement d’un monde en mouvement étaient les horizons à saisir.

L’essai poétique en présence s’émancipe également du romanesque pour pleinement embrasser la tragédie romantique.
L’histoire de ces âmes aimantes, de ces cœurs errants, touche à une certaine éternité, tutoie le mythe, pour révéler la quintessence quasi-surnaturelle du foudroiement amoureux.
Le récit initial vient à se télescoper avec une histoire, aux relents mystiques, qui lévite dans une ville aux mille histoires, pour finalement croiser l’apesanteur d’un réel carcan dans une projection à la lisière du légendaire, pour exister, le temps d’un regard, d’un baiser, d’une union des corps, dans une atmosphère suspendue, rêveuse et harmonieuse.

Le casting porté par Jia Hongshen, Zhou Xun et Hua Zhongkai, ainsi que le spectre du narrateur, personnage central toujours dissimulé derrière la camera oscura, est d’un magnétisme obsédant, entretenant tout autant le mystère, permis par un art du montage fascinant, que la puissance mystique de l’oeuvre, travaillant le conscient et les échos du subconscient sur des visages labyrinthiques sachant se réinventer à chaque virage scénaristique.

En périphérie de ces récits d’amour d’apparence absolue, et leurs failles, questionnant les parties intégrantes du couple, le cinéaste avec un contrôle du geste prodigieux dessine également tout un quartier populaire, ses flottements, ses abandons, ses trafics et sa crasse, loin du regard d’un pouvoir étatique qui n’a que peu faire de ses zones figées sous des décennies-strates de familles déchues, de vandalismes, de désespoirs, de pourritures, de vie, d’amour, de sacrifices et de rêves aveugles.
L’Etat n’apparaît que dans les bordures, dans son appareil répressif, afin de contenir les débordements, qui pourraient mettre en péril un certain équilibre mortifère.
L’alcool coule à flots, pour ne plus voir, pour endormir la conscience, accepter l’impasse.

Entre film néo-noir, rappelant à certains instants le Element Of Crime de Lars Von Trier, et cinéma fantastique, le conte qu’est Suzhou River pourrait très bien s’intégrer à une fresque d’un raffinement digne des Mille et une Nuits.
Lou Ye construit le pont entre l’avant-garde du cinéma asiatique des années 90, à savoir les cinémas de Hou Hsiao Hsien, Tsai Ming Liang ou encore Wong Kar Wai, et son modernisme durant les années 2000, avec des cinéastes tels que Bi Gan, Jia Zhangke, Hu Bo.
Le fantôme de films tels que Millenium Mambo, Kaili Blues ou bien In The Mood For Love transparait.

Suzhou River s’inscrit comme un grand classique du cinéma chinois, asiatique, et même plus, Suzhou River s’ancre tel un incontournable du septième art.
Sensation de capture de l’instant sur le vif, art du montage et du geste, Lou Ye porte à nos intimités, un poème foudroyant qui une fois sa déclamation rendue vient à s’installer durablement dans l’esprit du spectateur, vient à se greffer éternellement au plus profond de la rétine, devenant une référence absolue, un mirage d’une beauté qu’on n’attendait plus.

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Image :

Note de l’éditeur : Le film, désormais considéré comme un classique du cinéma chinois moderne, a été restauré en 4K en 2021, sous la supervision de Lou Ye lui-même, en partant du négatif 16 mm A-B d’origine.

La restauration en présence est extraordinaire.
Le niveau de netteté de l’image est surprenant, le rendu 16mm avec son grain si emblématique a minutieusement été conservé et mis en avant, les détails fourmillent et les nuanciers de couleurs sculptent tout autant le caractère désaturé de la ville le jour que les nuits pleines de contrastes et de vivacité colorimétrique.
Le transfert est top.

A noter le cadre a été rendu stable mais quelques pocs et craquelures sont présents, rien qui puisse néanmoins gâcher une telle prouesse de restauration.

Note : 9 sur 10.

Son :

Note de l’éditeur : Le son a été masterisé en 5.1 et les bruitages recréés.

La piste sonore en présence offre de belles atmosphères, une agréable spatialisation, sans jamais jouer de gigantisme.
La configuration 5.1 permet à la ville de fourmiller et de mettre en reliefs les instants intimes suspendus.
L’équilibre entre les fréquences est bon, les voix ne saturent pas et l’accompagnement musical permet de belles sensations pénétrantes. Une réussite.

Note : 8 sur 10.

Suppléments :

  • Un livret entretien inédit avec Lou Ye par Wang Muyan (32 pages)
  • Une carte postale collector
  • « À propos de Suzhou River » par Tony Rayns (32′)
  • Court métrage : « In Shanghai » de Lou Ye (2001, 16′)

Note : 8 sur 10.


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Un espace de recherche, d’exploration, d’expérimentation, du cinéma sous toutes ses formes.
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Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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