« La Maison Aux Fenêtres Qui Rient » réalisé par Pupi Avati : Critique et Test Blu-Ray / 4K UHD

Réalisateur : Pupi Avati
Acteurs : Lino Capolicchio, Francesca Marciano
Genre : Giallo, Enigme
Durée : 111 minutes
Date de Sortie (salles) : 1976
Date de Sortie (Blu-Ray) : juillet 2024

Synopsis : Au début des années 1950 – Engagé afin de restaurer une fresque dans une église représentant le martyre de Saint Sébastien, Stefano se rend dans un petit village, non loin de Bologne. L’auteur de la peinture murale, atteint de folie, est mort vingt ans plus tôt, avant d’avoir pu achever son œuvre. Stefano se met alors au travail, tout en faisant connaissance avec les habitants. D’étranges incidents se produisent bientôt. Sentant que la population cache un lourd secret, Stefano mène son enquête, et se met très vite en danger.

La Maison Aux Fenêtres Qui Rient fait partie des films que nous ne pensions pas voir débarquer de sitôt dans nos salons.
Depuis une antique et obscure sortie DVD, ce fut un long silence autour de cette relique culte du cinéma italien, et ce même du côté des éditeurs internationaux.
C’est seulement il y a quelques mois, lorsque la restauration en provenance de la cineteca di Bologna fut annoncée que les espérances reprirent.

En cet été 2024, enfin, nos mirettes éberluées vont pouvoir être contaminées par cette étrange et profondément malsaine odyssée dans la campagne italienne.

Cerise sur le gâteau, l’édition est entre les pattes de Le Chat Qui Fume avec une attirante sortie combo Blu-Ray/Blu- Ray 4K UHD avec traitement Dolby Vision. Le rêve, quoi.

La Critique de La Maison Aux Fenêtres Qui Rient

Pupi Avati est un réalisateur touche à tout, réalisant ses films au fil des tendances italiennes, parfois comique, parfois gothique, parfois dansant, parfois cruel, parfois profondément dérangeant.
Le cinéaste italien, qui débute sa carrière de cinéaste au cœur des balbutiements du fantastique dans son pays a même participé à l’écriture du scénario de Salò où Les 120 Journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini et a également participé à l’écriture du premier film de Lamberto Bava, Baiser Macabre.
Avati est partout et nul part à la fois. Aujourd’hui le temps est passé, et son nom aux allures de spectre a surtout marqué de par son geste magnifiquement dérangeant les motifs du filon qu’était alors le giallo avec deux films notables : La Maison Aux Fenêtres Qui Rient et Zeder.

La Maison Aux Fenêtres Qui Rient est difficilement classable, fougueux et insaisissable.
Le cinéaste applique ici tout son savoir-faire en matière d’écriture et réinvention, d’expérimentation et de modulation.
Bien que le film s’ancre en plein dans la vague giallo, qu’il reprend certains codes, manières de narration, le classique d’Avati est avant tout un film de mystères, un jeu d’enquête, où les meurtres ne sont pas légions, où la violence frontale et l’érotisme laissent place à l’atmosphère suffocante et aux malaises intimes.
Reste alors que le film tout comme les giallos repose sur une structure whodunit, allant de twists en twists, jusqu’à perdre l’esprit et révéler des secrets profondément enfouis, insoupçonnables.

Dans le genre, le film surprend tout d’abord de par son époque et sa spatialisation géographique.
Dans les 70s, ce type de production investissait son temps et cela bien souvent dans les villes en observant une certaine déliquescence meurtrière de la bourgeoisie à la veille des années de plomb.
Ici, rien de tout cela, le récit plonge la rétine dans les années 50, dans un village reculé et marqué par les atrocités de la seconde guerre mondiale, le régime de Salò et la présence des SS.
Dans la bourgade, tous les villageois se connaissent, les familles se croisent depuis plusieurs générations et les secrets rongent l’âme des habitants.
Dans ce bourbier infernal où la rancœur inonde le moindre esprit, la curieuse enquête autour d’un artiste maudit et déviant va pousser à soulever tant une page de l’histoire italienne qu’une impasse rurale à la sortie du fascisme.

Contrairement aux cinéastes de l’époque, qu’il s’agisse d’Argento, de Fulci ou encore bien de Lenzi, Avati, lui, ne s’attelle pas à révéler l’inconscient à l’échelle individuelle.
Avec La Maison Aux Fenêtres Qui Rient, il propose une profonde excavation de la mémoire des terres, de la pierre, de l’institution religieuse, de l’art, de la fascination pour les martyres et de leurs déliquescences respectives.
L’enquête policière est ici presque inexistante, et la présence d’un meurtrier incertaine.
Seuls les grondements d’horreurs enfouies, dans les sols, sur les parois de l’Eglise, sur les toiles de Legnani témoignent d’un magnétique secret dont tout un village est autant acteur que victime.
La proposition vient alors autant à prendre les traits de méandres hérités d’Antonioni que ceux d’un cinéma social déviant, parfois grotesque, mais toujours profondément inquiétant.

La dynamique en présence n’est plus celle du sang qui coule, ni de la chair qui s’écartèle.
Elle est dans le cas présent bien plus insidieuse, labyrinthique, maligne et dérangeante.
Le récit est porté par un Lino Capolicchio, vu dans Terreur Sur La Lagune, assez fade en matière d’interprétation, qui laisse finalement le rôle principal à cet oppressant peintre mort, invisible, qui hante le village et ses alentours. Quant à Francesca Marciano, actrice à la bien trop courte carrière, elle imprègne la proposition d’une troublante vibration, apporte tout autant d’équilibre que de zones d’ombre.
L’horreur vient d’une vibration, d’une présence, qu’on ne saurait définir mais qui colle à la peau, qui fait suinter, qui pousse à l’hystérie, à la paranoïa, à l’horreur tourbe de l’esprit, celle qui dépasse nos conceptions du monde.
Ce village est un fantôme, celui d’une Italie abandonnée à son sort, celui d’une charogne dont les pouvoirs publics n’attendent que la décomposition pour pouvoir mieux la posséder.

Pupi Avati cristallise ici toutes les frayeurs sourdes d’une Italie en pleine transformation, laissant sa périphérie à sa perte, se concentrant sur la restructuration des villes.
Les institutions se sont retirées et tout un chacun pratique l’ordre et le pouvoir à sa manière, entre familles faussement bourgeoises, Église et chantages.
La Maison Aux Fenêtres Qui Rient se situe quelque part entre La Longue Nuit De L’Exorcisme réalisé par Lucio Fulci, pour son rapport à la ruralité, et Il Gatto Dagli Occhi Di Giada réalisé par Antonio Bido, dans son traitement des villages-ruines à la suite du passage du fascisme, puis des SS… mais c’est aussi bien plus car Pupi Avati parvient à faire redouter l’invisible, à user de l’art pour distiller ses secrets, à reconstruire les fresques occultées pour faire jaillir une conscience collective indésirée. Glaçant.

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray & Blu-Ray 4K UHD

L’édition combo Blu-Ray/4K UHD à les honneurs de la collections digipack de Le Chat Qui Fume. Comme à son habitude, l’éditeur a laissé la patte à Frédéric Domont pour la création du visuel, ne reprenant pas l’affiche originale, et reprenant une image forte du film pour illustrer le bel objet.

Image :

La restauration 4K par la Cineteca Du Bologna à partir du négatif original est tout bonnement fascinante.
Tout a été effectué avec finesse et rigueur.
Le film renaît véritablement tant dans ses couleurs que dans ses détails foisonnants.

Les plans d’ensemble regorgent d’éléments, de reliefs, de profondeur.
Les gros plans donnent à ressentir les pigments et les moindres détails de la matière.
Le délitement ambiant du film resplendit, les murs qui s’effritent, les peintures qui se dissimulent, l’atmosphère boueuse, sont autant de miroitements minutieux faisant que l’œil est happé de manière totale.

Une hypnose qui est propulsée par le travail colorimétrique ici effectué, permettant à la réalisation de Pupi Avati de retrouver toute sa picturalité perdue.
Le travail d’échos entre les couleurs tant dans les intérieurs que sur les façades d’immeubles ou encore sur les toiles de Legnani apporte un éclat insoupçonné sans jamais dénaturer.
La Maison aux Fenêtres Qui Rient grâce au traitement Dolby Vision, entre autres, atteint une justesse tonale saisissante.

Enfin, le caractère organique de la pellicule a été savamment conservé et travaillé. Le grain apporte une vie à l’œuvre, permet de saisir le moindre pli.

Concernant l’édition Blu-Ray, nous sommes également sur une véritable petite merveille, qui a de nombreux atouts de la mouture 4KUHD, se différenciant surtout par l’absence du traitement Dolby Vision, atténuant la précision des couleurs, tout en restant d’un magnifique rendu, et perdant légèrement sur des détails que les nuances tonales faisaient ressortir en matière de profondeur.
Cela reste un master irréprochable, tirant à son profit les capacités de son support.

Note : 10 sur 10.

Son :

Deux pistes sonores sont en présence en 2.0 DTS-HD MA : Italien et Français.

Pour notre part, nous nous sommes surtout penchés du côté de la piste italienne qui est d’une belle stabilité, évitant les saturations, laissant les différentes fréquences respirer et permettant à la bande originale composée par Amedeo Tommasi d’infuser le mystère du film dans nos esprits.
Les voix sont bien présentes dans jamais pour autant écraser le mix général. Très juste.

Note : 8 sur 10.

Suppléments :

• Interview du réalisateur Pupi Avati :
Le cinéaste italien aborde le film en débutant son voyage par le titre du film, et ses différentes moutures. Pupi Avati revient sur le choix des acteurs, le lancement du projet au lendemain de la sortie du sulfureux Bordella, l’écrit sorti des tiroirs, la ruralité italienne, le tournage, ses différents collaborateurs, de son frère producteur au directeur de la photographie.
Le réalisateur aborde ensuite la manière de structurer le récit, sa façon de créer des personnages et comment façonner ces derniers.
Un entretien limpide et complet entrecoupé de séquences du film.

• Interview de l’acteur Lino Capolicchio :
Un entretien fleuve, d’une durée de 50 minutes, en compagnie de l’acteur principal du film qui revient sur sa fascination autour du film.
Pour cela il revient de sa rencontre avec Pupi Avati et va jusqu’à ancrer le film dans l’histoire du cinéma. Un regard qui foudroie, une croyance profonde dans la moindre des paroles prononcées. Saisissant et troublant.

• Interview de l’actrice Francesca Marciano :
L’actrice principale du film revient sur son expérience de tournage avec Pupi Avati, le fait d’être actrice malgré, elle, et analyse les motifs pour lesquels aujourd’hui le film est devenu si important, culte.

• Interview du producteur Antonio Avati :
Le frère de Pupi Avati, et producteur, revient sur le film.
Le parcours d’entretien est semblable à celui du réalisateur mais couvre différents détails de la production, de la réalisation et du contexte. Un entretien complémentaire.

• Film annonce

Note : 9 sur 10.

Pour découvrir La Maison Aux Fenêtres Qui Rien en Blu-Ray (édition 4K UHD en rupture) :
https://lechatquifume.myshopify.com/products/la-maison-aux-fenetres-qui-rient-bluray?srsltid=AfmBOoou3fXuCLYiEVYaP2Jnks_RCRqKZK4BYDkKc9fcpwMySg-BLxkx

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