« Honor De Cavalleria » réalisé par Albert Serra : Critique

Synopsis : À dos de cheval et de baudet, deux cavaliers poursuivent jour et nuit leur voyage en quête d’aventures. Don Quichotte est un vieux rêveur idéaliste, et le naïf Sancho, son fidèle écuyer et ami. Chevauchant à travers champs, ils conversent sur Dieu, la nature, la destinée, le quotidien, la chevalerie et sur leur amitié, qui les unit comme deux frères.

Don Quichotte est un personnage littéraire qui aura fait tourner bon nombre de pellicules.
La création fictionnelle créée par Cervantès, contant les aventures d’un vieil homme vivant le fantasme de la chevalerie, à la manière des grandes fresques épiques, a connu de nombreuses variations, itérations et parfois impasses.
Depuis l’adaptation de Pabst en 1933, les réalisateurs ont joué avec le mythe, celui de la force de la culture et l’impact des imaginaires sur le réel. Peu d’entre eux sont parvenus à toucher le caractère intime de l’écrit originel.
Dans ce faible panel de cinéastes hors normes, ceux qui croient encore aux merveilles de la camera obscura, qui ne sacrifient ni les écrits, ni leur intégrité, Albert Serra se positionne comme l’un des plus justes.

Honor De Cavalleria est le premier long-métrage du cinéaste espagnol.
Dans son adaptation il ne cherche pas à reconstituer une histoire, un récit.
Albert Serra, lui, s’essaie à la captation de l’essence des écrits de Cervantès. Albert Serra, lui, s’essaie à la philosophie qui émane de Don Quichotte, cette ensorcelante aliénation pour toucher les horizons des rêves, de la liberté.

Dans les champs arides d’une Espagne reculée, loin des habitations, dans des lieux où seule la nature foisonne et s’assèche sous l’astre de lumière, Don Quichotte et son écuyer Sancho vadrouillent dans l’espoir de vivre une grande aventure et faire le bien.
XVII° siècle, Don Quichotte est un vieil homme qui a passé son existence à collectionner et lire des récits de chevaliers jusqu’au jour où il décida d’endosser la côte de maille et l’armure pour vivre son plus intime fantasme, être le héros de sa vie, suivre les traces de Lancelot, et ce pourtant, sans jamais obtenir de titre officiel.
Sancho, lui, est un piètre maçon, hué et moqué de par chez lui, qui dans son exil se décida à suivre les apprentissages de Don Quichotte, afin peut-être, un jour, de devenir chevalier à son tour.
Albert Serra travaille alors l’errance de ces deux personnages avec un élan quasi romantique dans le traitement des lieux et des éléments.
Une harmonie naît de la simplicité de la mise en scène, de la candeur béate des acteurs, et du regard brut presque primaire face au traitement de l’image et du son de la part de Serra.
Voici le parcours de deux paumés qui lors d’une cavalcade vont tenter d’échapper à une société mortifère qui fait de la fiction un rêve insaisissable, de la réalité une servitude amère.

Dans ces espaces qui semblent infinis, un lumineux purgatoire prend place où l’humain vient à s’évader de sa condition, toucher l’inespéré.
Le temps est comme suspendu, la parole futile. La nature devient nouvel espace de modulation de la conscience, force excavatrice des souhaits détenus par le subconscient.
Albert Serra dans un geste de slow cinema parvient à déplacer nos sensibilités.
L’espace et le temps sont définis, et pourtant, à force d’observer les gestes, les répétitions, les corps, les postures, l’herbe sèche et la terre craquelée quelque chose s’immisce en nous, dans les silences : le murmure de Cervantès.
C’est dans le ruissellement des éléments, dans leurs présences parfois presque invisibles, que la poésie naît, que la pensée se structure, que la rhétorique de l’intangible foudroie, entre flammes et terre, entre bourrasques et point d’eau dérobé.

Honor De Cavalleria est une oeuvre toute aussi apaisante qu’excitante dans sa maïeutique, film de boudoir en plein air où Don Quichotte et Sancho dissertent sur Dieu, la chevalerie, la vie, la mort, la nature et les hommes.
Albert Serra vient à donner l’envie d’évasion, d’ailleurs.
Albert Serra vient à donner la volonté de suspendre le temps, l’instant d’un songe, pour comprendre dans cette déambulation enchantée, et pourtant parfois cauchemardesque dans son labyrinthisme, que nous sommes fatalement les seuls geôliers de nos existences, que l’aventure est à portée de regard, qu’il s’agit seulement de marcher, d’oser exister, se mettre en mouvement tant physiquement qu’intellectuellement pour être un jour, peut-être, le rêve désiré, quitte à être pris pour fou.
Et si ce n’était que cela la liberté, un rêve fou.

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