
| Réalisateur : Dario Argento |
| Acteurs : Jennifer Connelly, Daria Nicolodi |
| Genre : Horreur |
| Durée : 116 minutes |
| Année : 1985 (salles) |
| Pays : Italie |
Synopsis : Dans un internat pour filles en Suisse, la jeune Jennifer Corvino, qui a des pouvoirs télékinésiques et télépathiques, tente de démasquer un tueur en série qui terrorise ses camarades de classe. Au cours de son enquête, Jennifer va également découvrir le terrible secret qui se cache derrière les murs de l’internat.
Rat Des Villes, Rat Des Champs, Argento dans les étendues hélvètiques
Direction la Suisse, ses chaînes de montagnes et ses horizons verdoyants.
Jennifer Corvino, fille d’un grand acteur américain, est envoyée au pensionnat pour jeunes filles Richard Wagner afin de poursuivre ses études.
La jeune fille est douée de pouvoirs surnaturels et vit en osmose avec le monde animal, et plus particulièrement avec les insectes. Lors d’une crise de somnambulisme, elle est témoin d’un crime atroce. Un tueur, à la lame bien aiguisée, sévit dans les vallées helvètes.
Accompagné d’un entomologiste en fauteuil roulant, d’un chimpanzé domestique et de son sens aiguisé pour les perceptions extrasensorielles, Jennifer va se lancer à corps perdu dans cette enquête sans indices, où seule la chair, celle qui se décompose, devient boussole, où seul l’instinct devient piste.
Avec Phenomena, Dario Argento s’embarque dans une hybridation de sa filmographie passée.
Il y travaille toutes ses obsessions, créant un bain entre formes giallesques (Profondo Rosso, L’Oiseau Au Plumage de Cristal) et onirisme maudit (Suspiria, Inferno). Dans cet espace de rencontre entre enquête et perceptions extrasensorielles, Argento avait déjà pondu un intrigant film, Le Chat à Neuf Queues, où l’on suivait un homme aveugle, accompagné d’une petite fille, sur les traces d’un maniaque.
Ici le réalisateur quitte le dédale des villes et vient interroger la nature, le sensible, les espaces isolés, où la terreur exulte de sols verdoyants, où La Charogne de Baudelaire vient rappeler les chaînes structurelles du monde tel qu’il est, loin du béton et de ses architectures bariolées.
Nous quittons l’Italie, la frénésie de la cité, et le poids d’un pays fondant sous le poids de sa bourgeoisie puante.

Hybridations et métamorphoses, schémas adolescents et chairs mutantes
Argento vient tisser en dehors de ses terres, tout comme avec Suspiria à Fribourg ou Inferno à New York.
D’ailleurs, le jumelage entre les film de sorcellerie et cette promenade helvétique macabre est assez fort.
Le cinéaste quitte le monde usé des adultes pour travailler l’émoi des sens, les mondes invisibles, le fantastique et les sentiers oubliés.
Là où par le passé nous découvrions des sociétés secrètes occultes, régissant, dans l’obscurité, le monde tout entier à travers l’ordre de trois mères-sorcières, Phenomena s’embarque dans les ressentis extra-sensoriel, vient questionner l’évolution, l’humain, et fatalement l’attache perdu avec le berceau primaire, entre faune et flore.
Par le biais de ce personnage d’adolescente ouvrant tout autant sa conscience que ses stimulis sensoriels, son âme que son corps, il y a la brèche à explorer qui peut mener tant à l’émerveillement qu’à l’excavation d’atrocités enfouies.
Guidé par les insectes, Jennifer Corvino, malgré elle, va rencontrer le mal absolu, la dégénérescence chez l’adulte, l’adulte qui a été brisé, blessé, jusqu’à devenir bête folle, monstre.

De la lame giallesque à l’écho des corps de demain, à l’assaut des 80s
Dario Argento pour soutenir l’expérience conçoit un film protéiforme, épris d’une liberté troublante, jouant sur le caractère en dent de scie de l’adolescence.
Pour la première fois producteur de son propre film, il ne se donne finalement aucune limite allant parfois jusqu’à offrir de brillantes cacophonies, n’hésitant pas à nous assommer d’Heavy Metal, Iron Maiden ou Motorhead, lors de scènes habituellement ambiantes.
Il quitte tout maniérisme et propose un cinéma multidimensionnel, se cherchant une nouvelle identité tout comme le font les adolescentes de cette oeuvre, un parcours d’expérimentations tantôt doux, tantôt amer, parfois cruel, parfois extatique mais toujours hypnotique.
La nuit, dans l’institut Wagner, présence invisible d’un compositeur dénaturé, les jeunes femmes fument et écoutent Iron Maiden.
La nuit dans le calme helvétique, la chair s’écarte, dévoilant des mises à mort pornographique dans le façonnement de plonger dans les entrailles du corps.
La nuit, dans les sous-sols, sous la fange, les viscères de la terre s’animent, communiquent, un monde organique se soulève pour défier l’architecture maligne des hommes.

La colère du Chimpanzé, l’instinct des grillons, le regard adolescent : théorème en trois temps
Phenomena est un conte, une sorte d’Alice Au Pays Des Merveilles remis au goût du jour, qui comprend pleinement l’écartèlement des années 80 tant en matière de cinéma, entre Chromosome 3 de David Cronenberg et Link de Richard Franklin, qu’en matière de redéfinition des musiques adolescentes toujours plus excessives, magma entre Goblin, Iron Maiden et Motorhead, et symbolisant à merveille le caractère schizophrénique de l’adolescence.
Un grand Argento, un mirage, qu’il est nécessaire de redécouvrir.


Laisser un commentaire