Objet de l’expérience : Sur des travellings ou des longs plans fixes de New York (métro, rues, façades) qui racontent en creux son quotidien, la cinéaste lit les lettres envoyées de Belgique par sa mère, cordon ombilical la rattachant encore à son roman familial.

| Réalisatrice : Chantal Akerman |
| Genre : Documentaire expérimental |
| Pays : Belgique |
| Durée : 89 minutes |
| Date de sortie : 1977 |
Akerman et l’expérimentation du cinématographe
Au début des années 70, Chantal Akerman claquait la porte de l’institut national des arts du spectacle pour expérimenter seule, tenter de construire une image, à travers une lecture des corps au défi du temps parcouru et de l’espace traversé.
En Belgique elle réalise le punk et désynchronisé Saute Ma Ville, récit d’une étudiante n’acceptant plus les injonctions faites aux femmes, les règles et rituels à suivre, s’enfermant alors dans sa cuisine pour libérer son chaos intérieur allant jusqu’à faire exploser l’immeuble tout entier.
C’est le grain de sable dans les mécanismes d’une société hurlante. C’est la naissance de Chantal Akerman.
Elle quitte la Belgique s’échappe vers New York et rencontre les cinémas expérimentaux de Jonas Mekas ou encore Andy Warhol.
L’heure est à la totale déconstruction de l’image, à l’observation d’un quotidien tangible fascinant.
De ces essais naissent Hotel Monterey, Hanging Out Yonkers et La Chambre.
Trois propositions documentaires qui affinent le geste de la cinéaste et traverseront ardemment toute la filmographie d’Akerman durant les années 70.
De 1974 à 1976, la cinéaste passe à nouveau par le vieux continent, terre natale, espace familial, où elle tourne ses deux premiers long-métrages : Je Tu Il Elle et Jeanne Dielman.
Dans ces deux pamphlets incendiaires et avant-gardistes, la réalisatrice use de la maïeutique développée de l’autre côté de l’océan et propulse ces intensités intellectuelles dans une fiction vivant au rythme du documentaire, au rythme du réel.

De Bruxelles à New York, sentier de paroles spectrales
1977, Chantal Akerman est de retour à New York.
News From Home est le film du come-back en terres états-uniennes mais aussi celui des retrouvailles avec un travail ambiant et esthétique s’affranchissant de tout personnage, plongeant pleinement dans l’expérimental.
Ce troisième long-métrage reprend le sentier tracé par Hôtel Monterey et Hanging Out Yonkers dans l’analyse des espaces et des corps traversants, si ce n’est traversés par les architectures tout comme par les destins sociaux, afin de mettre le dispositif à l’épreuve d’une ville toute entière : la grosse pomme.
Dans ses mouvements intercontinentaux, la pensée Akerman devient hybride. Elle touche une certaine scission entre deux sociétés, deux cultures et deux langues.
Entre attachement et volonté de dépassement, News From Home est un sublime poème.
La cinéaste capture la ville entre plans fixes, rotations et travellings, tout en lisant les lettres de sa mère, un quotidien belge suspendu, presque malade, qui s’immisce dans la métropole états-uniennes aux mouvements perpétuels.
Un maelström continu crée une zone d’étirement, un fil tendu, entre les deux espaces que sont les Etat-Unis et la Belgique, deux lieux aux dynamiques opposées.
Akerman construit un documentaire intime qui rappelle les journaux expérimentaux de Mekas.
Sans jamais parler d’elle, en laissant s’exprimer les espoirs et angoisses de sa mère, jouant d’ellipses et en ne dévoilant pas ses propres lettres, une forme de jeu de piste s’installe.
Une émotion vient se juxtaposer aux images brutes et criardes de New York. La vue et l’ouïe sont saturés d’informations.
Un incessant torrent d’informations défile.
Une déclamation toute en contre-temps se libère, à la recherche d’une harmonisation.
Les répétitions dans les lettres s’accentuent, la ville se réveille, le trafic s’intensifie, les variations émotionnelles se décuplent et une folle danse vient à agripper l’esprit du spectateur, un voyage intérieur renvoyant aux expériences personnelles, à ce moment de scission entre monde nouveau, ici le nouveau monde, et motifs familiaux tenaces.
« Ma très chère petite fille, j’ai bien reçu ta lettre et j’espère que tu continueras à m’écrire souvent. »
Amorce d’une lettre de Natalia Akerman

De la langue révélée au mouvement assimilé
Chantal Akerman donne une narration à sa proposition assez exigeante, qui nécessite un profond investissement, pour dépasser l’image et les mots, afin de constituer un récit.
En trois temps, et quelques liaisons et intermèdes, sans véritable guide, si ce n’est notre rétine et la constitution des cadres, la cinéaste structure son évolution au sein de la ville et l’assimilation progressive de la jeune femme qu’est Akerman au paysage new-yorkais.
L’autopsie de New York prend place.
Des rues désertes en périphérie jusqu’au fourmillement des grandes artères, Akerman travaille les architectures porteuses, dans un premier temps, puis, dans un second temps, questionne à travers l’observation de la population de la métropole un certain état d’esprit, un langage tout aussi corporel que oral, pour enfin, une fois l’assimilation des lieux traversés, et la compréhension d’une humanité nouvelle, tout au long de la journée, allant des souterrains à la périphérie, des ghettos au coeur de ville, intégrer, peut-être un jour, ce paysage urbain, cette société nouvelle.
Un long parcours qui ne cesse de moduler en fonction des variations tonales des écrits d’une mère errante, avec trop peu de nouvelles de sa fille pour décrocher.
Au fur et à mesure des apaisements, tout au long des semaines et mois, Akerman s’émancipe de cette présence maternelle et tente de s’extirper tout autant du spectre familial que du magnétisme belge.
Le geste de la cinéaste et sa manière de conter mènent à l’admiration, poussant le spectateur à des perditions extatiques transcendantales.

News From Home, Lettres étrangères et révélations intimes : récit d’une métamorphose
News From Home est un auto-portrait réalisé par Chantal Akerman à une époque charnière de son existence.
Elle capture son oscillogramme familial, saisit une ville en perpétuelle transformation à un instant précis et fait pénétrer le cocon dans lequel elle réside, artiste en plein essor, en pleine mutation, en pleine création, en pleine métamorphose, quelque part entre deux mondes, deux états, deux spectres intimes.
La justesse du regard et du geste d’Akerman font de ce News From Home est un chef d’oeuvre de création cinématographique.


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