Objet du documentaire : Septembre 2022, Béatrice Dalle arrive en Italie. À l’origine de ce voyage, il y a le désir de marcher sur les traces de Pier Paolo Pasolini, l’homme de sa vie. Elle parcourt les décors de son rêve afin qu’advienne la rencontre.

| Réalisateur : Fabrice Du Welz |
| Acteurs : Béatrice Dalle |
| Genre : Documentaire |
| Durée : 80 minutes |
| Année : 20 novembre 2024 |
| Pays : France |
Sur le papier, le projet de suivre Béatrice Dalle filmé par Fabrice Du Welz sur le traces et échos de Pier Paolo Pasolini semblait tout aussi prometteur que pompeux.
Prometteur, d’une part, car les deux hurluberlus sont de véritables passionnés du cinéaste-poète italien. Béatrice Dalle a souvent participé à des lectures de textes de PPP en compagnie de Virginie Despentes, face au public. Fabrice Du Welz, lui, a souvent témoigné en entretiens de son amour envers le réalisateur de Salò et a consacré tout un podcast sur Pasolini via le podcast Carlotta en compagnie de l’hypnotique Fati Bediar.
Pompeux, d’autre part, car nos deux compères sont capables du meilleur comme du pire, de toucher au sublime, Lux Aeterna et Calvaire, comme aux épuisants racolages, des interviews falabraques de Dalle au Message From The King de Du Welz.
Du côté de Kino Wombat, nous nourrissons une véritable obsession pour Pier Paolo Pasolini -et rejetons avec dureté le film d’Abel Ferrara.
Nous avons d’ailleurs eu la joie de participer à l’exposition monégasque « Pasolini, En Clair Obscur » où nous avons présenté L’Evangile Selon Saint Matthieu et Théorème, en salles.
C’est donc avec impatience et inquiétude que nous nous aventurons dans ce curieux projet qu’est La Passion Selon Béatrice .

De Casarsa à Matera, en passant par Bologne, Venise, Ostie, Rome, et Ginosa, le chemin de Béatrice Dalle emprunte les lieux qui ont comptés dans la carrière de Pasolini, elle marche sur les pas de sa plus profonde inspiration, d’un grondement qui est né en elle lorsqu’elle avait 17 ans.
Dès les premiers plans, deux pistes se tissent : celle de l’actrice, celle du cinéaste.
Le sentier emprunté par Béatrice Dalle est envoûtant, au fur et à mesure du périple de nombreux artifices chutent, la parole se calme, les silences nourrissent.
Les mots sont extraordinairement justes, on ressent la grâce de cette madone noire qui erre dans un spectre insaisissable. Pasolini est partout et nul part à la fois.
Il s’agit tout autant d’une quête impossible que d’un théorème mystique irrésolu saisissant.
Un sentiment qui saura traverser les passionnés du poète italien, somme et conclusion d’une grande Italie, celle de Giotto, Caravage, Gramsci, Casanova et Modigliani.
Le visage de Béatrice Dalle qui se déforme, se déstructure et renaît tout au long du voyage, donne à comprendre la résonance phénoménale de Pasolini. Il s’agit bien plus que de l’histoire d’un homme.
Ici, se conte l’histoire d’une terre, de ses croyances, de ses espaces invisibles, de son peuple et de ses combats, idéologiques et charnels, physiques et spirituels.
Contrairement à ce lâcher prise, à cette honnêteté troublante, Du Welz, lui, est toujours dans la représentation dans une mise en scène assez lourdingue entre étudiant en cinéma et fan boy de Pasolini.
A force de vouloir créer les atmosphères pasoliniennes dans sa photographie il se transforme en pastiche, en caricature.
Et là où la simplicité de son geste parvenait à alléger son image contaminée par son adoration douteuse, il s’amuse à certaines mises en scène tout aussi touchantes que navrantes comme avec la rencontre de l’actrice qui interprétait Marie ou bien avec l’insert musical David Bowie, pour donner un ton 70s tout en trahissant la pensée du poète marxiste.
Là où il était agréable de le suivre en podcast, ici, l’exercice de style claudique.
Reste quelques prises miraculées comme les déambulations en périphérie de Ginosa, la séance de cinéma, le repas à Ostie ou la captation de Dalle dans une chapelle qui raconte sa rencontre avec PPP.

Pour nourrir le voyage et faire renaître Pasolini, Du Welz et Dalle rencontrent d’anciennes personnes ayant croisé, rencontré ou travaillé avec le cinéaste italien.
Ces entretiens fugaces permettent de tisser une toile et de s’apercevoir que l’énigme Pasolini est tout autant lumières qu’ombres qui ne cessent de planer au-dessus du pays.
Entre sortilège et bénédiction, l’aura que le parcours de PPP a dispersé aux quatre coins de l’Italie rayonne toujours et questionne tant d’un point de vue spirituel que politique, économique qu’humain.
Reste un entretien à soulever, en compagnie d’Abel Ferrara, qui de manière continue alimente la mythologie Pasolini avec des informations grossières, fantasmées et bien souvent fausses.
Ici, il voit Pasolini comme un modèle hippie et il y a quelques années il allait jusqu’à dire que PPP avait tout du bouddhiste, qu’il était peut-être même bouddhiste. Des allégations qui vont jusqu’à esquisser des détails intimes hasardeux.
Pitié, faites que Ferrara n’aborde plus Pier Paolo Pasolini, ou tout du moins, faites en sorte de ne pas témoigner d’attention à ses dangereux fantasmes métamorphes.
C’est un voyage en demi-teinte qui se clôture.
La Passion Selon Béatrice réussit à outrepasser l’impasse de la vidéo-savoir et s’embarque dans une échappée atmosphérique où la grande force est la puissance de l’âme de Béatrice Dalle, à vif, en dehors de ses artifices, dans un carcan intime profondément touchant.
La proposition est une déambulation thérapeutique pour tous ceux qui se sentent orphelins, qui n’ont pas connu Pasolini et qui veulent saisir, si ce n’est qu’un regard, un souffle, un relief parcouru par le cinéaste.
Pour parvenir à cette extase, faites fi de la caméra fan service harassante de Du Welz, rejetez les frasques foutraques racontées par Ferrara, suivez juste Béatrice, car dans ce maelstrom, dans ce chaos, elle a touché la grâce, celle qui vivote dans le sillon du plus grand poète du siècle dernier.
Et puis, n’oubliez pas… comme le dit Béatrice, ce ne sont pas les critiques qui font avancer le monde, ce sont les créateurs.


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