De retour dans le Cameroun où elle a passé sa jeunesse, une Française revit les souvenirs de son enfance.

| Réalisateur : Claire Denis |
| Genre : Drame |
| Durée : 102 minutes |
| Année : 1988 // 2024 (Blu-Ray) |
| France |
Claire Denis, cinéaste française incontournable à la filmographie conséquente, est étrangement mise au ban dans l’horizon cinématographique français.
On la voit peu, malgré un film tous les deux ans, on la célèbre peu, malgré son succès en festivals, malgré son succès critique.
Très peu d’éditeurs hexagonaux exhument la filmographie de la réalisatrice et la plupart du temps il faut se diriger vers l’étranger pour parvenir à mettre la main sur ses films dans des conditions convenables.
C’est donc avec une joie absolue qu’en cette fin 2024 nous retrouvons Chocolat, premier long-métrage de Claire Denis, du côté de Carlotta Films pour une sortie Blu-Ray à partir d’une nouvelle restauration 4K.
Chocolat, Premier long-métrage, premier éclat
France est une jeune femme en voyage au Cameroun. Elle parcourt les terres à la recherche de souvenirs d’enfance. A l’époque où elle était petite fille, 20 ans auparavant, durant les dernières heures de la colonisation, France passait ses journées dans la grande bâtisse familiale, avec sa mère prise de solitude, d’ennui, et Protée, « boy » de la famille.
Aujourd’hui, elle se remémore, s’échappe dans les spectres de son enfance, lorsque son père était en mission pour faire perdurer la mission coloniale.
Claire Denis, avec Chocolat, retrace une partie de son enfance et à travers le personnage de France installe un dispositif semi-autobiographique.
C’est par le biais d’un regard d’enfant qu’elle pénètre les axes qui cisaillent tout un territoire, tout un peuple. En s’attachant aux errances de France, à cet ennui ambiant où l’âge tendre est encore ouvert à la contemplation pure, la cinéaste dessine une cartographie complexe donnant à voir en s’engageant sur un jeu de pistes, de détails visuels et sonores, un Cameroun à deux visages : celui des colonisateurs et celui des colonisés. Bref, les oppresseurs et les opprimés.
Pour ce premier long-métrage, la cinéaste qui a travaillé par le passé auprès de Wim Wenders -qui produit en partie le film-, fait preuve d’une maturité rétinienne foudroyante, préférant épurer le récit et creuser des trames narratives sensibles à travers la lecture des corps, des espaces, des vêtements, des positions et des équilibres géométriques dans le cadre.
Ainsi la sensualité du corps de Protée se reflète sur les reliefs de la Terre, résonne dans les sols et pousse au magnétisme indigène.
Ainsi, les costumes de colons face à des locaux en tenues officielles, en tenues de domestiques, tendent à saisir le délitement d’une colonisation-esclavagiste.
Ainsi, la maison familiale aux fenêtres ouvertes, appellent à l’assaut comme à l’accueil, devenant espace instable et future relique d’un temps ségrégationniste.
Dans l’ombre les hyènes rôdent. La nuit, l’école devient centre pour organiser la résistance.
D’un côté, Claire Denis saisit l’atmosphère française, lascive, en proie à l’ennui dans une luxure déliquescente.
De l’autre, la cinéaste capture tout un peuple en attente. En attente d’un faux pas qui permettra de retrouver son identité propre, allant de sa culture à sa langue.

Aujourd’hui, en 2024, la proposition de Claire Denis a trouvé écho dans nos récentes expériences cinéphiles et illustre de manière fictionnelle une réalité témoignée chez Mati Diop avec Dahomey.
On trouve alors une nation toute entière vidée de sa substance, portée par des croyances qui ne sont pas les siennes, par des langues qui ne sont pas les leurs -ici, Denis témoigne de la nécessité d’être polyglote suite aux vagues successives de pays colonisateurs allemands, anglais et français- et nourrie par une cuisine qui n’est pas la sienne.
C’est le photogramme dérangeant d’un déracinement d’une violence inouïe au sein de la terre originelle, maternelle.
Un rejet forcé par une entité envahisseuse fétide.
Le colon qui devait apporter savoir et instruction s’affiche en monstre d’égoïsme, en monstre d’exploitation, résultante d’une petite bourgeoisie inexistante en son sol et venant écraser une population quasi-apatride pour combler leurs frustrations.
Le geste de Claire Denis se dessine. Une manière de soulever les problématiques enterrées, de les exhumer et les confronter, sans jamais tenter de protéger le regard, sans jamais essayer d’arrondir les bords.
Dans cette lancée, France se trouve être assise entre deux comportements entre violence symbolique sur les locaux et véritable sympathie pour ces derniers. L’héritage comportemental déviant de son milieu vient gangrener l’insouciance de l’enfance.
La colonisation n’est que la première marche vers une autre étape de l’esclavage moderne, la mondialisation et le capitalisme dévorant, où l’humain devient objet, service, corps à acheter, esprit à museler.
Les terres se font soumettre par l’économie, la finance, les anciens colonisateurs deviennent maître budgétaires, permettant une nouvelle fois une sourde invasion pour définir l’avenir de peuples dévastés.
Chocolat est un pamphlet particulièrement acide, avançant lentement, laissant l’horreur s’immiscer dans les moindres détails du cadre pour finalement nous confronter, regard européen, à notre présence-monstre sur des terres et leurs habitants, sur nos vies doucereuses alimentées par l’âme de millions d’individus opprimés, carburant de chair.
Comme le montre Claire Denis, pour la vie d’une famille de trois personnes, le sacrifice de tout un village se joue.
Chocolat est une immense onde lancinante qui pénètre durablement nos conforts occidentaux égocentrés. Chocolat est à redécouvrir d’urgence. C’est une nécessité.

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
Image :
Un petit miracle de restauration.
Le master en présence repose sur une restauration à partir du négatif original, approuvé par Claire Denis et le directeur de la photographie Robert Alazraki.
L’image est été parfaitement nettoyée et le cadre a été soigneusement stabilisé. Il y a ici un vrai respect de la pellicule avec un grain vivant permettant de révéler de très nombreux détails, affichant reliefs et profondeur de champs. C’est un vrai régal.
La proposition se tient dans toutes ses déclinaisons qu’il s’agisse des plans d’ensemble ou bien des gros plans. Le rendu est agile et capture l’essence des moindres cadrages.
Un constat merveilleux qui vient être soutenu par une très juste restitution colorimétrique qui n’essaie à aucun moment d’imposer une patte nouvelle et travaillant pleinement les palettes d’origine.
Les voir leurs sont stables, les noirs restent profonds, et ce même de nuit, ne vivotant pas et gardant leurs précisions.
Son :
Version française DTS-HD Master Audio 1.0
De par sa limitation technique d’origine, ne vous attendez pas à une immersion totale mais plutôt à une restitution très juste, stabilisée, nettoyée et avec des dynamiques très réussies. Tout particulièrement durant les séquences nocturnes où l’on sent la nature reprendre vie, où l’on sent les locaux s’organiser pour reprendre le contrôle de leurs terres, de leur culture, de leurs vies.

Suppléments :
Contrairement à l’édition BFI de Chocolat, Carlotta est moins gourmand en matière de contenus. Reste que l’entretien en présence, en compagnie de Claire Denis est une véritable réussite.
Liste des suppléments :
- Claire Denis à propos de « Chocolat » (18 minutes) :
Claire Denis, dans un entretien exclusif, revient sur la genèse de Chocolat, ses souvenirs d’enfance, de son rapport aux colonies, des repérages, des acteurs mais aussi de la restauration.
Un excellent bonus pour prolonger l’expérience. - Bande-annonce 2023


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