Alors qu’ils font étape durant une tempête de neige, un jeune sculpteur et son maître rencontrent la femme des neiges. L’esprit épargnera le jeune apprenti, à condition qu’il n’évoque à quiconque leur rencontre.

| Réalisateur : Tokuzo Tanaka |
| Acteurs : Shiho Fujimura, Akira Ishihama, Machiko Hasegawa, Taketoshi Naitô |
| Genre : Horreur |
| Pays : Japon |
| Durée : 80 minutes |
| Date de sortie : 1968 / Novembre 2024 (Blu-Ray) |
En cette fin d’année 2024, Roboto Films porte le coup de grâce.
Après s’être lancé en début d’année dans l’édition video avec deux films de Fukasaku, l’éditeur spécialisé en cinéma japonais a enchaîné les foudroiements cinématographiques avec la trilogie Gamera 90s ou encore un inédit de Teruo Ishii.
Pour conclure cette lancée transperçante et obsédante, Roboto s’élance dans le cinéma de spectres japonais avec un coffret comptant trois film de la Daiei, le tout présenté dans un luxueux coffret illustré par le fascinant Tony Stella contenant les trois éditions.
Pour commencer l’aventure spectrale, direction Snow Woman.
Snow Woman,
Lorsque la neige recouvre les forêts et les plaines, lorsque le vent forme des tourbillons de flocons et de gel, La femme des neiges apparait. Dans son sillage elle arrache la vie des errants.
Lors d’une nuit apocalyptique, le yokai s’en prend à un sculpteur et son jeune élève ayant trouvé refuge dans un abri de fortune.
Prise de pitié pour l’élève, elle lui laisse la vie sauve le faisant promettre de taire cette rencontre terrifiante.
Si le jeune homme venait à en parler il serait saisi par les glaces.
Quelques jours après son retour au village, il est mandaté par le seigneur de la région afin de réaliser une statue de la divinité Kannon.
L’apprenti devenu artisan est dévoré par le défi.
Devant le porche de sa maison, une jeune femme cherche refuge lors d’une nuit de pluie.
Une jeune femme à la beauté de glace…

Tokuzo Tanaka, cinéaste peu connu en Europe, reste néanmoins une figure centrale du cinéma d’exploitation nippon, et du cinéma japonais de manière général.
Avant de réaliser ses premiers films, Tanaka s’est d’ailleurs fait la main en tant que qu’assistant réalisateur de Akira Kurosawa pour Rashomon, de Kenji Mizoguchi pour Les Contes De La Lune Vague et Les Amants Crucifiés mais également de Kon Ichikawa pour Le Pavillon D’or.
En tant que réalisateur, le cinéaste alterne entre chambara, films de yakuzas et films fantastiques, dont Snow Woman est son premier essai de réalisation en la matière.
Il est un cinéaste efficace qui prend un véritable plaisir à parsemer ses oeuvres de couloirs secondaires qui ne cessent d’enrichir la lecture des personnages et font se développer les champs poétiques ambiants.
Derrière la simplicité apparente se dissimule des architectures-échos.
Avec Snow Woman, Tanaka trouve de manière idéale un terreau dans lequel il va pouvoir se permettre de faire évoluer deux courants qui arpentent sa filmographie, quelque part entre Zatoichi et son expérience en tant qu’assistant sur Les Contes De La Lune Vague.
Snow Woman est un film de yokai tout en atmosphères, laissant en grande partie le surnaturel dans des espaces périphériques, en retenue, pour mieux le distiller. Une démarche qui transperce et pénètre durablement la sensibilité du spectateur.
Ici, l’effroi, le véritable, vient de la civilisation, des hommes. Le fantôme et sa malédiction n’est que résultante d’une société sauvage et profondément violente. La femme des neiges est une subtile toile de fond sur laquelle se plaque un récit de société à la structure féodale cauchemardesque, oscillation vampirique de nos sociétés modernes.
Une pyramide sociétale qui voit dans la proposition présente mettre au sommet un seigneur local qui délègue son pouvoir à l’intendant, ce dernier devant faire appliquer la parole de son supérieur sur la population.
Une cascade hiérarchique où dans les interstices les messages sont déformés, un ricochet où les paroles passent de l’ordre à l’oppression.

Dans cette chaîne de pouvoir, de domination et de soumission, Tanaka observe la corruption et la difficile capacité du peuple, éloigné du siège du pouvoir, à faire part des digressions et injustices commises par les acteurs pivot.
Une configuration qui est outrepassée par les champs surnaturels, les pouvoirs extrasensoriels, et la puissance révélatrice de l’art.
Ainsi dans ce piège infernal, les pouvoirs mystiques de la jeune femme traversent les cloisons des plus hautes sphères.
Ainsi dans ce piège infernal, la taille de la statue de bois commandée par le seigneur, fait office de lien entre l’artisan, le peuple, et le seigneur, le dirigeant. Une traversée verticale qui déjoue les mécanismes roublards d’une société unilatérale.
Dans les reliefs et motifs, à travers la sensualité de la femme des neiges, malgré elle, et la sensibilité du bois qui module, Tanaka parvient à créer par le geste de l’artiste le reflet de tout un environnement intime.
L’âme du sculpteur, ses doutes, ses peurs, ses joies, ses obsessions et ses perceptions transcendantales jaillissent sur la pièce.
Seule impasse à la finalisation, la structuration du regard, reflet dans lequel tout prend forme, miroitement dans lequel tout se révèle, fin d’un puzzle éreintant dont chaque partie prenante du film possède une vérité, ces dernières étant catalysées dans la pièce de bois en formation.
Tanaka tisse également un intrigant jeu topographique où dans les périphéries du village, du domaine de l’intendant, du temple et de la cité du seigneur, se développent à la fois les plans les plus vils de l’être humain en besoin de pouvoir mais aussi les forces oubliées, occultes, celles des éléments, de la nature et des invisibles.
Entre banditisme et errances démoniaques, aux portes des lieux de vie, le danger guette.
De ces interstices géographiques se dégage une étrange aura qui inonde la pellicule, une matière qui met en péril le moindre subrepticement de vie. Dans une spirale décadente, au rythme des saisons et des années, une matière prend forme, un piège où démons, bandits et âmes esseulées se font engloutir.
Un puissant sentiment mélancolique saisit le coeur.
Tout comme pour Kuroneko et Onibaba, en leurs temps, mais également les plus modernes Ring et Dark Waters, la place des personnages féminins est centrale.
La femme bien trop souvent mise au ban de la société, cloitrée dans ses tâches, violentée et bien souvent assassinée, se révèle dans le cinéma de spectres japonais. Les femmes sont à la lisière des mondes, dans une brume fantastique difficilement perceptible par une gente masculine avide de richesses matérielles et de pouvoir.
La femme est le retour de bâton, la vengeance sourde, intangible, qui rattrape les monstres, les hommes.
Snow Woman est un délicat envoûtement où frisson et passion viennent s’offrir une danse exquise.
Le cinéaste parvient à croiser film de société et conte traditionnel à tendance horrifique, tout en jouant adroitement des cheminements narratifs, croisant les ficelles du mélodrame et se servant d’histoires transversales, de progressions dérobées, à travers la sculpture, pour subjuguer le regard spectateur.
Un grand classique du cinéma fantastique japonais.

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
Image :
Bien qu’issu d’une toute nouvelle restauration 4K, et qu’il soit merveilleux de découvrir une œuvre si rare dans de tels drapés, il faut préciser que la restauration de Snow Woman, comme nombre de classiques japonais, fait preuve d’une exhumation agréable sans pour autant vous griffer la rétine.
Ici, le niveau de détails est intéressant, le cadre, par instants, recèle quelques floues en périphérie où l’œil ne va généralement pas se perdre.
L’homogénéité de l’image est alors toute relative, surtout lorsque l’on va s’égarer du côté des scènes nocturnes. Car à l’inverse des scènes de jours avec un très beau gain en matière de stabilité et de définition, les séquences de nuit ont du mal à maintenir la même rigueur, affichant dans les noirs les plus profonds, saturations et oscillations. À moins que cela ne soit l’arrivée de la femme des neiges et ses ondulations spectrales !
Un constat qui n’est pas à reprocher à Roboto, mais tout simplement au studio nippon en charge de la restauration. Merci à l’éditeur de nous faire découvrir un tel morceau de cinéma oublié sur nos terres.
Alors, certes, des imperfections traversent la toile mais cela reste une belle expérience.
De plus, et nous en sommes ravis, le travail autour des couleurs respecte l’aura général du film et ne va en aucun cas se perdre dans des errances de tonalités saturées. Le froid vous enserre, vous saisit, vous fige.

Son :
La restauration de la piste est de bonne facture avec une belle stabilité, un équilibre agréable entre les fréquences, aucune saturation dans les aigus et de belles profondeurs autour des instruments.
Une réussite.
Suppléments :
- Entretien avec Masayuki Ochiai, réalisateur de Spirits, Infection, Parasite Eve… :
Le réalisateur accompagne le spectateur dans le monde des yokai, clarifie le vocabulaire, présente le mythe traditionnel à l’origine de la femme des neiges et offre des pistes de lecture très intéressante pour se replonger dans l’oeuvre de Tanaka. Une réussite. - «La femme des neiges» par Mary Picone, Maîtresse de conférences de l’EHESS :
Mary Picone aborde les évolutions de la représentation de la femme des neiges dans la culture cinématographique et populaire et offre des sentiers analytiques autour de l’oeuvre de Tanaka.
Une petite mine d’informations précieuses. - Bandes annonce originale
- Bandes annonce Gamera


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