« The Killing Of America » réalisé par Sheldon Renan & Leonard Schrader : Critique et test Blu-Ray

Analyse de la culture des armes à feu, de la paranoïa urbaine et de la montée de folie meurtrière qui a suivi l’assassinat de JFK, le film se focalise sur le déclin de l’Amérique et propose une expérience de cinéma documentaire terrifiante, où les massacres de masse et les tueurs en série ont le premier rôle, avec notamment des entretiens (exclusifs au film) avec Elmer Wayne Henley, Sirhan Sirhan ou Ed Kemper.

Réalisatrice : Sheldon Renan & Leonard Schrader
Genre : Mondo
Pays : Japon, Etats-Unis
Durée : 90 minutes
Date de sortie : 1981 (salles) // décembre 2024 (Coffret Blu-Ray)

La fin d’année 2024, du côté de Potemkine, a été particulièrement chargée et surprenante.
L’éditeur depuis le mois de septembre ne cesse d’exhumer des oeuvres que nous pensions endormies pour de nombreuses années encore, ou bien même à jamais.
En commençant par continuer l’aventure du cinéma muet allemand dans sa ligne éditoriale, avec Le Golem et Les Nibelungen, nos rétines étaient déjà lourdement comblées, mais c’était sans compter sur la renaissance d’un certain Giorgino porté par Mylène Farmer, les retrouvailles avec Jacques Rozier, le miracle d’une intégrale Heimat et puis, point d’orgue… un coffret Mondo Movies.

Le coffret Mondo Movies, faisant par la même occasion renaître l’ouvrage culte sur le sujet Reflets Dans Un Oeil Mort, met à l’honneur quatre pièces importantes du genre : Mondo Cane, Adieu Afrique, The Killing Of America et La Cible Dans L’Oeil.

Nous traiterons ici de l’édition de The Killing Of America, édition contenue dans le coffret Mondo Movies.

The Killing Of America, Une fresque frauduleuse et macabre d’une vitrine mondiale : les Etats-Unis

The Killing Of America fait partie des Mondo Movies se tournant vers l’approche death movies, se détournant de tout exotisme, de tout érotisme et de toute barbarie animalière, préférant construire son empire sur le caractère auto-destructeur de l’humanité.
Ici, la proposition états-unienne, produite par le Japon, propose une fresque post-WWII de la violence qui étouffe et se multiplie année après année sur le sol de la première puissance mondiale, entre armes à feu, politique, racisme et serial killers.

La proposition est réalisée par Sheldon Renan, en compagnie d’un certain Leonard Schrader. Si le premier nom ne nous dit trop rien, celui de Leonard Schrader interpelle vivement.
Et ce n’est pas un hasard car le cinéaste n’est autre que le frère de Paul Schrader -oui oui le scénariste de Taxi Driver et Raging Bull-, réalisateur de Blue Collar et American Gigolo, travaillant les Etats-Unis, sa violence et ses mutations.
Leonard Schrader a d’ailleurs participé à l’écriture de films de son célèbre frère et a régulièrement travaillé avec des cinéastes japonais.

Ca y est le lien est fait, The Killing Of America nous intrigue encore plus, production japonaise traitant de la violence maladive états-unienne, dont Leonard Schrader est le parfait pivot entre les deux étendues.

Articulé autour d’un montage épileptique constitué d’image d’archives, s’étendant du rêve américain aux atrocités commises par le « mass murder » Ed Kemper, le voyage expérimenté est tout aussi captivant que particulièrement sournois. Oui. The Killing Of America est un film dangereux.

Dangereux et malicieux, dans sa manière de croiser images réelles et voix off, The Killing Of America tient son axe narratif autour de grandes lignes menant les Etats-Unis entre politique, star-system, oppression raciste et liberté à grands coups de canon scié.
Se révèle alors face à nous une terre faite de poudre et de flammes, de sang et de complots.
Dans son développement, la proposition tend toujours à mettre en avant une certaine vérité historique à travers laquelle finalement le montage se permet de terribles transversalités, l’ADN même du mondo à vrai dire.
Il est alors tout autant fascinant de plonger dans les souterrains de ce rêve nauséeux, celui de l’oncle Sam, que périlleux, pour garder le juste cap de nos projections mentales, de nos structurations du réel.

En partant des snipers embusqués, des différentes théories autour de la mort de JFK, en jouant avec les zones d’ombre, la guerre du Vietnam et le mouvement hippie, Renan et Schrader ouvrent la brèche de névroses terrifiantes, quittent le champ de l’histoire collective pour plonger au coeur des foyers américains, là où à l’abri des regards le crime pullule, résultante d’un pays ultra-violent et incontrôlable, résultante d’un pays qui compte plus d’armes que d’âmes.
C’est dans ce second axe que la proposition plonge dans un regard déviant, sacrifiant sa construction de la fresque américaine entre politique et ultra-violence pour se murer dans l’impasse terrifiante des serial killers, entre volonté d’être célèbre et psychoses profondes.

Dans son approche des criminels, le film redouble en dangerosité et touche à une triste prophétie devenue réalité, annonçant une certaine appétence actuelle pour les serial killers.
Les séquences sordides s’accumulent et l’écho du récent Coma de Bertand Bonello vient résonner.
A l’esprit remonte ce groupe d’adolescentes, lors d’une conversation zoom autour de leurs meurtriers favoris, dégénérescence moderne qui trouve une zone de contact dans nos propres vies où le moindre de vos collègues possède aujourd’hui un savoir encyclopédique troublant que cela soit sur Ed Gein, Gacy, Charles Manson, Jim Jones ou encore Ted Bundy.
Cependant, le film de Bonello, lui, n’est qu’un terrible constat d’une culture de glorification morbide de la violence. Le film de Renan et Schrader, lui, est une inquiétante obsession, passion pour le crime.
Un élan pour les criminels s’est solidement ancrée depuis plusieurs décennies, tout d’abord par la porte grotesque du cinéma d’horreur, le slasher entre autres, pour finalement se crystaliser avec sérieux dans les thrillers, et toucher un public bien plus large. Dans cette volonté de toujours plus le genre du documentaire choc sur les plus grands tordus de l’Histoire a trouvé sa place.
Un savoir pervers autour duquel, chez Kino Wombat, nous avons de cesse de vouloir nous éloigner.

Mais bien que The Killing Of America vienne à se perdre dans ce flot ahurissant de meurtriers dans son second acte, charnier fait de détails putassiers, le mondo en présence réussit à reconstituer un horizon états-uniens qui interloque, allant des assassinats politiques, JFK, George Wallace et Bobby Kennedy, jusqu’à un pays schizophrène entre banlieue modèle et ghettos hurlants.
Le regard des cinéastes est douteux, le regard spectateur est nauséeux, la proposition tient toutes les promesses en tant que Mondo Movies, et se révèle document pernicieux, entité précieuse.
C’est un voile de lecture des Etats-Unis, une dynamique à prendre en compte, une vérité dérobée, une vérité trafiquée.
Voyez comme l’humain est faible, comme la construction de l’information peut être roublarde, joignant situations éloignées pour construire dans la pensée des relations de causes à effets profondément douteuses.

The Killing Of America propose des images qui à jamais malmèneront votre rétine, vos songes.

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Image :

La restauration proposée était assez inattendue et propose de très beaux résultats, d’autant plus lorsque l’on sait que le mondo est la résultante d’images issues de multiples matériaux plus ou moins maltraités, de copies usées jusqu’aux négatifs originaux, de bandes vidéos à destination de la télévision jusqu’à des photogrammes brûlés.
La restitution est une véritable réussite, le cadre a été nettoyé au maximum, les images en grandes parties ont été stabilisées.
Le travail de la texture pellicule, de la dimension organique de l’image a été conservé. Le voyage est extatique.
Plongez dans ces archives surprenantes.

Note : 8 sur 10.

Son :

Stereo DTS MA // Anglais

La piste en présence est particulièrement stable, la voix off a sa juste place pour laisser rugir le réel, sans jamais saturer et parvient à donner une belle ouverture à travers ses accompagnements musicaux.


Note : 7 sur 10.

Suppléments :

Présentation et Analyse de séquences par Sébastien Gayraud : Dernière intervention d’un des auteurs de Reflets Dans Un Oeil Mort, du fait d’être le plus récent Mondo du coffret.
Sébastien Gayraud apporte une clarification à la ligne de pensée de The Killing Of America, remet en contexte certaines images et aborde le travail des deux cinéastes, image à l’appui. Rapide et efficace.

Pour plonger dans la jungle Mondo, une seule voie :

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De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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