Le père d’une famille très pauvre vole l’argent du ménage sous le matelas et s’enfuit par la fenêtre. La mère part furieusement à sa poursuite… jusque dans le musée où l’homme s’est réfugié.

Aquarelle se déroule au sein d’un foyer désargenté dans la Géorgie rurale, espace périphérique sous couverture URSS.
Une femme et son mari se disputent sous les regards tout aussi curieux qu’inquiets des enfants de la maisonnée.
L’homme souhaite prendre l’argent durement gagné par son épouse pour boire quelques verres.
Cette dernière refuse. Il dérobe la bourse dissimulée sous le matelas et fuit. Elle le poursuit.
Sur leur chemin, ils traversent une galerie d’art. Sur l’un des murs, une toile les interpelle : un croquis de leur maison.
Premier court-métrage d’Otar Iosseliani, encore étudiant au VGIK, école de cinéma soviétique, Aquarelle porte au regard-spectateur un pays à deux vitesses, entre classes populaires et petite bourgeoisie intellectuelle, deux dimensions difficilement conciliables dans l’utopie communiste.
Le cinéaste pour développer le récit et ses pensées convoque tout un panel d’expressions, confectionne un laboratoire de mouvements et motifs, formant de-ci, de-là, le geste Iosseliani.
Le jeune cinéaste questionne ainsi les strates sociales et les écarts entre chacune d’entre elles, espace idéologique trouble et adéquat pour manipuler les différents publics.

Otar Iosseliani joue sur les stratifications sociétales, les relations impossibles entre les classes sociales, l’errance du rêve soviétique et questionne la structure pyramidale ainsi que le traitement de l’information dans le pays, la manière que le sachant a de déformer la réalité pour mieux endormir la conscience, pour solidifier les destins et empêcher les affranchissements.
La caméra, elle, se permet de glisser entre les mondes, de laisser suinter la pellicule jusqu’à déformer les nuances, laisser couler la toile pour finalement révéler progressivement la pensée-impasse d’Iosseliani, jusqu’à ce que le mensonge du galeriste sur la condition des plus démunis deviennent une vérité.
En pointant du doigt cette structuration sociétale, le réalisateur met en avant sa manière satirique de s’exprimer, de soulever des impasses et des castes, loin de l’idéal soviétique initial.
Il trouve à mi chemin entre le drame et la comédie, la modernité des mouvements de caméra et les mécaniques burlesques du cinéma muet, un juste terreau pour tenir à la fois la forme et le fond.
Un enchaînement plus ou moins appuyé d’académismes qui dans la rencontre des formes devient un mouvement étrange et nouveau.
Dans ce regard face à la toile, regard confrontant le réel au caractère figé de la galerie, la représentation et le représenté, une passerelle étrange se joue dans l’image que la société véhicule, une projection aux faisceaux déformés, ouvrant la voie au futur Les Ailes de Larissa Chepitko, et laissant transparaître le fantasme du mythe.
Aquarelle observe ce mouvement de construction des images mentales frauduleuses, hypnose permettant un terrible aveuglement populaire.
Un intrigant premier pas, encore fougueux mais d’une justesse foudroyante.

Image :
Restauration assez miraculeuse du premier court-métrage d’Iosseliani, Aquarelle propose un cadre particulièrement bien nettoyé et une stabilité pour la moins convaincante. Le rendu argentique est mis en avant et le niveau de détails est assez agréable.
Il est bien rare d’avoir de telles restaurations pour les courts-métrages étudiants, surtout lorsque ceux-ci ont bien plus d’un demi siècle.
Son :
Piste stable et convenablement nettoyée, balancée.
Un rendu assez simple et adapté.


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