Un jeune homme voyage en train pour rendre visite à son père mourant. Il se souvient du passé et a des visions étranges.

| Réalisaeur : Wojciech Has |
| Acteurs : Jan NOWICKI, Tadeusz KONDRAT, Irena ORSKA, Halina KOWALSKA, Gustaw HOLOUBEK |
| Genre : Drame Expérimental |
| Pays : Pologne |
| Durée : 124 minutes |
| Date de sortie : 1973 (salles) // 8 janvier 2025 (ressortie France) |
Jozef se rend en train chez son père mourant, dans les wagons, à ses côtés, une population polonaise usée, agonisante, en passe au dernier grand voyage.
Une fois arrivé dans la grande bâtisse-ruine familiale, son paternel est au seuil de l’au-delà ou peut-être est il déjà parti. Les murs suintent entre mélancolie et effondrement.
Le temps se distord, les réalités se chevauchent : celle du corps, celle de l’esprit.
Les corps s’affaissent, se rigidifient, se décomposent.
L’esprit, quant à lui, s’évade, se joue du temps, donne un regard vertigineux sur l’histoire d’une famille, son patrimoine et une Pologne en constant ballottage entre forces limitrophes invasives.
Wojciech Has ouvre son voyage au lendemain de la seconde guerre mondiale, au coeur d’une famille juive, dans une Pologne renaissant géographiquement mais portant des stigmates séculiers.
Les blessures politiques et sociales ayant fait moduler les frontières cisaillent la pellicule. La caméra plonge dans la carcasse d’une douloureuse épopée.
La Clepsydre autopsie plusieurs siècles d’écartèlements, d’oppression, de guerre et d’espoirs déchus.

D’un cadre à un autre, d’un parent à un autre, d’un motif à un symbole, Wojciech Has propose un agile labyrinthe visuel expérimental s’aventurant dans des décennies et siècles de récits enfouis, oubliés, résonnant néanmoins, sourdement, dans la chair des descendants, condensant un fardeau difficile à supporter.
Des colonies à l’exode en Amérique latine sous régime germanique, des casques à pointe aux communautés hébraïques, de l’espoir à l’anéantissement, des corps qui s’offrent aux charognes qui se tordent, La Clepsydre est une fascinante et insaisissable chimère historique et cinématographique.
En deux heures de temps, Wojciech Has parvient à mener à bien son dédale civilisationnel, circulant entre les régimes, les mouvements de population, les terreurs, les structurations, les effondrements et les délitements glissants hérités sur plusieurs périodes.
La Clepsydre nécessite cependant un minimum de connaissance sur l’histoire du pays, pour ne pas se faire dépasser par le flot d’images, sa communauté ashkénaze et les conflits perpétuels faisant passer la Pologne de plus grand pays européen à spectre.
Le champ poétique du macabre s’offre une danse troublante accompagnant le regard spectateur d’un tableau à un autre, d’une hallucination à une autre où chaque détail du cadre est espace narratif à explorer.
La proposition du cinéaste est particulièrement intense poussant le spectateur à devenir explorateur, à tailler son regard par un prisme tout aussi tarkovskien que baudelairien. Wojciech Has travaille les champs surréalistes, fait de la parole des énigmes, fait de l’image un mystère à résoudre.
Une acrobatie lyrique et narrative qui nécessite une imagerie et des gestes hors normes. C’est justement ce qu’offre le cinéaste

En constant mouvement, rappelant l’hystérie hypnotique de Sur Le Globe D’Argent réalisé par Zulawski, La Clepsydre offre des séquences hallucinatoires d’une majestueuse décadence.
En suivant le parcours de Jozef, tombé au plus profond de sa généalogie, dans la fange et la structuration de ruines qu’il arpente dans son présent, une fresque d’instantanés imprime la rétine.
Le Miroir de Tarkovski se rappelle à nous, dans ce patchwork mémoriel traversant le subconscient, mais aussi la technicité d’Alexei Guerman ou encore les exhumations historico-poético-politiques de Miklos Jancso. Et pourtant, une grande part de ces oeuvres et filmographies sont postérieures à La Clepsydre, qui rappelons-le fête cette année ses 52 ans.
C’est alors que le vertige se décuple car la réalisation de Wojciech Has n’a pas vieilli, et plus surprenant encore, cette dernière conserve son statut d’avant-garde comme création qui n’a pas encore été entièrement digérée par la cinéphilie mondiale, comme oeuvre qui semble d’ailleurs d’une éternelle modernité.
La Clepsydre est un dédale sans autre pareil, une perdition généalogique pour révéler toute une nation et ses peuples, entre exil, exode et génocide.
Un plongeon surréaliste sur plusieurs strates générationnels pour prendre conscience de son être, sortir d’une fange vorace et espérer exister par-delà des amoncellements de cicatrices héritées.
Wojciech Has signe un des plus ingénieux et prodigieux films qu’il vous pourra être donné de voir dans votre existence.
Une oeuvre majeure du septième art et un cri déchirant, entre nuit et brouillard, pour la Pologne, ses récits souterrains et la conscientisation des multiples galeries sur lesquelles repose toute une population. Monumental.



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