Iris a récemment débarqué à Séoul. Pour faire face à ses difficultés financières, cette femme, qui semble venir de nulle part, enseigne le français à deux sud-coréennes avec une méthode bien à elle.

| Réalisateur : Hong Sang-Soo |
| Genre : Récit Initiatique |
| Pays : Corée Du Sud |
| Durée : 90 minutes |
| Date de sortie : 22 janvier 2025 |
Iris, la soixantaine, déambule dans Séoul au rythme de verres de Makgeolli, alcool de riz à la substance laiteuse, dans une fine ivresse et sans attache particulière. Elle vit chez un étudiant avec qui elle a tissé une belle amitié.
Face à la nécessité de gagner sa vie et ne pas uniquement dépendre de son jeune ami, Iris se met à enseigner le français.
Sa méthode est peu commune. En échangeant, en anglais, avec ses élèves, elle tente de saisir des émotions de vie, des errances poétiques, suffisamment fortes pour poser sur papier, en français, le ressenti de l’élève. Le français devient langue émotionnelle et onirique, mantra à répéter et à assimiler.
Loin de la théorie, de manière non conventionnelle, l’arrivée d’Iris dans la vie d’une jeune étudiante, d’une femme mariée et de l’ami l’accueillant, va ouvrir des passerelles inattendues, faire osciller des chemins de vie.
Troisième collaboration entre Hong Sang-Soo et Isabelle Huppert, cette nouvelle déambulation se fait somme de deux premiers films entre le cinéaste sud-coréen et l’actrice française.
La Voyageuse, en cela, se trouve quelque part entre In Another Country, qui offrait trois possibilités d’échappées coréennes à Huppert dont le destin dépendait de la plume d’une jeune autrice, et La Caméra De Claire, hommage rohmerien direct, où l’actrice capturait des visages avec sa caméra offrant à ses derniers par le biais de la rencontre, par le biais d’un instantané sur pellicule, d’emprunter de nouveaux sentiers existentiels.

La Voyageuse travaille ainsi sur trois tableaux, trois foyers, trois langues, mis à l’épreuve de la sensibilité et de la singularité d’une Iris flâneuse.
Le personnage pensé par Hong Sang-Soo est écrit tout en improvisation, au fur et à mesure des journées de tournage, selon la méthode traditionnelle du réalisateur.
Iris renvoie à des personnages traversants et révélateurs et l’on pense fortement à l’inconnu dans le Théorème de Pier Paolo Pasolini, individu qui va pousser à une introspection profonde les personnages du récit qu’il rencontrera.
Hong Sang-Soo fait d’Isabelle Huppert un mirage de cinéma entre prisme de lumière et entité solitaire à la profonde mélancolie.
Elle incarne à merveille la notion de Han, difficilement traduisible mais pouvant renvoyer à un concept connexe au Spleen baudelairien.
Les intérieurs traversés et les marches dans la ville révèlent deux facettes des protagonistes en présence : l’image sociétale et l’image intime.
Néanmoins, et attention Hong Sang-Soo en a conscience, l’individu sociétal transparaît bien plus souvent dans l’intimité du domicile que dans le parcs de la ville.
L’extérieur appelle à la découverte, au hasard, à se donner à des énergies en dehors de tout contrôle.
Dans cette interstice de liberté, la poésie traverse l’image entre conscience et exploration. La liberté, ici, se trouve dans la capacité à se livrer à l’inconnu. La fiction touche à un réel extra-sensoriel.
Un jeu de corps, de position et de geste se structure, sous l’oeil épuré et d’apparence simpliste du cinéaste.

Entre statismes et mouvements révélateurs se dévoile un jeu langagier, propre à la grammaire Hong Sang-Soo, accédant ici à des latéralités particulièrement originales mêlant coréen, anglais et français.
La proposition s’éprend de concepts propres à chaque culture, et trouve un point d’union, une passerelle poétique ingénieuse dépassant l’image, le récit, l’atmosphère et parvenant à se répercuter directement dans les pensées et inconscients du spectateur.
Pour faire naître l’échange, et le travail de maïeutique, Hong Sag-Soo revient à une structure humaine lui étant chère : le triangle. Que cela soit le couple et Iris, la jeune étudiante, le souvenir d’un père et Iris, ou bien le jeune ami, sa mère et Iris, il y a constamment la présence de cette formation trinitaire pour faire éclore la pensée de manière aussi limpide que stimulante.
Certaines évidences mises en mot, traduites, légèrement dénaturées, font naître des horizons hybrides qui font la langue du cinéaste, un espace créatif avec ses propres codes, termes et vibrations.
Les strates langagières livrent un secret.
Le réalisateur tisse un territoire de cinéma où chaque oeuvre est une infime parcelle de fresque, et où La Voyageuse pourrait bien se faire clé de voûte, indice fondamental pour repenser toute une filmographie.
Au fur et à mesure de l’écrit de cet article, la justesse de ton et d’écriture du nouveau film d’Hong Sang-Soo se sont précisées derrière ma plume.
Par-delà cette déambulation rohmerienne, aux aspects simplistes et à la narration suspendue, se cache une création d’une audace fascinante, un sommet dans l’expression épurée du cinéaste, jouant de légères variations dans ses motifs.
Hong Sang-Soo, cinéaste passionné par Ozu, Bresson et Rohmer, continue son parcours de sculpteur, philosophe et poète.
Isabelle Huppert, quant à elle, y est radieuse, magnétique, entre enseignante onirique et corps spectral entre roches et feuillages, s’affranchissant de ses prodigieuses et glaciales interprétations européennes.
La Voyageuse, dans sa rencontre des cinémas, dans son hybridation des performances, dans son aura presque minérale, se fait détail obsédant d’une toile avoisinant les quarante oeuvres en près de trente ans de carrière.
Un poème, de l’ordinaire, extra-ordinaire.



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