Mot de l’éditeur : Tourné à Haïti en 1971 sous le régime du dictateur François Duvalier, Les Négriers (Addio Zio Tom) est peut-être le plus choquant de tous les mondos réalisés. Le journaliste Jacques Zimmer écrivait d’ailleurs dans La Saison cinématographique 74 : « Rarement le cinéma a été plus loin dans l’insoutenable ».

Réalisatrice : Gualtiero Jacopetti & Franco Prosperi
Genre : Mondo
Pays : Italie
Durée : 135 minutes (version longue)
Date de sortie : 1971 (salles) // décembre 2024 (Combo Blu-Ray/4KUHD)
Le paysage éditorial hexagonal a connu fin 2024 un véritable séisme en exhumant les mondo movies.
Mais qu’est ce que le mondo movie ? Ce genre rencontrant actuellement une seconde vie du côté de Potemkine, avec un coffret dédié au genre, ainsi que du côté de Le Chat Qui Fume, avec la sortie 4K UHD de Les Négriers.
Maxime Lachaud et Sébastien Gayraud ont une manière de présenter la bête : « Le principe du mondo est simple: ramener des séquences insolites et spectaculaires des quatre coins du globe et les rassembler autour de thématiques, de villes ou de pays à grands renforts de voix off volontiers moralisatrices et de musiques symphoniques. »
Après avoir exploré Adieu Afrique, documentaire-choc sur l’Afrique et l’ère post-coloniale, et The Killing Of America, montage à base d’images d’archives autour de a violence aux Etats-Unis, il est temps de se diriger vers l’une des propositions les plus perturbantes de cette expression cinématographique nauséeuse avec Les Négriers, docu-fiction choc autour de l’esclavagisme.
Les Négriers,
pamphlet douteux de Jacopetti et Prosperi
Jacopetti et Prosperi, après avoir mis à l’épreuve les rétines, morales et consciences de milliers de spectateurs avec Mondo Cane, puis Adieu Afrique, font leur retour au début des années 70 avec un curieux essai : Les Négriers.
Egalement nommé Goodbye Uncle Tom, il s’agit d’un docu-fiction choc sur l’esclavagisme et ses répercussions sur la société états-unienne moderne.
Une fresque acide, et lourdement subjective, se tisse, allant des champs de cotons aux Black Panthers.
En quelques séquences de reconstitutions, en quelques déclamations du narrateur, l’objet se clarifie.
Un complaisant cauchemar est en train de naître fait de racisme -masqué sous le fard de la dénonciation-, de violence gratuite, d’humiliation et de haine.
L’objectif de la fumeuse entreprise : faire de l’esclavagisme une expérience de cinéma.
Avec ce nouveau voyage caustique, le duo met en scène une narration ne cessant d’aller et venir entre les 70s et le 19°s, jeux de miroir douteux où les descendants d’esclaves sont classés, entre adaptés et inadaptés sociétalement, rebelles et collaborationnistes.
Deux mondes s’opposent celui des blanc, celui des noirs.
La fumisterie est lancée.

Le fond de commerce en présence est avant tout une réserve amère mettant en scène sévices et supplices. Nous sommes peut-être devant l’oeuvre la plus extrême et décadente du cinéma italien des années 70.
La sadique proposition prend un étrange plaisir voyeur dont elle essaie toujours de se dédouaner à grand renfort de contre-points illusoires, moquant et offrant un portrait grotesque, écœurant, des blancs.
Jacopetti et Prosperi se mettent à distance, en crachant sur le moindre être humain, esclave comme tortionnaire, pour pouvoir observer avec un oeil crasseux les conditions de vie abominables des esclaves, s’amusant avec le montage.
La proposition devient vaseuse ne sachant plus si la caméra saisit la volonté de dénoncer ou plutôt de se délecter d’outrances graphiques.
Mais s’il y a bien une dimension qui pousse le malaise dans de rares proportions c’est bien la dualité entre le spectacle hallucinant, filmé avec une maîtrise stupéfiante, et les conditions de réalisation de telles séquences.
Tourné à Haïti sous le régime abject du dictateur François Duvalier nous en venons à questionner le consentement des milliers de figurants en présence. Le regard de ces derniers est en proie à une certaine panique, peur. Finalement, Jacopetti et Prosperi tournent un film sur l’esclavage et dépassent le critère de la reconstitution. Les cinéastes reproduisent l’horreur, invoquent à nouveau l’esclavagisme qu’ils étaient venus « documenter ».

Les cinéastes n’hésitent à mettre à mal enfants, ainsi que nourrissons, et cela sans trucage.
Ainsi, durant une scène où les esclaves sont nourris comme des cochons dans de gigantesques bacs, un bébé vient à tomber dans la nourriture et la scène de gavage continue de manière névrotique. Une scène parmi tant d’autres où seront passés en revue toutes les latéralités de l’ignominie allant du trafic d’êtres humains de tous âges à la prostitution ainsi qu’aux divers châtiments réservés aux uns et aux autres en fonction des propriétaires.
Les images sont d’une rare puissance et la mise en scène outrepasse les limites de l’acceptable, tout du moins pour le regard Kino Wombat.
Les Négriers est une oeuvre qui n’a cessé de moduler dans ces montages, la censure s’en est donné à cœur joie, allant de copies s’étalant entre 79 minutes et 145 minutes, du simple au double.
La proposition qui est ici faite remplie toutes les attentes du mondo sauce Jacopetti et Prosperi, à savoir créer de l’image choc en tentant de documenter un espace, un temps, avec un moralisme crasse, quitte à créer de nouveau l’horreur, quitte à ne pas jouer l’artifice, le cinéma, en balafrant le réel.
Ici, toute éthique documentariste meurt.
Reste que découvrir aujourd’hui Les Négriers est un moment singulier, un défilé sordide, témoignant d’un temps, d’une mentalité et d’une palette outrancière ahurissante.

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-ray 4K UHD
Les Négriers intègre la collection scanavo avec fourreau de l’éditeur et a le chic de proposer un tirage à 500 exemplaires de copies 4K UHD.
Le travail éditorial et visuel est comme toujours une grande réussite, que cela soit la terrifiante illustration du fourreau, que ce glaçant regard du boîtier Scanavo. On retrouve la pâte visuelle de notre bien-aimé Frédéric Domont.
Image :
Pour notre part, nous avons visualisé le film via le Blu-Ray 4K UHD, et afin de documenter le résultat du disque Blu-Ray nous avons parcouru de manière succincte le film.
Nous n’étions pas prêts à enchaîner deux fois un tel lot de souffrances.
La restauration, très certainement à partir du négatif original, est resplendissante. Il y a presque l’impression d’un tournage actuel, saisi en pellicule. C’est un véritable acte de résurrection.
Le niveau de détails est impressionnant, donnant une profondeur dingue à l’image, avec un traitement de l’image argentique d’une grande réussite.
Les conditions de découverte de Les Négriers sont ainsi tout autant recommandables en Blu-Ray qu’en 4K UHD. Une belle berlue !
Reste que l’édition 4K UHD atteint des niveaux de justesse dans sa palette colorimétrique qui font froid dans le dos, avec des nuanciers hypnotiques fichant presque un petit vertige.
Son :
De même que pour le traitement de l’image, le son connaît un travail remarquable, du fait de la voix off captée à l’époque et studios ainsi que d’une bande son particulièrement resplendissante.
Les seuls tiraillements relèvent de rares captations ambiantes, mais il s’agit de bien peu de choses.
Suppléments :
Le Chat Qui Fume a mené un riche travail en matière de contenus additionnels. Et c’est d’ailleurs plus que nécessaire lorsque l’on se trouve face à une œuvre aussi rance que Les Négriers. La nécessité d’ENFIN documenter sur les cinéastes, le tournage et les caractéristiques du mondo movies, assez de cheminements de pensée pour venir encadrer le monstre.
Kino Wombat reviendra régulièrement sur l’article pour détailler le contenu des différents suppléments.
• L’importance de ne pas être commode, documentaire de Andrea Bettinetti sur Gualtiero Jacopetti (1h31)
• L’Anti-documentaire, entretien avec Maxime Lachaud (50 min) :
Retour sur le concept du mondo, ses origines, ses caractéristiques, bref tout ce que vous avez à savoir sur le genre par le plus passionnant et grand connaisseur en la matière. Les 50 minutes filent sous une plus de références et de notions éclaircies.
• Il mondo politico di Gualtiero Jacopetti e Franco Prosperi, analyse du Mondo par Cinéma et Politique (19 min) :
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