Egisthe le tyran fit célébrer par son peuple le quizième anniversaire de son règne. Il y a exactement quinze ans qu’il a tué son frère Agamemnon et qu’il s’est emparé de son royaume.
Au cours des festivités, on a la possibilité de dire la vérité, mais seule Electre, la fille d’Agamemnon s’en sert. Elle proclame, en face d’Egisthe les crimes de celui-ci et déclare que son frère Oreste, viendra se venger.

| Réalisateur : Miklos Jancso |
| Acteurs : Mari Törőcsik, György Cserhalmi, József Madaras |
| Genre : Drame |
| Pays : Hongrie |
| Durée : 70 minutes |
| Date de sortie : 1974 |
Après le texte d’Euripide, puis de Sophocle, et le drame bourgeois de Giraudoux, Electre connaît en Hongrie une nouvelle variation pensée par Laszlo Gyurko et portée à l’écran par Miklos Jancso.
A dire vrai, cela fait des années que je me devais de découvrir le film et que j’attendais le juste moment pour m’enfoncer au cœur de ce dédale politique familial à la lumière déclinante.
Dans le tumulte politique mondial que nous traversons, la réflexion de Miklos Jancso tombe alors à pic.
Le cinéaste hongrois met en scène la pièce de théâtre en continuant à développer son geste singulier entre cinéma de plaine, déstructuration des totalitarismes et questionnement du mouvement allant du statisme à la marche.
Dans une plaine qui semble infinie, entre horizons flamboyants et déserts geôles, Jancso installe sa grande parade, celle du peuple opprimé, du dictateur et de sa cour.
Au cœur de ce maelström auto-destructeur fait de peur et d’humiliation réside Electre, nièce et compagne du tyran, poussant le peuple à s’éveiller, à clamer sa liberté.
Au loin, où l’infini devient mirage, l’attente prophétique du frère, Oreste, se fait de plus en plus grande, espoir d’une libération possible d’un oncle fétide.
Dans sa manière de représenter le pouvoir et ses chaînes d’oppression, le réalisateur hongrois prend appui sur une forme féodale.

Pour Electre est tout autant miracle de mise en scène que stupéfiant travail philosophique.
Dans un enchevêtrement de plans séquences, et de chorégraphies portées par des centaines de figurants, Jancso fait de l’épure des décors un grondement et des ondulations des corps un tremblement.
L’histoire des régimes qui ont traversé et transpercé la Hongrie transparaît.
En donnant une vision de la société sans constructions, sans logements, à l’exception de l’unique ruine faisant office de palais de justice corrompu, la proposition s’engage dans une mise à plat du système, mettant l’entièreté de la population et permettant au regard spectateur de saisir par ricochets les conséquences des échanges, décisions et actes, du pouvoir décisionnel au peuple.
Il est important de garder l’œil éveillé car c’est dans les détails que la naissance de transitions fondamentales s’opère.
Dans ce transcendent jeu de domino, on en vient continuellement à jouer de calque avec nos propres constructions étatiques, à emprunter des gestes pour les souligner avec nos propres rapports aux décisionnaires qui gouvernent le monde.
La déconstruction visuelle, qui rappelle le postérieur Dogville de Lars Von Trier dans sa lecture de la localité par transparence, et institutionnelle, prend place dans un terreau réflexif extrêmement stimulant, et ce, même près de cinquante ans après sa sortie.

Jancso s’en prend tout autant aux dynasties déliquescentes, familles pourrissantes, qu’aux dirigeants tyranniques, parvenus par jeux d’influences, et amplifie les gestes tortueux des prédécesseurs soit par désir de vengeance, soit par volonté de s’affirmer. Le pouvoir devient un conglomérat de colère et de peur.
La caméra a une amplitude dans ses mouvements troublante et parvient en quelques minutes, parfois secondes, à dépasser le verbe pour faire de l’image une parole immuable. Aux quatre coins de l’image, l’absence de liberté mène les oiseau à devenir captifs, les paons à cacher leurs plumages.
Les secrets sont glissés à la rétine du spectateur sous la forme d’un ballet que rien ne paraît pouvoir arrêter, fine création d’horloger.
La maïeutique module autour du temps et des régimes successifs, chimères insaisissables, aux tempéraments divers, aux mécaniques changeantes, faisant fluctuer les libertés du peuple, façonnant insidieusement la lumière dans les ténèbres, ou les ténèbres dans la lumière.
A travers les motifs de la tragédie grecque, Jancso, finalement, n’appelle plus qu’à une seule direction : la révolution.
Pour Electre est une merveille de cinéma, mais c’est aussi bien plus…
Pour Electre est un nécessaire et incontournable espace réflexif faisant reposer sur les mécaniques de la tragédie grecque l’entièreté de nos structures politiques et humaines modernes.
Aussi captivant, de par sa mise en scène, que terrifiant, de par sa clairvoyance, Miklos Jancso développe ses réflexions passées, on pense fortement au régime totalitaire de Les Sans-Espoirs.Il porte à nos consciences une pierre aiguisée que désormais nous ne pouvons nous empêcher de porter, une source de plaie essentielle pour distinguer les impasses à venir, pour essayer au mieux de tendre vers la liberté celle de l’esprit, du corps et de l’humanité entière, réservée encore de nos jours à de cafardeux dirigeants.



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