« Maria » réalisé par Pablo Larraín : Critique

La soprano américano-grecque Maria Callas se retire à Paris après une vie glamour et tumultueuse aux yeux du public. Dans ses derniers jours, la diva s’interroge sur son identité et sa vie.

Réalisateur : Pablo Larraín
Acteurs :  Angelina Jolie
Genre : Drame
Pays : Allemagne, Italie, Etats-Unis, Emirats Arabes Unis
Durée : 123 minutes
Date de sortie : 5 février 2025 (salles)

Pablo Larraín, le cinéaste-portraitiste

Pablo Larraínces dernières années s’est spécialisé dans le biopic à l’esthétique papier glacé.
Une discipline qu’il contrôle pleinement. Film après film, il s’embarque dans l’intimité d’icônes de la seconde moitié du XX° siècle afin de sonder les grondements et énergies transperçantes qui font, mais aussi détruisent, ces personnalités incontournables, qui font, mais aussi détruisent, un monde aujourd’hui révolu.
Après le portrait entêtant sur Jackie Kennedy, la spirale infernale sur Lady Diana ou encore le conte vampirique autour de Pinochet, le cinéaste chilien s’embarque en direction d’un grand mirage : Maria Callas.

Comme à son habitude le réalisateur ne vient pas couvrir l’histoire mais plutôt l’intime, l’humain derrière le mythe, les fêlures et les chaos.

Maria, L’Histoire d’un Astre déclinant

Direction Paris. 1977. Le grand appartement bourgeois de la Callas. Sept jours avant son trépas.

En prenant comme marqueur les sept jours nécessaires pour créer le monde, par Dieu, Pablo Larraín ici s’engage sur la voie de la déconstruction du personnage de la Callas pour mieux saisir l’âme tremblante et oubliée de Maria, le temps d’une semaine synthèse.
Tout en dualité entre désirs opératiques et corps qui flanche, le voyage embarque au cœur des étirements émotionnels et physiques d’un être devenu lumière, d’un astre, qui en 1977 décline.

La caméra, elle, filme l’éclipse, ce retour hors de la scène et cette perte, la plus grande, celle de la voix.
Quatre années éloignée du public suffisent pour redouter l’oubli, n’exister qu’à travers la fragile perfection d’un sillon et dissocier dans la pénombre la silhouette d’une faucheuse.
Pour survivre, la tangente mise en place n’est plus la fuite, car comme le dit Maria : lorsque tout le monde nous connait il est devenu impossible de fuir. Pour survivre, ici, la tangente mise en place est la dénaturation du réel, l’oubli de l’être dans les limbes du subconscient.
L’armoire à pharmacie est pleine, les pilules de toutes formes défilent.
De l’hallucination à la rechute, de l’espoir à la mélancolie, la nécessité de nourrir le rêve vient par le sacrifice de ce qu’il reste de la psyché et du corps.
Maria ne veut pas devenir pièce de musée, elle veut être l’opéra.

Reflets intimes. Modulation du réel. L’Épreuve du temps.

Entre miroir secret, la mémoire tortueuse, et modulation du tangible, l’emprise des psychotropes, Pablo Larraín tisse un portrait fluctuant, si ce n’est un spectre, de Maria Callas.
Une approche sensible et juste, qui s’embarque cependant dans des réflexions mémorielles trop convenues, et parfois même d’un morne académisme.
La saisie du présent est grandiose, le reste est discutable.

Dans le salon, qui n’accueille plus personne, entretenu par la gouvernante, interprétée par la très juste Alba Rohrwacher, et traversé par le majordome, joué avec génie par Pierfrancesco Favino, une équipe de cinéma pénètre pour tourner un documentaire : Marias Callas, Les Derniers Jours.
Le réalisateur du tournage se prénomme Mandrax. Mandrax… Mandrax… Mandrax…
Est-ce un jeune homme cinéaste ? Est-ce le nom d’un comprimé ?

Mandrax est fruit de démence, Mandrax est le témoin d’un adieu.

La cantatrice est seule, face à son héritage, se raconte, regardant droit dans les illusions une chimère tenace, revenant sur des épisodes marquants de son existence et des ressentiments oubliés.
Le flacon se vide, l’enveloppe charnelle s’amoindrit.

De la Supernova Angelina Jolie à l’Impasse Pablo Larraín

Angelina Jolie dans le rôle de Maria Callas est d’un magnétisme sidérant.
Elle parvient à créer un tour de passe-passe troublant poussant le regard spectateur à une hybridation, une double réflexion sur la vie de la cantatrice et le temps qui passe, embarquant progressivement les idoles passées.
L’actrice est le soleil de la proposition, une juste chaleur mourante, venant réchauffer la pellicule glaçante du cinéaste.
On ne s’en rend pas forcément compte mais lorsque le décès survient, on en vient à ressentir un vide, un arrachement. Une supernova vient de brûler nos rétines, désormais dans le ciel un vide s’est créé.
Larraín, dans la direction d’acteurs, mène Angelina Jolie dans des terres qui dépassent allègrement ses performances habituelles.
Larraínfait d’Angelina Jolie Maria Callas. Angelina Jolie, elle, scinde sa performance entre Maria et Callas invitant à un jeu d’écho hypnotique.

Pablo Larraín, quant à lui, avec ce nouveau biopic, souffre de la même impasse rencontrée dans ces autres créations : son caractère prétentieux.
Le cinéaste regorge de belles idées, de contre-points historiques judicieux, mais se laisse trop souvent embarquer par l’amour de sa photographie, par son égocentrisme, et structure des créations souvent amères, effleurant un sujet pour finalement n’embarquer qu’en direction de l’exercice de style.
Ainsi, pour créer l’émotion, le film tisse une narration à rebonds temporels assez paresseux, donnant des détails de l’existence de Maria Callas pour appuyer une dimension tantôt misérabiliste, tantôt mollement tragique, la perception nauséeuse d’un faux néo-réalisme, l’artifice grandiloquent de l’opéra au service d’une déambulation craintive.

Quant à la reconstitution historique, Onassis est abordé, de manière assez floue, et là où le souvenir de Médée, ainsi que du spectre Pasolini aurait pu soulever la question de la perte d’un langage culturel et du passage à une ère nouvelle, il n’est rien.
Car finalement, ce personnage de Médée, qui avait été fait sur-mesure est la plus belle interprétation métaphorique de la Callas, mère d’une voix qui lui a été dérobée.

Magnétismes et Errances, Le Théorème Maria

Maria, entre mélancolie, hallucinations, souvenirs pourrissants et rêves entêtants est peut-être le biopic le plus touchant et inspirant du cinéaste, et l’on peut s’en réjouir.
L’invitation au voyage est un étourdissant jeu de magnétisme tenu par une Angelina Jolie titanesque.
Paris défile, ses structures monumentales portent ce corps errant, cette voix meurtrie, Maria Callas, elle, est aux portes d’une certaine éternité, celle des artistes maudits, des poètes.
Pablo Larraín, plein de bonnes intentions rayonne, tout comme il s’embourbe.
Le cinéaste ne parvient pas toujours à garder le fil de son épure, et ne cesse de vouloir nourrir le récit.
Il s’engage pour cela bien trop souvent dans les voies d’un cinéma du souvenir, avec un recours aux flashbacks hasardeux, surenchère douteuse oubliant de laisser respirer son propos dans sa propre temporalité.

Reste l’intelligence de l’auteur, une certaine audace, celle d’agencer les lieux du présent comme pénétration du subconscient, ouvrant la brèche d’une envoûtante lecture psychanalytique.
C’est la piste qui fut la plus stimulante à suivre, bien que loin d’être la plus évidente.

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Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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