« Mondo Cane » réalisé par Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi : Critique et Test blu-Ray

Présenté en sélection officielle à Cannes en 1962, Mondo cane inaugure une nouvelle forme de langage documentaire où la vie humaine est un spectacle absurde peuplé de figurants comme dans une pièce de théâtre.
Rassemblant des pratiques culturelles insolites, macabres ou exotiques filmées aux quatre coins du monde, les réalisateurs ont provoqué le scandale, flouté la limite entre le vrai et le faux et ont annoncé des décennies de documentaires-choc nommés mondos qui peuvent être vus comme des ancêtres de la téléréalité.

Réalisatrice : Gualtiero Jacopetti & Franco Prosperi
Genre : Mondo
Pays : Italie
Durée : 108 minutes
Date de sortie : 1962 (salles) // décembre 2024 (Coffret Blu-Ray)

La fin d’année 2024, du côté de Potemkine, a été particulièrement chargée et surprenante.
L’éditeur depuis le mois de septembre ne cesse d’exhumer des oeuvres que nous pensions endormies pour de nombreuses années encore, ou bien même à jamais.
En commençant par continuer l’aventure du cinéma muet allemand dans sa ligne éditoriale, avec Le Golem et Les Nibelungen, nos rétines étaient déjà lourdement comblées, mais c’était sans compter sur la renaissance d’un certain Giorgino porté par Mylène Farmer, les retrouvailles avec Jacques Rozier, le miracle d’une intégrale Heimat et puis, point d’orgue… un coffret Mondo Movies.

Le coffret Mondo Movies, que nous explorons de façon assez lente afin de le digérer, faisant par la même occasion renaître l’ouvrage culte sur le sujet Reflets Dans Un Oeil Mort, met à l’honneur quatre pièces importantes du genre : Mondo CaneAdieu AfriqueThe Killing Of America et La Cible Dans L’Oeil.

Nous traiterons ici de l’édition de Mondo Cane, édition contenue dans le coffret Mondo Movies.

Mondo Cane,
Le Tour Du Monde En 80 Troubles

S’il n’y en avait qu’un seul à garder, un seul pour les définir et les représenter, il s’agirait alors de brandir Mondo Cane.
Film-amorce de la vague des mondo movies, le documentaire-choc de Jacopetti et Properi installe une manière de créer de l’image pour plonger le spectateur dans un réel troublant mais construit également un vocabulaire de manipulation filmique fait d’instrumentaux orchestraux, voix-off et jeux de miroir aussi judicieux qu pernicieux.

Mondo Cane c’est un peu le tour du monde en 80 jours à grands coups de séquences violentes et outrancières.
A la manière des premiers temps du cinématographe, les cinéastes embarquent pour un voyage à travers le globe pour capturer pratiques, croyances, quotidiens et rituels.
Une certaine approche voyeuriste et compilatoire des déviances culturelles mondiales se dessine.

Préparez-vous, le sentier que vous vous apprêtez à emprunter est périlleux.

Du gavage des oies en France aux fermes à chiens à Taïwan, des processions à base de flagellations dans une Italie rurale à l’atelier dénaturé d’Yves Klein, de l’artificialité de l’American Way Of Life aux reconstitutions trompeuses de tribus amazoniennes reculées, la pellicule défile et ne propose aucune échappatoire, aucune issue face à la démence en présence, démence qui structure des civilisations toutes entières, qui unit et rend captif un peuple, qui oppose et aliène les peuples.
Aucune échappatoire… Ce serait malgré tout ne pas estimer une grande force du cinéma de Jacopetti et Prosperi, savants fous s’amusant à distiller un rythme malade mais hypnotique à leurs spectacles croisant humour noir et horreur, beauté et pourriture. Mondo Cane est magie noire.
Ici lorsque l’on croit enfin respirer, peut-être même sourire, c’est pour avaler une nappe de pétrole toujours plus toxique et étouffante.
Les rictus fondent, déforment le visage, le temps file.
La rétine, elle, a été dérobée au corps, obsédée par ce crapuleux montage dont on ne sait jamais si l’on vient de dépasser le pire, ou si l’on se trouve encore tout juste au pied de la montagne. .

Jeu de piste et théorème humain constitué de fêtes et d’horreur brute, la partition mise en marche ne cesse d’aller et revenir, préfère contraster son avancée irrévérencieuse plutôt que d’organiser son voyage. Un chaos d’un morbide magnétisme opère.
Les reflets oscillent entre bourgeois et prolétaire, urbain et rural, avant-garde et traditions, rituels et routines.
Que l’on soit scandalisé, ou bien fasciné, la réalisation ne peut laisser insensible faisant du regard spectateur le monstre nécessaire pour faire naître cette vorace parade.

Jacopetti et Prosperi capturent un effarant freak show mondial dont tout un chacun est aussi responsable que victime.
L’entreprise est frauduleuse. Elle amplifie, et manipule, les axes de pensée par un cheminement tout en faux-semblants porté par un montage putassier, une mélodie entêtante, signée par le roublard et incontournable Riz Ortolani, ainsi que des images qui ne vous quitteront jamais.
C’est aussi cela la puissance du duo : constituer de séquences et des plans qui hantent, griffent profondément la rétine, violentent nos représentations du réel.

Mondo Cane, en matière de documentaire choc, est un monument incontournable pour quiconque se sentirait prêt à explorer un courant de cinéma dépassant la toile et agressant le spectateur, entre rictus et moralismes.
Jacopetti et Prosperi expérimentent la glaise qui fera leurs réalisations à venir, mécaniques qui seront poussées jusqu’au point de non-retour avec Africa Addio et Les Négriers.

FOU. MONDO.

Les Caractéristiques Techniques de l’Edition Blu-Ray

Image :

C’est un mirage.
La restauration permet à Mondo Cane de ressusciter tout simplement.
Jusqu’alors, nous n’avions vu que quelques images éparses, de piètre qualité.

Potemkine propose un master faisant la part belle à la texture pellicule, avec un grain parfaitement maîtrisé, permettant aux images-chaos de Jacopetti & Prosperi de garder leur intensité.
Le travail de restauration provient très certainement du négatif original.

Le niveau de détails est poussé et la colorimétrie joue de quelques effets de saturations afin de prolonger le caractère outrancier de l’entreprise.
Foncez, c’est beau.

Note : 9 sur 10.

Son :

VOST DD 2.0

Tout comme pour l’image, et du fait d’un son grandement structuré en post-production entre arrangements instrumentaux, bruitages et voix-off, le rendu général est particulièrement bon, et même largement au-dessus de restaurations d’oeuvre de la même époque. Il n’y a ici presque aucune saturation.

On se laisse envoûter, puis emprisonner, entre voix et musiques, et le caractère frontal du calibrage vient à nous affronter de plein fouet, à magnétiser notre attention.

Note : 8 sur 10.

Suppléments :

  • Présentation du film et analyse de séquence par Sébastien Gayraud (11 minutes) :
    Peut-être notre introduction préférée de la part de Sébastien Gayraud, issue du coffret Mondo.
    Ici, l’auteur spécialisé, revient sur les germes du documentaire choc et apporte le juste niveau d’informations pour amorcer la découverte de ce morceau purulent de cinéma.
  • Le salon des horreurs (20 minutes) :
    Maxime Lachaud est de retour… Et nous adorons les interventions, écrits, du monsieur.
    Ici le spécialiste Mondo aborde de manière fournie le genre et ses différentes déclinaisons.
    Il autopsie les ingrédients du Mondo, le vocabulaire distillé dans Mondo Cane, et aborde un cinéma documentaire-choc mondial entre reliques et underground. Génial.
  • Cette liberté de chien (95 minutes) : 
    En compagnie des deux cinéastes, le documentaire aborde le passé de Jacopetti et Prosperi, leur manière de travailler, de concevoir le montage, de penser l’accompagnement et de créer l’image choc.
    Un document particulièrement intéressant, bien que s’essouflant un peu sur la longueur.

Note : 10 sur 10.

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Une recherche d’oeuvres oubliées, de rétines perdues et de visions nouvelles se joue.
Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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