« Le Piège Du Diable » réalisé par František Vláčil : Critique et Test Blu-Ray

Moravie, fin du XVIe siècle. Entre deux ravages des troupes suédoises et des périodes de sécheresse, le meunier Mlynár jouit d’une certaine popularité auprès des habitants de son pays. Il est serviable, et a, en outre, le don de trouver les sources. Le régent Valce, jaloux de la position du meunier, va faire courir des rumeurs sur ce dernier : il ne peut qu’être épaulé par le Diable. 

Réalisateur : František Vláčil
Acteurs : Vítezslav Vejrazka, Miroslav Machácek, Cestmír Randa, Vít Olmer, Karla Chadimová, Vlastimil Hasek
Genre : Drame
Pays : Tchécoslovaquie
Durée : 88 minutes
Date de sortie : 1962 (salles) // Février 2025 (Blu-Ray)

En quelques années, Artus Films a su s’affirmer en sa qualité d’éditeur spécialisé en matière de cinéma tchèque, trop peu mis en avant, espace d’expression quelque part entre le septième art polonais et soviétique, une vision unique et d’avant-garde à (re)découvrir d’urgence.

Après avoir parcouru certaines oeuvres de Juraj Herz, mètre-étalon de l’horizon cinématographique tchèque, l’éditeur français s’est embarqué dans une aventure autour d’un nom aussi confidentiel que culte : František Vláčil.
Artus Films propose à ce jour l’intégralité des créations du cinéaste tournées sous la bannière des studios Barrandov.
De ce fait, nous avons décidé, du côté de Kino Wombat, de plonger dans ce cinéma singulier.

Deuxième arrêt : Le Piège Du Diable.

Le Piège Du Diable,
Laboratoire de Vlacil et miroir du monstre soviétique

Second long-métrage réalisé par Frantisek Vlácil, Le Piège Du Diable s’inscrit dans un cinéma gravitant autour de la sorcellerie et des hypothétiques suppôts de Satan. 
Un mouvement et une thématique récurrente du cinéma tchèque, prenant appui sur le XVIeme siècle pour conter son actualité, celle d’un pays sous le joug de l’union soviétique où une chasse aux non-communistes fait rage. 
Vlácil structure un langage qui mènera à l’immense Marketa Lazarova. Le cinéaste manipule les mécaniques narratives, sculpte le cadre, pousse la parole dans l’impasse pour laisser parler l’image et use des animaux pour jouer de miroir avec la société, le peuple et ses dirigeants. 
Le Piège Du Diable est un merveilleux laboratoire pour le réalisateur, espace à expérimenter, ainsi qu’un superbe recoin à explorer pour toute personne souhaitant voir naître le geste de Vlacil.

En Moravie, région reculée, une famille de meuniers-sourciers dispose du dernier moulin ayant de l’eau, le dernier point d’eau pour soutenir le village traversant une terrible canicule. 
Au lieu de s’en réjouir, le seigneur local à l’orgueil bedonnant fait appel à l’église afin de faire disparaître cette famille qui lui fait de l’ombre. 
Un plan machiavélique entre l’Eglise et la classe dirigeante se tisse, afin d’éliminer les héros populaires et soumettre le peuple à ses diktats.
Où se cache le Diable ?

Au rythme des champs fauchés, des processions, des sermons, de la terre qui craque et des flammes sur la roche traversée par les eaux, un dangereux jeu d’obscurantisme religieux et de structuration des régimes totalitaires se joue, sur le sol glissant constitué par un peuple ignorant. 

Vlacil s’embarque dans une réflexion plutôt simple dans son déroulé mais d’un surprenant tranchant réflexif autour du pouvoir, des masses et des forces traversantes, qu’il s’agisse des héros ordinaires ou des révolutionnaires, des réformateurs ou des moralistes. 
Le propos s’amuse à jouer de balancier entre défendre le bien, le mal, et questionner la notion même de ces deux concepts fragiles, changeants et troubles. 
Une modulation des manichéismes s’engage.

Dans son empreinte visuelle tout comme dans sa narration le long-métrage réussit constamment à instiguer doutes et incertitudes, à jouer d’une structure faussement stable, éveillant la dimension fantastique sans jamais véritablement l’inviter. 
Vlacil convie à une exploration verticale de la société des hautes sphères au Tiers-Etat, des cieux aux grottes dissimulées.
La manière dont la gestion de l’espace est mise en scène apporte une possibilité de lecture, avec pour seule neutralité la ligne de sol, jouant d’énergies entre le dessus et le dessous, le tangible et l’intangible, le politique et le sensible.

Deux expériences peuvent s’offrir, celle d’un récit assez banal, entre l’Etat vorace et le peuple vampirisé, mais aussi celle d’un jeu de piste particulièrement intéressant dans la lecture de ses parallèles inter-séculiers, dans sa manière de faire parler l’image, dans son voyage suspendu aussi vertigineux que claustrophobique.

Au loin, des chœurs dissonants prennent les pensées en étau, créent un phénomène carcéral, une situation d’impasse, menant le regard spectateur dans une tension mentale envoûtante. 
Une agonie ambiante titille nos nerfs.

Le Piège Du Diable est l’amorce de ce que fera Frantisek Vlacic avec Marketa Lazarova et La Vallée Des Abeilles, une invitation au voyage, à l’expédition au cœur de la pellicule, de ses textures, ses nuances, ses contrastes pour dépasser l’intrigue et venir dévoiler d’incendiaires pamphlets.
Un cinéma fait de ténèbres et de miroitements inespérés tend les bras.

Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray

L’édition d’Artus Films reprend la éditoriale de l’éditeur avec un digipack, contenant le film en DVD et Blu-Ray. L’extérieur des volets à l’intérieur du fourreau reprennent la fantastique esthétique des affiches d’époque.

Image :

Contrairement à Marketa Lazarova et La Vallée Des Abeilles, Le Piège Du Diable a quelques marques et présente une restauration reposant très certainement sur des éléments élimés par le temps.
De ce fait il est à noter la présence de nombreuses griffures, fêlures, rayures, marques de raccords et pocs, qui néanmoins n’entachent pas l’expérience spectateur.

L’image, au-delà de ces marques, dispose d’un piqué plus que convenable révélant de nombreux détails.
De plus, le travail des contrastes est plutôt solide offrant une belle lisibilité.
Reste quelques saturations, scintillements et une texture pellicule trop légère.
Le cadre durant le générique n’est pas parfaitement stabilisé mais se corrige très rapidement par la suite.

C’est un véritable miracle de pouvoir poser la rétine sur Le Piège Du Diable, réalisation plutôt rare et nécessaire au sein du cinéma tchèque, incontournable au sein de la filmographie du cinéaste.

Note : 6.5 sur 10.

Son :

Une unique piste son est présente VOST, donc en tchèque.
C’est une piste assez simple mais robuste, avec une clarté agréable des voix et des accompagnements musicaux délivrant de belles dynamiques et rondeurs.
L’ambiance générale se fait entendre.

Note : 7.5 sur 10.

Suppléments :

Deux suppléments sont disponibles sur le disque :

  • « Le Piège de Vlacil » : Présentation du film par Christian Lucas (2024, 24’44”) :
    C’est un véritable honneur que de retrouver Christian Lucas, référence lorsqu’il s’agit de Vlacil.
    Son intervention vient compléter les suppléments présents sur les autres films du cinéaste parus chez l’éditeur, mettant l’accent sur l’histoire, le tournage, les acteurs et l’accueil du film.
    Top.
  • Diaporama d’affiches et photos (1’06”)

Note : 7 sur 10.

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Un espace de recherche, d’exploration, d’expérimentation, du cinéma sous toutes ses formes.
Une recherche d’oeuvres oubliées, de rétines perdues et de visions nouvelles se joue.
Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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