À la recherche de plantes indigènes, nous suivons le botaniste Mark Brown, depuis Aizier jusqu’à Sainte-Marguerite-sur-Mer, chez lui. De la vallée de la Seine, suivant le littoral cauchois en sept promenades, nous filmons les plantes jusqu’à son projet botanique fou : reconstituer une forêt primaire à L’Aube des Fleurs.

| Réalisateurs : Pierre Creton et Vincent Barré |
| Genre : Documentaire expérimental |
| Pays : France |
| Durée : 104 minutes |
| Date de sortie : 15 janvier 2025 |
La côte normande, deux caméras, deux cinéastes expérimentaux, un grand botaniste.
C’est la recette de l’expérience que propose Sept Promenades Avec Mark Brown.
Pierre Creton est poète-cinéaste, artiste plasticien, interrogeant les corps et les espaces traversants-traversés, la ruralité ainsi que les interactions entre le vivant et sa disparition. Son art se juxtapose avec sa rythmique d’ouvrier agricole, en harmonie entre la Terre et les saisons.
Vincent Barré, quant à lui, est sculpteur-cinéaste explorant terrains et espaces sauvages pour porter une réflexion structurelle et architecturale des lieux.
Il ne s’agit ici pas de leur première collaboration.
En une dizaine d’années, leurs chemins se sont croisés à deux reprises pour : N’avons-nous pas toujours été bienveillants ? et Petit Traité De La Marche En Plaine.
Mark Brown, lui, est jardinier autodidacte, botaniste incontournable.
Il part à la rencontre et la recherche de plantes dans l’optique de reconstituer une forêt primaire, espace téléportant renvoyant à l’ère des dinosaures, il y a de cela plusieurs millions d’années
En sept étapes, sept paysages et écosystèmes, le duo de réalisateurs suit Mark Brown, accompagné de certains de ses amis, sur des sentiers plus ou moins côtiers explorant la flore, interrogeant la terre, le climat et la diversité.
Le projet est segmenté en deux mouvements : le temps du tournage, le temps de l’image.
Deux gestes qui convient le regard à ausculter sous des angles différents des espaces communs, croisant plantes, corps et connaissances.
Par le procédé il est possible de capturer bien plus que ce que la première observation pouvait offrir. L’architecture par échos réussit à jouer de narration et porter les réflexions de manière extrêmement active face à un déroulé particulièrement lent et contemplatif. L’enveloppe corporelle s’évade des torrents de stimuli modernes, tend à retrouver son pouls originel, son rythme organique par essence. Un postulat aussi troublant que rédempteur.
Situation méditative rare, cinéma documentaire d’observation, cinéma scientifique de classification, Sept Promenades Avec Mark Brown est peut-être l’une des plus belles offrandes, désintéressée et nourrissante, qu’un humain puisse faire à l’humanité.

En découvrant les coulisses de l’image, de l’herbier, croisant humour, échanges et instants flottants, Creton et Barré poussent à pénétrer dans une approche du temps et de l’espace, invitent à nous dénuer de nos repères temporels et sociétaux.
Ici, il n’y a rien à atteindre.
Ici, il n’y a que déambulation, pensées et présent.
La position spectateur prend la place de la fleur, le sujet est invisible, la structuration des échappées est pavée d’interrogations que l’herbier dans un second temps viendra nourrir.
La flore observable n’était pas et ne sera plus.
L’évolution est lente mais continue, de nouvelles plantes naissent, d’autres disparaissent.
Néanmoins la nature n’est plus seule à dessiner son chemin, il y a lutte face à une activité humaine vorace.
Une étude des sols, des specimens -entre plantes invasives et autochtones-, des atmosphères et de l’entomofaune (la faune liée aux insectes) se révèle.
Un réseau tropique se met en branle, le corps lui tend à s’immobiliser, à ressentir les éléments.
Dans un glissement progressif, et grâce à la dynamique apportée par Creton et Barré, le rapport au monde change, l’oeil se faufile dans la carapace du botaniste, entité organique ne faisant plus qu’une avec les plantes et leurs songes.
Mark Brown est harmonie. Le botaniste est fleur.

Le présent est l’axe dans lequel la démarche invite la réflexion. Pour cela, Mark Brown insiste à chaque promenade sur l’évolution des familles de plantes, l’adaptation à leurs environnements, les causes de disparition et de mutation.
Des marais aux falaises calcaires, des champs aux forêts, un trésor se pâme devant nos mirettes, un ensemble que l’on a tendance à oublier, à force de muer nos sensibilités dans les cités de béton, dans le hors-champ.
A l’arrière plan, les murs s’immiscent dans la nature, il est encore possible d’agir, de connaître ces étendues millénaires avant de broyer notre patrimoine planétaire, notre seule chance de survie.
Mark Brown parvient d’une voix monocorde et mono-rythmique à captiver l’esprit.
Il invite à l’hypnose, non pas pour donner un cour magistral, mais bien pour repositionner nos corps et nos âmes dans la réalité, la seule qui puisse exister, celle émanent de la nature, loin des existences artificielles que l’humanité ne cesse de bâtir et alimenter.

L’apparition d’un savoir, d’une connaissance labyrinthique des plantes, de leurs milieux ainsi que de la faune traversante, par des experts vieillissants fait émerger l’inquiétude de la perdition, tant de l’écosystème, que de ses secrets. La proposition est alors une clé, une impulsion, face à l’oubli.
Un mouvement zen, parfois déconcertant, qui réussit à faire plonger le spectateur dans sa propre intimité, dans son propre rapport à l’extérieur, tout comme à sa nature-même.
Les mondes se chevauchent, les ères s’offrent une accolade, il est le temps de la passation, du miroir mémoriel, entre générations mais aussi entre technologies, le numérique allant à la rencontre de l’argentique pour creuser la pellicule, sonder les mystères d’un monde organique.
Là où la première partie rendait l’audition difficile et la structuration mentale complexe, l’herbier, la deuxième partie, se lit à la manière d’un spectre prolongeant du Sapovnela d’Otar Osseliani.
Dans la naissance d’une forêt primaire, le geste rebelle du jardin de Derek Jarman est exhumé.

Sept Promenades Avec Mark Brown est une invitation à la poésie, au beau, à la déconstruction de forteresses illusoires et industrielles dans lesquelles nos corps ne peuvent et ne pourront jamais prendre racine, et où lorsque l’asphyxie arrivera les susurrements des druides, des botanistes, auront rejoint le silence.
Notre image mentale est alarmante, mais Creton, Barré et Mark Brown, eux, sont plein d’espoir, d’émerveillements, de lumières.
Ils sont nos guides pour ouvrir la conscience.
Sept Promenades Avec Mark Brown est un film thérapeutique essentiel, rappelant la grandeur et la complexité d’architectures naturelles datant de millions d’années, chemins d’une évolution où l’homme n’est qu’une poussière du temps. Stupéfiant.



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