« Les Nibelungen » réalisé par Fritz Lang : Critique et Test Blu-Ray

Siegfried, fils unique du roi des Pays-Bas, se met en route pour obtenir la main de la belle Kriemhild de Bourgogne.

Réalisateur : Fritz Lang
Acteurs :  Gertrud Arnold, Margarete Schon, Hanna Ralph, Paul Richter, Theodor Loos, Hans Carl Mueller, Rudolf Klein-Rogge
Genre : Drame
Pays : Allemagne
Durée : 279 minutes
Date de sortie : 1924 (salles) // Novembre 2024 (Blu-Ray)

Potemkine a depuis quelques années consacré une ligne entière de son activité au cinéma muet allemand, plus particulièrement, et récemment, aux oeuvres de Fritz Lang.
En cela, après avoir pu nous délecter de Les Espions, La Femme Sur La Lune et Metropolis, il est aujourd’hui possible de découvrir, ce qui est à nos yeux la plus grande oeuvre du réalisateur : Les Nibelungen.

Il s’agit très certainement de la sortie la plus importante à nos yeux de ces derniers mois, l’édition qu’il ne faut rater sous aucun prétexte.

Siegfried,
De la mythologie nordique à la création des puissances germaniques

Les Nibelungen, par Fritz Lang, est l’adaptation de poèmes médiévaux et de récits mythologiques nordiques et germaniques.
Le cinéaste allemand travaille en partie la gigantesque fresque de Wagner : L’Anneau Des Nibelungen.

La proposition d’une durée d’environ quatre heures et demi, découpée en deux parties, aborde l’histoire des Burgondes, des forces alentours et mythes tout aussi constructeurs qu’annihilants, entre étendue romantique, destinée tragique et toile guerrière.
Le film est la première réalisation aux élans monumentaux de Fritz Lang.

Les Nibelungen, sorti à l’entre-deux guerres, pousse le peuple allemand à retrouver à la fois son identité et ses racines, à l’heure où le pays est saisi par la misère et le désespoir.
La proposition porte des visions déliquescentes sur les responsables de leur échec durant le premier conflit mondial. L’étranger a une place ordurière, terrain propre aux sortilèges.
La première partie, autour du personnage de Siegfried, représentant tout indiqué du physique aryen, met en évidence la trahison ayant causée la chute du pays mais également la malédiction dorée imputée à la population juive, structurant des peurs, faisant imaginer un réseau souterrain ayant poussé à la déroute l’héritier du Saint Empire Germanique.
Le trésor des Nibelung naît, fortune maudite.

La première partie du film connaîtra un remontage en 1933, et l’insert de nombreux intertitres alternatifs, dénaturant la proposition, et transformant fermement l’oeuvre en spectacle de propagande antisémite.

Face à cette partie introductive, installant les personnages, les relations, les dynamiques du drame et la cartographie de légendes qui gravitent autour d’une histoire plus ou moins fantasmée, l’adaptation en présence se trouve être un sommet tout à la fois de cinéma, de poésie et d’avant-garde.
Tout comme il le fera avec Metropolis, Fritz Lang parvient à constituer de nouvelles dynamiques langagières du cinématographes, de nouveaux arches.
De plus il parvient à esquiver l’hermétisme face au grand public que peut engendrer le cinéma expérimental. Le cinéaste conçoit une oeuvre fédératrice d’une puissance évocatrice aussi rédemptrice que dangereuse.

Chaque chant est une somme de tableau qui marque à jamais la rétine.
De la rencontre avec le dragon aux épopées islandaises, le chemin qu’emprunte la narration dispose d’un rythme stupéfiant et d’un impact intellectuel absolument exquis.
L’or maudit des Nibelungen imprime la pellicule, le seau de l’effondrement, d’un soleil incontrôlable dévore la conscience.
Ce premier acte est autant film politique que cinéma d’aventure, essai fantastique que poème transperçant.
Le travail des corps, de la lumière, ainsi que la coloration de la pellicule font passer d’une émotion à une autre, d’une apnée à un grondement, avec une agilité rarement vue.

Les miroirs entre Allemagne de la fin des années 20 et les récits structurels nationaux ne cessent d’échanger des regards et échos.
Le divertissement croise un lyrisme envoûtant, la tragédie y est parfaitement maîtrisée et la manipulation du moindre mécanisme réussit à pousser le spectateur à s’interroger tant sur l’esthétique, la politique, le poétique et l’élan philosophique.
Lire le cadre est une exploration qui transforme le rapport au temps, à l’image, un envoûtement se construit.

Les deux heures et vingt-neuf minutes de cette première partie filent, ne semblent jamais être assez.
La matière grise est en ébullition, les images sont immortelles.
Rarement le cinéma muet aura connu phénomène si magnétique, effet d’affranchissement du temps et de l’espace.
Siegfried comme entrée dans la fresque Les Nibelungen est immense, tout simplement grandiose.

La Vengeance de Kremhild,
Des flammes à l’Allemagne, fresque vengeresse, destin incendiaire

Des imbroglios sentimentaux aux trépas des héros, l’élan tragique à hauteur des dirigeants du premier temps, faisant en grande partie abstraction du peuple, vient dans cette seconde partie éclabousser la population toute entière.
Les conflits armés grondent, les dissensions entre dirigeants ont appelé à la guerre, la jalousie et le sang, l’humiliation et la trahison, poussent ce deuxième pan du récit à plonger dans le vide, dans un chaos déstructurant à grand renfort d’âmes sacrifiées et de flammes voraces.

La tragédie explose, le drame déchirant de la première partie vient immoler le monde tout entier, celui que Fritz Lang avait pris soin de tisser. L’or mord.
L’Allemagne naît dans ces croisements de peuples, de forces et de désastres.
Là où la première partie avait pu servir a posteriori le régime d’Hitler, cette seconde partie, elle, est annonciatrice d’une chute, d’une impasse, d’une nation en flammes, pourrie par les trésors maudits et volés.

Visuellement, l’anéantissement prenant place est d’une puissance visuelle unique.
Fritz Lang crache les images comme un dragon vomit des flammes. La rétine est admirative, le brasier devient gigantesque feu-follet hallucinatoire, une expérience sensorielle éprouvante vient extirper le spectateur d’une certaine passivité.
La Vengeance de Kremhild est un second miracle de cinéma, un regard conscient, si ce n’est extralucide sur la manière dont les puissances s’élèvent sur des charniers, n’attendant plus que de prendre la suite dans ce macabre festin, afin de passer du vorace au dévoré.

La fresque que constitue Les Nibelungen est à nos yeux un des films les plus importants du cinématographe, une proposition qui, accompagnée de Metropolis, permet d’ausculter les mouroirs sur lesquels sont bâtis nos civilisations et les projections mortifères, qu’appelle le progrès.
Arrêtez-vous, un jour, deux jours, allumez votre téléviseur ou foncez dans votre salle la plus proche, et laissez-vous avaler, digérer, par ces monstres… Le monde n’aura plus jamais la même saveur… Monumental.

L’or mort.

Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray

Image :

Les Nibelungen repart de loin et sa restauration a nécessité plusieurs années à partir de sources diverses.
Potemkine propose un master d’une tenue fluctuante mais de qualité assez surprenante. L’image a particulièrement été nettoyée et le cadre correctement stabilisé.
Les souvenirs d’images passées ont été balayés, et bien que persiste des dégâts inhérents aux copies et négatifs, le niveau de détails est poussé, offrant de très beaux reliefs, textures et ouvrant une certaine profondeur de champ.

Une véritable hypnose opère, les défauts se font oublier rapidement, et le plongeon au coeur de la fresque de Fritz Lang est total.
Nous avons à de nombreuses reprises revues certaines séquences pour se nourrir des prodiges visuels et structurels du geste Fritz Lang.

De plus, le travail des contrastes ainsi que de la colorimétrie est remarquable, l’équilibre est saisissant.

C’est un honneur et une chance extraordinaires que d’avoir face à nos yeux, à portée de main, une copie d’une telle qualité pour une oeuvre qui vient de fêter ses 100 ans.


Note : 8 sur 10.

Son :

DTSHD-MA 5.1 & DTSHD-MA 2.0

Nous avons traversé l’épopée Les Nibelungen en 5.1, ce fut une envoûtante expédition avec une piste nettoyée et une belle spatialisation.
Les instruments viennent porter le regard, les élans orchestraux, eux, apportent un souffle hypnotique.

Note : 8 sur 10.

Suppléments :

Potemkine a toujours su nous combler en matière de suppléments et ce n’est pas cette magnifique édition de Les Nibelungen qui viendra nous faire dire le contraire.

  • « Malheur au peuple qui a besoin de héros, à propos des Nibelungen », documentaire de Bernard Eisenschitz, historien et spécialiste de Fritz Lang (2007, 21’) :
    Bernard Eisenschitz revient sur le contexte difficile que traverse l’Allemagne durant les années 20 et la nécessité de trouver une glaise populaire, un héros, pour se projeter dans des jours meilleurs.
    L’historien aborde ensuite l’impact du film d’un point de vue mondial, la réception de l’oeuvre en Allemagne et sa réutilisation frauduleuse à des fins nationalistes.
    Enfin, Eisenschitz revient sur les différents montages du film, les différentes coupes, qui ont vu le jour sous l’Allemagne Nazie, poussant la seconde partie du film à disparaître.
  • « L’Héritage des Nibelungen », documentaire de Guido Altendorf et Anke Wilkening (2011, 70’) :
    Le documentaire revient sur l’histoire du tournage, la sortie du film et sa fragile traversée du temps.
    Un essai intéressant que nous avons regardé un peu tardivement et dont nombre de ressources sont venues se télescoper avec les autres suppléments.
  • « Les Nibelungen, échos de leur temps », analyse des références historiques par William Blanc, historien (2024, 31’) :
    William Blanc aborde le cas Les Nibelungen en partant des textes et chants médiévaux pour agrandir sa vision à la récupération idéologique dans les années 30 puis dépasse l’Allemagne pour afficher la descendance qu’engendrera Les Nibelungen tant chez Eisenstein que Peter Jackson.
    Extrêmement intéressant.

  • Analyse de séquences par Louise Dumas, critique de cinéma (2024, 60’) :
    Louise Dumas réintroduit le film et sa constitution en deux parties et revient avec une justesse toute particulière sur les temps forts du film qu’il s’agisse de la rencontre avec les Nibelungen, la citadelle de Worms ou encore la cour du roi des Huns.
    A ne surtout pas rater.

Note : 10 sur 10.

Pour découvrir Les Nibelungen en Blu-Ray :
https://store.potemkine.fr/dvd/3545020088401-les-nibelungen-siegfried-la-vengeance-de-kriemhild-fritz-lang/

2 réponses à « « Les Nibelungen » réalisé par Fritz Lang : Critique et Test Blu-Ray »

  1. Avatar de princecranoir

    Une édition qui semble être d’une grande qualité, riche en suppléments qui plus est ! J’ai le film en DVD depuis fort longtemps et je n’ai jamais pris le temps de le visionner. Grande erreur ! Je ne sais si le montage est le même que dans cette version. Ça m’a remotivé.
    Excellent article, passionnant !

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Quentin Tarantino

      Je ne connais pas le montage de l’édition DVD malheureusement…
      Mais la restauration est vraiment très belle et le film est MAGNIFIQUE !

      Merci encore pour tes retours.

      Aimé par 1 personne

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