La vie d’une petite ville de province aussi anonyme qu’universelle, vue et entendue par un animal, un âne, « Balthazar », à la merci de ses différents maîtres.

| Réalisateur : Robert Bresson |
| Acteurs : Anne Wiazemsky, Francois Lafarge |
| Genre : Drame |
| Pays : France |
| Durée : 95 minutes |
| Date de sortie : 1966 |
« Il faut pardonner. Il vous sera beaucoup pardonné si vous avez beaucoup souffert » Bible.
Il y a un immense fossé entre la sagesse proférée dans les écrits de l’Homme, notamment dans les livres saints, et la réalité quotidienne de ses agissements.
Trois siècles après Voltaire qui faisait voyager Candide à travers le monde pour constater la dangereuse illusion de la philosophie optimiste prônée par son maître Pangloss, Robert Bresson entend rappeler à une génération de l’Après-Guerre illusionnée par les Trente Glorieuses triomphantes que non décidément : « Tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes ».
C’est dans le règne animal qu’il choisira son Candide, avec Balthazar un âne qui n’aura pas besoin de faire le tour du monde mais seulement celui d’une vallée pyrénéenne pour découvrir à travers les souffrances infligées à son corps, l’étendue de la sauvagerie humaine.
De ses premières années passées avec sa jeune maîtresse Marie (Anne Wiazemsky), il ne lui restera pas grand-chose une fois qu’il sera en âge de travailler, passant de maître en maître pour servir de défouloir à leurs vices et à leurs frustrations.
Au hasard Balthazar est un film emblématique de Robert Bresson, sorti en 1966.
Il est souvent considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du cinéma mondial et un exemple parfait du style minimaliste et épuré du réalisateur.
À travers le parcours de cet animal et ses diverses confrontations avec l’humain, Robert Bresson dresse un portrait de l’humanité dans toute son universalité.
Selon Marguerite Duras, ce film constitue un véritable tournant dans l’histoire du cinéma, puisqu’il le fait pénétrer dans une nouvelle ère : celle de la pensée et de l’intériorité.

A la manière mordante des fabliaux du Moyen Age, Robert Bresson nous dépeint l’odyssée de l’âne Balthazar qui chemine au rythme des vicissitudes de son existence. La fable se veut satire sociale.
En moraliste scrupuleux et avec une rigueur toute mystique, il met à jour la rusticité de la condition paysanne et le cynisme du monde moderne. L’âne devient le fil rouge de son récit édifiant. Ce que le spectateur retient du film est proportionné à son degré d’empathie avec l’âne.
Habilement, Bresson éperonne ce rapport émotionnel à l’âne qui nous arrache tour à tour de l’affliction, du dégoût, de la révolte; plus difficilement du pardon.
Bresson aborde plusieurs thématiques : Le sacrifice et la souffrance, Le mal et l’inhumanité et La grâce et la rédemption.
Le film est souvent rapproché du cinéma spirituel, influencé par le catholicisme et la philosophie existentielle. Certains y voient une allégorie, où Balthazar représente une figure de martyr portant les souffrances du monde, acceptant son destin avec une résignation qui le rapproche d’une figure christique.
Son « alter ego » dans l’endurance et la mortification n’est autre que Marie « pleine de grâce ».
L’allusion est sans équivoque. Tous deux sont humbles et serviables à leur manière. Elle est également victime du mal et de l’oppression masculine, notamment à travers Gérard, qui la manipule et la maltraite.

La proposition dresse un portrait sombre de l’humanité.
Les personnages sont souvent cruels, cupides ou lâches. Bresson ne juge pas, il montre simplement les faits avec une froideur qui renforce l’impact émotionnel. Le personnage de Gérard incarne particulièrement cette inhumanité, représentant la brutalité gratuite.
La scène de séduction entre les deux futurs amants est très intéressante : d’abord oppressante et violente, avec les gestes non consentis de Gérard, elle se transforme en un jeu enfantin où les deux jeunes se courent après en tournant autour de l’âne.
Balthazar, quant à lui, ne réagit pas.
Le spectateur projette alors des sentiments humains sur une créature qui en est dépourvue a priori.
D’où un perpétuel dévoiement : plus l’animal est vilipendé, plus il se mue en martyr.
Son insensibilité apparente aux outrages qu’il subit en font le témoin oculaire involontaire de tous les vices de l’humanité : l’avarice, la cupidité, le péché de luxure, l’inceste, le meurtre, la cruauté au nombre des sept péchés capitaux que Bresson égrène en autant de saynètes dépouillées jusqu’à l’ascèse.
La stupeur hébétée de l’âne lui ôte jusqu’à la perception de la douleur.
En victime expiatoire des maux de l’humanité, l’âne traverse le film sans dévier du chemin que lui assigne le réalisateur : un chemin malaisé de pénitent.

Malgré sa noirceur, le film laisse entrevoir des moments de grâce.
Balthazar trouve parfois des maîtres bienveillants, et la scène finale, où il meurt paisiblement entouré de moutons, suggère une forme de rédemption et de paix retrouvée.
Balthazar est donc le témoin de l’humanité : il ne la rejette pas, mais ne l’accepte pas pour autant, tel un Saint.
Bresson esthétise la réalité dans un naturalisme parfois cocasse, souvent obscène, tout en focalisant sa caméra sur l’itinérance chaotique de cet âne domestique et la constance qui le caractérise devant les épreuves qui émaillent son chemin des plus escarpés.
Ici, Pas d’effets spectaculaires, ni de musique dramatique (la seule musique est celle de Schubert).
Les cadrages sont épurés, souvent serrés sur les détails, l’utilisation du hors-champ est suggérée plutôt que montré.
Le cinéaste utilise des acteurs non professionnels récitant leurs dialogues d’une manière neutre, évitant toute théâtralité.
À sa sortie, Au hasard Balthazar a été salué par des critiques comme Jean-Luc Godard, qui a déclaré : “C’est, en quelque sorte, le monde dans une heure et demie.” Avec le temps, le film a acquis un statut mythique et est régulièrement cité parmi les plus grands films de tous les temps.
Son influence se retrouve chez de nombreux cinéastes, comme Aki Kaurismäki, les frères Dardenne ou encore Kenji Mizoguchi.
C’est une œuvre d’une rare puissance émotionnelle et philosophique.
Par son dépouillement formel, sa profondeur thématique et son regard implacable sur la nature humaine, il transcende le simple récit d’un animal maltraité pour atteindre une dimension universelle et intemporelle.
Ce que la caméra à l’air de cueillir, à l’extrémité des objets et des êtres, c’est toute l’énigme et la profondeur de l’Homme…



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