« Itim (Les Rites De Mai) » réalisé par Mike De Leon : Critique

De retour en province dans la maison de son père, le jeune photographe Jun rencontre Teresa, une jeune femme hantée par la disparition de sa sœur et ses mystères. À mesure que Teresa se conduit de plus en plus étrangement, leur relation les conduit sur les traces d’un douloureux passé…

Réalisateur : Mike De Leon
Avec :  Tommy Abuel, Mario Montenegro, Mona Lisa
Genre : Drame
Pays : Philippines
Durée : 107 minutes
Date de sortie : 1976 // 2022 (salles France)

Jun, photographe de Manille, revient pour la Semaine Sainte dans le village de son père, noble de la région.
Suite à un accident de voiture, il retrouve un paternel amoindri .
Durant ses déambulations, Jun fait la rencontre de Teresa, une énigmatique jeune femme parcourant la bourgade afin de retrouver sa soeur disparue, annoncée morte par une médium.
Les deux parcours se télescopent, une force mystique semble vouloir relier ces jeunes gens.

La ruralité s’ouvre, le voyage invite à explorer le coeur du pays, s’éloigner des grandes villes rongées par les colonialismes et la dictature, à la rencontre d’une identité philippine tiraillée, si ce n’est écartelée, en sursis.

Itim, premier long-métrage de Mike De Leon, est une proposition qui ne cesse de muter, se transformer, tout au long de son déroulé, entretenant avec justesse un mystérieux secret. 
Les énergies, coutumes, cultures, cultes et profils traversants font le fourmillement du récit, participent à l’envoûtement.
Le geste de Mike De Leon se structure. Le réalisateur construit un cinéma populaire, assorti d’une véritable graine d’auteur.
Les rencontres ne cessent, les Philippines se dévoilent entre occultismes et totalitarismes, une marche emplie de résonances politiques s’engage.

Le film joue avec le regard spectateur, crée des univers instables. Mike De Leon, lui, manipule sa structure tel un chimiste, tord les genres, pour apporter une dynamique, une forme, singulière et propager des messages particulièrement corrosifs. La révolution, souterraine, est la voie qui prend forme.
Le cinéaste fait naître, avec une caméra particulièrement acide, des parallèles entre monde urbain et monde rural, entre bourgeois et travailleurs.
Il tisse son propos en toile de fond sans jamais révéler frontalement son discours, se servant de son décor, et d’une organisation des cadres judicieuse, pour porter la puissance de sa pensée. 

Sur le bord des routes, les paysans portent la croix, se flagellent.
Le Christ est partout, fardeau entretenu et hérité d’un passé, sous le joug du colonisateur, terrifiant.
Le réalisateur réussit parfaitement à travailler le décalage idéologique et culturel de ces Philippines à deux vitesses, pays rongé par son fanatisme à la campagne, et assommé par le pouvoir assassin du Président Marcos dans la grande ville. 
Dans cette configuration d’oppression constante, le parcours des personnages principaux se trouve être tortueux, les secrets difficiles à lever.
Dans cette situation-impasse, De Leon a la surprenante idée d’instiguer au film une transition vers le fantastique, une dimension spirituelle et mystique, parallèle à un monde menotté par ses mensonges, par ses conventions, à la recherche d’un grondement, celui du peuple philippin. 
Itim prend une tournure stupéfiante, vient toucher le spectateur ne le laissant jamais dans une quelconque répétition, faisant avancer le récit, et les personnages avec un contrôle sidérant. 

Itim est un étrange film hybride entre enquête, romance et fantastique, le spectre du cinéma d’exploitation plane de-ci, de-là, le tout baignant dans un chaos religieux et politique, plaçant déjà Mike De Leon comme un talentueux réalisateur, un metteur en scène qui tient avec génie tous les aspects de son film et maîtrise une pluralité de grammaires cinématographiques fascinante. 

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