« Contes Cruels Du Bushido » réalisé par Tadashi Imai : Critique et Test Blu-Ray

 

Synopsis : Likura se rend en urgence à l’hôpital, au chevet de sa fiancée qui vient de faire une tentative de suicide. En rentrant chez lui, il découvre les écrits de ses ancêtres samouraïs, détaillant les atrocités endurées par eux depuis le XVIIe siècle au nom du code d’honneur du bushido. Cette caste de la noblesse militaire accomplissait des actes de violence sur ordre des seigneurs féodaux, mais ils souffraient encore plus de leur cruauté, souvent contraints au suicide rituel…

Réalisateur : Tadashi Imai
Avec :  Kinnosuke Nakamura
Genre : Drame
Pays : Japon
Durée : 123 minutes
Date de sortie : 1963 (salles) // septembre 2022 (Blu-Ray)

« La vie des Samouraïs ne leur appartient pas, elle appartient à leur seigneur et mourir pour lui est un honneur. Mourir pour son seigneur, voilà le véritable commencement de la loyauté ».  
Cette phrase, prononcée dans le film, dépeint à la perfection le code de conduite des militaires Japonais que l’on nomme « Bushido » (de Bushi « brave guerrier » et do « la voie », littéralement « la voie des guerriers ») et résonne tout au long du métrage, évoquant la malédiction qui frappe la famille Likura sur sept générations d’hommes piégés dans une boucle temporelle impitoyablement méphistophélique. 

Un code de conduite oui, mais à quel prix ? Celui de l’éternel recommencement taiseux, condamné à une lente et lancinante agonie. 

Le poids des traditions :  voyage en Absurdie 

Le récit voit le jour de façon tragique dans un Japon d’après-guerre.  
La fiancée de Likura, Kyoko, a tenté de mettre fin à ses jours. La question qui nous brûle les lèvres c’est bien évidemment « pourquoi ? » et c’est ce qu’Imai, cinéaste des faibles et des opprimés, va tâcher de nous expliquer en remontant le temps jusqu’en 1610, période où l’on mentionne pour la première fois le mot « bushido », alors que ce code existe depuis le XIIème siècle féodal. 
Comment ? Cela fait suite à la découverte par Likura, de certains écrits familiaux fascinants de sadisme et exsudant de perfidie.  

Dans notre réalité, le film sort en 1963.
Un an plus tôt, c’est le légendaire Masaki Kobayashi qui s’essayait magistralement au Bushido en présentant son Harakiri, un des derniers chefs d’œuvre de l’âge d’or du cinéma Japonais. 
Tadashi Imai, faisant parti d’une génération de cinéastes nippons entre le cinéma muet et la nouvelle vague (avec entre autres Kurosawa ou encore Kinoshita), apprécié des critiques, évite donc le Seppuku cinématographique en renouvelant le genre du Chambara.

Autre époque, autre style, me direz-vous, Jim Jarmusch en faisait de même avec Ghost Dog : la voie du Samourai, en 1999, et j’interpelle ici les plus jeunes d’entre nous qui n’ont encore jamais osé s’aventurer du côté du Chambara traditionnel.
Cette danse des katanas et des épées, d’une infinie beauté, monument du cinéma japonais est à explorer d’urgence. La relecture Jarmusch qui n’est pas dénuée d’intérêt, est une porte ouverte sur les classiques du genre. 

Kobayashi, disais-je donc, nous plonge directement dans le vif du sujet et c’est une réussite totale. On pourrait donc penser qu’Imai n’est pas à la hauteur de son prédécesseur en la matière et nous sert du réchauffé. Que nenni !
Sa force réside dans la redondance.
En effet, ce n’est pas un one shot que l’on nous propose ici mais pas moins de six sketches pour bien nous faire comprendre le sempiternel ridicule de la situation et l’extrême souffrance engendrée par les pouvoirs en place.
De la rébellion de Shimabara (révolte des paysans) en passant par la période Tenmei, Edo ou l’ère Meiji, on prend les mêmes (en l’occurrence le génial et très expressif Kinnosuke Nakamura qui joue les rôles de tous ces hommes aveuglés par leur besoin de servitude dans un cercle vicieux, tel un ouroboros) et on recommence …  

Intolérable cruauté

Entre viols, homosexualité imposée et/ou refoulée, violences physiques et morales, jeux pervers dangereux (le « sabre ténébreux », ce que j’appelle vulgairement la « scène des têtes »), histoires d’amour interdites…. La famille Likura, gangrénée jusqu’à la lie, est malmenée des siècles durant, n’apprenant jamais la leçon qui s’offre à elle au seul nom d’une loyauté infinie, démente et psychotique. Un acharnement, peu thérapeutique.   
Mais les principes de rectitude (que le réalisateur tente d’ailleurs de casser dans ses plans), justice, courage, bienveillance, devoir, honneur, humanisme, politesse, véracité, sincérité et loyauté qui régissent le code veulent-ils encore dire quelque chose ? N’est-ce pas d’une hypocrisie paroxystique ?
Le spectateur reste seul juge mais ne peut que prendre parti, via l’œil acerbe du réalisateur, pour les victimes que la vie a si injustement bafouées. 

Imai nous offre une photographie en noir et blanc, incapable d’atténuer la souffrance et la brutalité, criante de malaise et de soumission. 
Les blancs, parfois ternes et grisonnants, souvent très peu lumineux, accroissent le sentiment de noirceur et de violence du propos, et le poids de cet héritage historique national, puisqu’il perdure même après la fin de la féodalité comme en témoignent les deux derniers segments du film.
La musique à la fois traditionnelle et moderne de Toshirô Mayuzumi, aussi discrète que puissante, met en exergue cette obstination qui emprisonne les protagonistes dans un drame constant et douloureux, vice toujours à sens unique. 

Cependant, s’il s’interroge sur le bien-fondé d’un tel code, le film porte pourtant profondément en lui les aspirations lucides et contestataires d’Imai (puisant dans la doctrine communiste, son mantra politique de toujours, faisant suite à son passé de prisonnier de guerre).
Une lueur d’espoir renaît comme une envie de crier au monde qu’une autre réalité est possible si on le décide et si on le veut vraiment. 
En effet, les samouraïs sont dociles et vertueux alors qu’ils auraient pu se rebeller maintes fois, il n’aurait tenu qu’à eux de renverser le pouvoir et de dire stop aux abus…. 
Comme le dit très justement le kotozawa suivant « Jinsei wafuuzen no tomoshibi », la vie est une bougie dans le vent.
Précieuse et fragile, elle peut s’éteindre à tout moment comme la fiancée de Likura, qui, fort des histoires de sa famille, en vient à prendre une décision radicale pour son destin….

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Image :

Restauration 4K datant de 2020, très probablement à partir du négatif 35 mm original, Contes Cruels Du Bushido renait.
Le cadre a été stabilisé, l’image nettoyée.
Le niveau de détails est trè appréciable et la lecture de l’image, même durant les séquences les plus sombres est claire.
Au niveau des contrastes, l’obscurité prend le pas et les blancs sont souvent couverts, donnant une palette assez complète de gris mais ne parvenant pas pleinement à saisir le tranchant des lumières.
Enfin, l’image a été lissée, de-ci, de-là, situation régulière en matière de restaurations japonaises, faisant disparaître une partie de la texture pellicule.
Cela reste néanmoins contrôlé et le rendu global est une réussite.

Note : 7.5 sur 10.

Son :

Deux pistes sont présentes : 3.0 et 1.0.

Les deux pistes sont sensiblement identiques, la 3.0 étant tout de même plus aérée, confiant les voix à l’enceinte centrale et l’atmosphère sonore générale du film aux frontales.
Les pistes sonores ont été correctement nettoyées, la balance est juste laissant de la place pour chaque fréquence et ne saturant pas.
Reste des pistes anciennes, avec un dynamisme anecdotique, et un rendu plutôt plat.

Note : 7 sur 10.

Suppléments :

Carlotta a concocté pour cette édition un unique supplément et même si nous aurions voulu en avoir plus, il faut reconnaître que la proposition est de qualité :

  • Tadashi Imai, le cinéaste du côté des faibles (12 mn)
    « De même que son héros choisit un chemin différent de ses ancêtres, Tadashi Imai voulait un peu changer son monde. Contes cruels du bushido se situe entre les grands maîtres et la Nouvelle Vague. » Par le professeur Futoshi Koga, historien du cinéma à la Nihon University – College of Art (Tokyo).
  • Bande annonce

Note : 6 sur 10.

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