« Queer » réalisé par Luca Guadagnino : Critique

William Lee, un écrivain, raconte sa vie à des étudiants américains expatriés à Mexico. Lui, qui erre sans but dans les bars gays de la ville, va voir son destin basculer le jour où il va croiser la route du jeune Eugene Allerton. Il jette son dévolu sur le jeune homme dont il s’éprend de manière obsessionnelle mais celui-ci le rejette. Pourtant, malgré leur relation complexe, les deux amis se lancent ensemble en quête d’une plante hallucinogène qui conférerait des dons télépathiques.

Réalisateur : Luca Guadagnino
Acteurs :  Daniel Craig
Genre : Drame
Pays : Italie, Etats-Unis
Durée : 136 minutes
Date de sortie : 26 février 2025

Je suis allée voir Queer parce que je suis d’une curiosité extrême quand on commence à parler Cinéma et je dois avouer que ce film m’intriguait immodérément. J’idolâtre Call me by your name, bluette Italienne qui fit vibrer mon pauvre cœur d’incorrigible romantique.
Comment ne pas être touché par cette love story contrariée ?
La façon dont Guadagnino parle d’amour m’émeut bien souvent.

Mais alors à quoi s’attendre cette fois ci ?
Queer, c’est comme si le Mort à Venise de Visconti rencontrait l’Au-Delà du Réel de Ken Russel avec un soupçon de La plage de Danny Boyle (pour sa scène de jeu vidéo psychédélique hilarante).
Audaces fortuna juvat…. Et Guadagnino l’a bien compris !

Structuré en trois parties (la troisième fut ajoutée par le réalisateur qui a pris certaines libertés tout en restant dans l’esprit du roman), ce « stoner movie » très intense, a clairement de quoi étonner et dans tous les sens du terme. Après avoir posé des bases solides, en adaptant les écrits plus ou moins biographiques de William S. Burroughs (Queer est la suite directe du puissant « Junkie : Confessions of an Unredeemed Drug Addict » paru en 1953), on s’aventure dans un monde étonnant et putride, fruit des errances opioïdes de l’écrivain et retranscrit par Guadagnino de manière toujours aussi libertaire.

Le festin nu : arythmies

Au tempo désynchronisé d’une musique trop anachronique pour le propos (Trent Reznor et Atticus Ross avait déjà massacré la bande son de Challengers l’année dernière), Daniel Craig casse son image d’agent spécial et troque ses gadgets high tech pour un Panama, des lunettes et un complet en lin bien plus saillant à son allure d’intellectuel expatrié, fortes chaleurs de Mexico obligent (être gay dans l’Amérique puritaine des fifties est considérablement controversé je ne vous apprends rien).

Le spectateur peut sentir la fièvre qui fait suinter les corps et les vapeurs de l’alcool poisseux que Lee ingère à jeun dès les premières lueurs de l’aube ou la consistance visqueuse de la drogue qu’il s’injecte dans le bras à toute heure.
Vous l’aurez compris, Le Mexico de l’époque est le lieu de toutes les décadences.
La photographie de Sayombhu Mukdeeprom accroit cette idée en faisant clairement appel à la sensorialité. On est à mille lieues de la retenue que l’on trouve chez Visconti mais le malaise reste le même entre fragilité et sensibilité mâles et tout transparait via des images extraordinaires et hypnotisantes.

Drague avide, chasse à l’homme « idéal », bars après bars pour tromper l’ennui, c’est au milieu d’une faune noctambule folle que le regard de William Lee croisera celui d’Eugene Allerton (Drew Starey d’Outer Banks pour les sérivores). Et c’est le coup de foudre pour notre ex James Bond. La fin du vide ?

Le travail sur les costumes de J. W. Anderson est savamment étudié de manière à mettre en dissonance les deux personnages principaux. En effet, Allerton jeune, fringuant et adulé détonne au contact de Lee, au summum de sa maturité, négligé et en désuétude.

Cependant, entre pulsions lubriques et scènes de sexe sans équivoques, l’érotisation des corps masculins déborde d’une sensualité magnétique. Les effets de surimpressions des gestes se transforment en désirs inassouvis et en peur viscérale du rejet. Mais, refreiner ses appétits torrides ou son envie de caresser l’autre, sont autant d’épreuves insurmontables. Le déséquilibre est filmé de façon crue et cruelle même si l’on sait pertinemment que Lee ne se fait aucunes illusions au milieu de ses espoirs en demi-teinte.
Il se renie lui-même pour éviter de gâcher cette relation qui le rend complètement obsessionnel, Allerton ne sachant pas sur quel pied danser et le repoussant plutôt deux fois qu’une, mais qui ne refuse pas un voyage aux frais du prince….

Welcome to the jungle

Direction l’Amérique du Sud donc !
Ayant entendu parler d’un psychotrope qui favoriserait la télépathie, ressentant un besoin profond de se connecter à son partenaire malgré tout, et après un « cold turkey » digne de ce nom, c’est un Lee fébrile que l’on accompagne dans la jungle afin de trouver le Yagé (autre nom de l’Ayahuasca ou « lianes des morts » en Quechua).
Cette préparation hallucinogène présentée sous la forme d’un breuvage stupéfiant donne lieu à la plus improbable des rencontres avec la Docteure Cotter, chercheuse atypique, spécialiste du Yagé, et surtout à la scène la plus hallucinée et hallucinante du métrage (Coucou Danny Boyle). C’est là que le film prend un virage assez inattendu.
Je dois dire que je fus déstabilisée mais pas forcément dans le mauvais sens du terme.

Là ou Ken Russel oriente son film sur l’étude des niveaux de consciences d’un point de vue plus scientifique, Luca Guadagnino, lui, s’appuie sur le côté ésotérique et fait participer le spectateur qui ressort du film complètement stone. Sont-ce les effets visuels de distorsion et d’abstraction ? probablement en partie. Et c’est extrêmement bien joué de la part du cinéaste qui nous offre donc une connexion cabalistique immersive.
Les corps et les esprits ne font plus qu’un jusqu’à ce que la réalité rattrape les personnages… Les lendemains qui (dé)chantent …. À partir de là, on ne sait plus très bien ce qui s’est réellement passé mais on ne peut que le deviner…

Epilogue : le mille-pattes et le serpent

Dans cette dernière partie, des années après, on retrouve Lee, s’enfonçant toujours plus loin dans les opiacés et les chimères, et il ne lui reste de cette histoire que des souvenirs douloureux dont il semble ne s’être jamais remis, personnifiés par un ouroboros en pleurs.
Le serpent est un puissant archétype de l’éveil de l’âme et de la réelle connaissance de soi (Lee, Queer jusqu’au bout des ongles). Ce reptile fait directement écho au pendentif Mille-pattes d’Eugene vu au début du film qui représente un secret, un désir refoulé (Allerton, celui qui se cherche encore et qui renie son orientation sexuelle ?). Choix conscients ? Indubitablement. Cette symbolique animale onirique et qui prolongent le coté ésotérique du film, clôt le métrage magnifiquement. Les histoires d’amour finissent mal, en général ….

Finalement, Le message de Guadagnino est simple : Comme notre protagoniste principal, n’ayons pas peur de nous montrer vulnérables et d‘ouvrir notre esprit (ici à un cinéma surréaliste et novateur) et jetons-nous à corps/cœurs perdus dans ce que nous entreprenons quitte à être meurtris. Parce qu’en définitive, il vaut mieux vivre les choses plutôt que d’avoir des regrets et il vaut mieux prendre des risques : c’est bien cela la vie, non ?

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